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Je suis le produit d'une erreur, née de l'histoire d'une jeune femme naïve, éperdument amoureuse, qui pensait avoir trouvé le grand amour de sa vie, et d'un homme qui, face aux responsabilités, a choisi la fuite à la première opportunité. Ma mère, une jeune fille issue d'une famille de classe moyenne, se croyait en plein rêve lorsqu'elle a rencontré mon géniteur, un homme plus âgé qu'elle et issu de la noblesse anglaise. C'était une histoire intense, passionnée, qui a pris une fin abrupte lorsqu'elle lui a annoncé qu'elle était enceinte. Venant de milieux différents, il a insisté pour qu'elle avorte, mais elle a courageusement refusé. C'est à ce moment que sa vie est devenue difficile et laborieuse, car face à sa décision, toute sa famille l'a rejetée. Ils étaient une famille pieuse et très attachée aux traditions, donc pour eux, voir leur fille tomber enceinte à seulement seize ans, et pire encore garder le bébé alors que le père avait pris la fuite, représentait le pire des scénarios. Ils ont refusé de soutenir une telle situation.

Ma mère, une femme d'une force inébranlable, a porté sur ses épaules la responsabilité immense de m'élever seule, sans l'assistance ni le soutien de personne. Tout au long de mon enfance, je n'ai jamais ressenti de manque, elle s'est échinée, travaillant sans relâche, dans le seul but de m'assurer une vie stable et digne. Notre complicité était intense, fusionnelle. La vie ne lui a certes pas toujours fait de cadeaux, mais malgré les difficultés, elle a toujours réussi à me submerger d'un amour pur, inconditionnel et protecteur. Je ne peux qu'imaginer le nombre de petits boulots qu'elle a dû cumuler pour joindre les deux bouts, pour assurer notre survie quotidienne. Et puis, il y avait la voisine, une vieille dame au cœur d'or. Avec le temps, elle est devenue une figure maternelle supplémentaire pour moi, un pilier de ma petite enfance. Elle me gardait et s'occupait de moi lorsque ma mère était absente pour travailler. Cette femme, que j'appellerai affectueusement "mamie" au fil des années.

J'avais douze ans, une époque innocente de ma vie, lorsque des coups brutaux et terrifiants martèlent la porte d'entrée de notre humble appartement au beau milieu de la nuit inquiétante. C'est le son déchirant des éclats de voix de ma mère, remplis de désespoir et de peur, qui me tire de mon sommeil paisible. « Non !! Tu ne me l’enlèveras pas !! Sors de chez moi »; ses mots résonnent dans mes oreilles comme un sinistre présage.

Telle une petite souris silencieuse, effrayée par le bruit soudain, je quitte la sécurité de ma chambre pour m’avancer timidement dans le couloir sombre, restant cachée dans la pénombre, loin des regards. De là, je distingue que des silhouettes, des ombres dansantes sur le mur. Celle de ma mère, petite mais courageuse, et celle d’un homme, grand et menaçant. Mon père !!

L'incroyable réalisation frappe mon esprit d'enfant avec une force brutale. Je n’arrivais pas à croire à cette scène cauchemardesque se déroulant là juste sous mes yeux écarquillés, éclairés par la lueur pâle de la lune. Tel un cauchemar terrifiant prenant vie, se transformant en une réalité bien trop cruelle pour une enfant de mon âge, je le vois, cet homme que je n’ai jamais connus, empoigner ma mère avec une force brutale, exigeant de me voir.

Instinctivement, je recule, la peur m'envahit et me paralyse sur place. La violence inattendue dans la voix de cet homme, un timbre dur et menaçant, me tétanise et me laisse impuissante, submergée par une terreur dévorante. Cette nuit inoubliable, imprimée dans les détails les plus vifs de mon esprit, restera gravée dans ma mémoire pour toujours. Mes pensées tourbillonnent et je suis submergée par l'incertitude et la confusion - je ne sais pas ce qui serait advenu si la voisine n'était pas intervenue. Alertée par les éclats de voix et l'intensité de la situation, elle a fait irruption chez nous pour voir ce qui se passait. Avec une détermination sans faille, elle a réussi à chasser cet homme en l'effrayant, proclamant haut et fort qu'elle avait déjà appelé les flics et qu'ils n'allaient pas tarder. Se sentant acculé, il disparaît dans l'obscurité de la nuit, laissant derrière lui une traînée de chaos et de peur. C'est la seule et unique fois que je verrai celui qui m'a donné la vie, un souvenir qui reste poignant, même après toutes ces années.

