Rokita // soirée de gala.

--Outfit-- Niki ? Je ne te demande pas ton avis. J'exige ta présence. Présenté ainsi, il m'est totalement impossible de refuser. Svetlana est généralement douce et tendre avec moi, mais je sais quel tempérament se cache sous ce vernis. -"Je n'y serais pas à ma place, je suis... en deuil." La belle excuse, c'est ce qu'elle semble me signifier d'un haussement de sourcil réprobateur. C'est à moi que tu dis ça? Je me sens vraiment mal en réalisant que sa perte n'est en rien comparable à la mienne.

Rien que d'imaginer perdre Levgueni me met le corps en transe et je me sens au bord de la panique. Elle pose une main apaisante sur la mienne et son sourire est doux, son autre main caressant ce ventre qui s'arrondit. Va te préparer, rend moi fière. Et aussi simplement que cela c'est ce que j'essaie de faire. Je m'habille, soigneusement, brosse ma longue chevelure et j'embrasse le crâne de mon fils. Urek souhaitait m'accompagner mais je serais en sécurité aux côtés de ma tante et je préfère le savoir auprès de mon fils. Je ne peux confier mon enfant à personne d'autre, en tout cas pas si je veux être sereine. J'ai presque envie de tourner et de lui demander comment il me trouve mais je n'ose pas. Je me contente de me hisser sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la joue, à la commissure des lèvres et respirer son parfum à pleins poumons avant de le remercier et de rejoindre mon chauffeur.

La soirée a lieu au Cosmo, regroupant des grands pontes évidemment mais aussi des associés présents ou à venir. Je ne suis pas dupe, je sais très bien que c'est la vitrine de la Bratva. J'entre dans le complexe en déposant ma veste avant de rejoindre la grande salle du casino toute décorée pour l'occasion, les machines à sous disparues au profit d'un buffet assez époustouflant. Manifestement il est dans l'idée de mettre les petits plats dans les grands. Je ne connais personne ici, ou presque, la présence rassurante de Urek me manque. J'essaie de prendre une coupe de champagne pour me donner une contenance et j'attends la reine de la soirée. Ce serait parfait de pouvoir rapidement prendre congés. J'ai envie de retrouver ma maison et ... les hommes qui m'y attendent. Même si... je ne suis pas une femme pour lui, même si il devrait être le dernier homme que je désire sur terre. Mais je sais que tenter de contrôler mes pensées à son égard est une utopie.

Je me tiens là, au milieu de la foule étouffante du Cosmo, le casino de ma tante Svetlana, où elle règne en maîtresse absolue. Les lumières clignotantes et le vacarme des machines à sous semblent étrangement lointains ce soir, alors que je me sens étrangère dans cette foule où je ne connais presque personne. Mon esprit ne peut s'empêcher de vagabonder vers mon fils, resté derrière avec son oncle, pour qui je ressens des sentiments totalement insensés, autant qu'interdit. Il est mon protecteur, il a aussi été le châtiment de mon propre bourreau... mais il n'en est pas moins le frère de mon défunt époux.

Je ne devrais pas penser à lui de cette manière mais, je ne peux pas m'en empêcher. Depuis quelques temps, il peuple jusqu'à mes rêves. Je me réveille en nage, dans un lit en pagaille, le souffle agité par l'ardeur des images naissant sous mon crâne... Je peine de plus en plus à ne pas me laisser aller à me caresser, en imaginant ses mains au lieu des miennes, son souffle sur ma peau.... sa peau sur la mienne. Je ferme les yeux, me mord férocement la lèvre inférieure pour essayer de canaliser le flot tempétueux de mes pensées ! Ils me manquent tous les deux terriblement, mais ce n'est pas une raison. Je suis venue ce soir pour affaires, parce que ma tante le souhaite et que je lui dois temps que je n'ai pas grand chose à dire.

Je devrais sans doute essayer de m'intégrer, de sociabiliser. Pourtant, je me sens maladroite, presque gauche, avec mon accent russe et mon manque de familiarité avec les gens ici. Je me sens comme une étrangère dans mon propre monde. La Bratva, gigantesque famille, tentaculaire, qui a bien failli me briser. J'ai échappé à un destin abject en quittant la Russie, mais je ne suis pas forcément sortie d'affaire pour autant. Qu'adviendra t'il de moi ? De Urek ? Si on en venait à apprendre ce qu'il a fait pour nous protéger ? Mon fils et moi ? Je ne veux pas y songer, c'est trop effrayant, vertigineux.

Un regard persistant attire soudain mon attention. Je rougis involontairement quand nos yeux se croisent. Pourtant, l'homme ne bouge pas, se contentant de me saluer avant de reporter son attention sur la foule. Je ne sais pas trop pourquoi je suis aussi intimidée ? Sans doute parce que je ne me suis pas retrouvée dans ce genre de situations depuis bien longtemps. Mon défunt mari était d'une jalousie telle qu'il m'aurait battue pour ce simple échange de regard, m'aurait peut être laissée pour morte si j'avais eu l'idée diabolique de sourire... Forcément on prend vite l'habitude de baisser la tête, de raser les murs, de réduire les interactions sociales au maximum. On passe tout simplement en mode survie ! Même pas pour moi, je crois que j'aurais préféré mourir que de continuer à partager son quotidien... Mais j'ai un fils, prunelle de mes yeux et raison ultime de vivre ! Le protéger, ça a toujours été ma seule et unique priorité. M'oublier à son profit n'a rien de grave ou de dérangeant, au contraire.

Je décide finalement de m'approcher du buffet et sans vraiment y penser, je me retrouve à quelques pas de l'homme. Je souris attrapant un toast que je goute du bout des lèvres avant de me tourner vers lui. -"Bonsoir monsieur. Enchantée de faire votre connaissance", je lance timidement, me demandant comment me présenter. Suis-je la veuve Alenichev, la fille Kalinine... ou simplement la nièce de Svety ? Je souris, espérant que mon air doux dissimulera mon embarras.

C'est intimidant. Très intimidant, même. Parce que je réalise que je n'étais plus autorisée depuis tant d'années à avoir des relations interpersonnelles, que je ne sais plus trop comment m'y prendre. Alexis n'aurait pas supporté que je puisse parler en aparté avec un autre homme, même au milieu d'une foule, même inoccemment. J'a très vite compris, parce que le déchainement de violence était perceptible dans le simple regard glaçant qu'il pouvait poser sur moi.

Alors je me retrouve là, comme une idiote, sans pouvoir dissimuler mon trouble derrière la carrure de Urek et sans avoir mon fils à border d'amour et de douceur et je réalise que je ne sais pas du tout m'y prendre. Alors je gagne le buffet et cette rencontre se produit et je me retrouve limite balbutiante. -"Kalinine." Pourquoi ? Je suis presque étonnée moi même à cette seconde et je secoue la tête en fermant les yeux une seconde. -"Pardon, je voulais dire Alenichev, Nikita Alenichev." Je suis troublée, un peu mal à l'aise et franchement sidérée de ce petit mouvement d'humeur qui m'a poussé à me détacher de mon veuvage. Ce qui m'a poussé à faire marche arrière ? L'image de deux hommes... L'un fait, l'autre à venir, portant tous deux ce nom. Je soupire et me décide à oublier un temps ma vie auprès de mon ex-mari, pour essayer de renouer avec celle que j'étais avant de le connaître.