Nous quitterons toutes les deux précipitamment notre appartement au milieu de la nuit. Emportant avec nous que le strict nécessaire. Je n’ai pas posé de question, j’ai suivi ma mère, lui faisant aveuglément confiance. Elle était terrifiée et je sais que tout ce qu’elle fait, elle le fait pour moi, pour mon bien-être et ma sécurité. Elle et moi, nous reviendrons jamais  à la maison, nous ne resterons jamais plus de quelques mois au même endroit. Depuis cette nuit-là quelque chose a changé en elle, elle est brisée, terrorisée, elle craint qu’on lui arrache la seule chose pour laquelle elle s’est toujours battue : moi.

Vivre cette existence étrange où nous étions constamment sur le qui-vive est devenu mon quotidien. Avec le temps, cette réalité, malgré sa singularité, a commencé à m'apparaître comme presque normale. Très tôt dans ma vie, j'ai cessé de poursuivre mes études. Le changement constant d'établissement était trop compliqué. Il fallait recommencer à chaque fois, ce qui m'épuisait. Il fallait aussi me refaire sans cesse des amis, tenter d'être accepté dans des groupes de jeunes qui me voyaient toujours comme la nouvelle... J'ai décidé d'arrêter tout cela. J'ai commencé à travailler pour aider ma mère. J'ai commencé à faire des petits boulots, des tâches très basiques qui ne payaient pas beaucoup, mais qui permettaient tout de même de mettre de la nourriture sur la table.

Je m’apprête à fêter mes dix huit ans lorsque le chaos et la tragédie sont venus frapper à notre porte, emportant avec eux la personne la plus chère à mes yeux, ma mère. Tout a commencé par un accident de voiture. Nous avions prévu, ma mère et moi, de passer un week-end tranquille dans le Montana, pour fêter mon anniversaire, juste elle et moi comme toujours. Mais alors que nous étions en route, une voiture nous a percutées de plein fouet, nous faisant sortir de la route de manière brutale. Notre voiture a fait plusieurs tonneaux, un véritable enfer de tôle et de verre... Et puis, c'est le trou noir. Quand je me réveille, je me trouve dans un hôpital, miraculeusement indemne, en tout cas physiquement. Mais ma mère... elle n'a pas eu cette chance. Elle a laissé sa vie dans cet accident, me laissant seule pour affronter un monde sans elle.

Effondrée, j’ai crié… pleuré… maudit la planète entière, trouver la force d’avancer sans elle a été la chose la plus difficile que j’ai eue à faire, mais je l’ai fais, j’ai réussi, parce que je lui devais bien ça, à cette femme qui m’a donné la vie et m’a protégée jusqu’à son dernier souffle. Aujourd’hui, elle est une étoile brillant dans le ciel, elle veille sur moi à sa manière.

Après la mort de ma mère, je suis revenue là où tout a commencé pour moi, à San Diego, là où vie encore la seule personne ayant de la valeur à mes yeux. Rosa, mon ancienne voisine dont j’étais si proche enfant, a certes vieilli, mais son sourire rassurant et maternel est intact. Elle m’a hébergée quelque temps, le temps que je me reprenne en main. J’ai trouvé un job de serveuse dans cette boite de nuit, grâce à ce job, j’ai rencontré celui qui deviendra mon amant et mentor, un homme d’âge mûr qui m’a prise sous son aile. Ce n’était pas un ange, mais son côté sombre m’attirait comme un papillon de nuit attiré par une lueur éblouissante. À ses côtés, j’ai appris à mettre mes atouts en valeur, m’en servant pour charmer, puis gagner ma vie. Je n’ai jamais perçu mon nouveau gagne-pain comme quelque chose de dégradant, c’est même tout le contraire. Au fil du temps, je me suis affirmée, j’ai gagné indéniablement en assurance. Je me suis faite un nom et une réputation, aujourd’hui financièrement tout roule pour moi, je ne cours pas après les clients, généralement ce sont eux qui viennent à moi désireux de s’offrir mes services.