-"Svetlana est ma tante." Est ce que je suis autorisée à dire ce genre de chose ? Bon ! Trop tard de toute façon. Je ne serais jamais capable de naviguer comme elle dans les eaux de la Bratva et je ne suis pas sure de considérer ça comme une mauvaise nouvelle. -"Puisque vous êtes là, je suppose que vous êtes de ses amis?" Mon accent russe est inloupable mais mon anglais n'en reste pas moins parfait. Au moins autant que ma naïveté en fin de compte... Je crois que ma tante s'amuserait vraiment de l'idée que cette réception ne compte que des amis ou même des gens qui l'apprécie. Le pouvoir semble clairement appeler la colère, la rage et la haine, bien plus que la douceur et les bons sentiments en tout cas. Sans doute pour ça que ce n'est pas du tout pour moi. Un nouveau sourire et je pioche un nouveau petit four, pour m'occuper les mains d'une part bien sur mais aussi sans doute pour éviter de parler à tort et à travers. Je n'ai pas les codes ! Ce qu'on attendait de moi était que je me tienne près d'Alexis, belle, habillée avec soin, élégante et portant les bijoux qui montraient le rayonnement de mon mari, mais surtout silencieuse, soumise, baissant la tête et encaissant les coups, moraux en public, physiques en privé.

Je tremble parfois dans mon lit, avant de m'endormir, en imaginant ce qui ce serait passé si Urek n'avait pas été là pour l'arrêter... J'étais prête à encaisser, j'étais résolue, pensant ne pas avoir le choix, mais je n'aurais jamais supporté qu'il s'en prenne à mon petit garçon. Cet enfant incarne la beauté et la lumière, il est d'une innocence qui fait tinter mon coeur de délice et je ne supporte pas l'idée que quelque chose puisse venir éteindre sa lumière. Pour lui j'étais prête à me battre et je le serais toujours.

Je sais me comporter en société, mes parents y ont veillé, mon défunt mari tout autant, mais je n’y suis pas à mon aise, loin de là. J’aime nettement plus passer du temps au calme avec Lev, sans tumulte, sans danger. Mais quand Svetlana exige… je n’ai pas d’autre choix que celui d'obéir. Je me retrouve donc là, hésitante et timide, jusqu’à ce que la conversation se noue avec cet inconnu. Je souris et échange, sans bien savoir ce que je peux ou ne peux pas dire. Il me pose une question qui me fait immédiatement monter le rouge aux joues. -”Jamais elle ne m’offrirait à quiconque.” J’écarquille les yeux, presque amusée que ça puisse être une option qu’il imagine.

Je ne vois pas bien ce que j’aurais à offrir en pâture à qui que ce soit. Il m’offre son bras et je ris doucement en l’entendant me proposer ce plan ingénieux pour fuir l’ambiance pesante de la soirée. Ses paroles me font sourire, et je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine légèreté dans son approche. Ses plaisanteries nulles ? Parfait, je saurais je pense, quoi lui offrir en échange.

-”Vous savez, j’adore l’idée. Un verre qui ne se vide jamais, des éclats de rire complices… et l’impression d’être les rois du monde, ou du moins de cette soirée. Ça me convient. “ Je jette un rapide coup d’œil autour de nous, suivant son regard vers les invités. La faune de la soirée est fascinante, et je me surprends à apprécier la manière dont il la décrypte. Un peu cynique, mais réaliste. Alors pourquoi pas ? Si tout cela n’est qu’une mascarade, autant jouer le jeu à notre avantage et ne pas me retrouver confondue avec les femmes manifestement offertes aux invités. Je glisse mon bras sous le sien, un geste léger mais significatif, posant ma main contre son avant bras avec délicatesse et murmure en souriant : -”Allons-y. Et pour les plaisanteries nulles, je crois que vous êtes parfaitement capable d’en faire d’excellentes. Ce serait mieux d’ailleurs, je ne suis pas la comédienne la plus douée de la soirée.” Je roule des yeux et les pointe vers une jeune femme qui roucoule très ostensiblement auprès d’un homme qui pourrait être son grand-père, je ne peux pas rivaliser. Est ce correct qu’on me voit ainsi à son bras? Échangeant, riant ? Alors que je suis veuve ? Je ne sais plus… mais je crois que le temps d’une soirée j’ai envie d’oublier la veuve Alenichev au profit de… Nikkie ?