Nuit Pluvieuse (Imayden)

J’avais l’impression que notre rencontre de la veille datait de bien plus longtemps. L’animosité que j’avais ressentie pour Hayden était comme un écho faible et distant. Nous nous ressemblions, au final. Deux êtres qui avaient tenté de faire le bien, coincés par de mauvaises décisions et un contexte qui échappait à leur contrôle. Comme quoi ceux qui disaient que l’on pouvait faire ce que l’on voulait de sa propre vie n’avaient pas eu à patauger dans une mare de merde jusqu’au cou.

Loin de me dire qu’il n’y avait plus rien à faire pour moi, je restais tout de même pleine d’espoir. Ça aurait pu être bien pire… J’aurais pu avoir à faire une couverture dans les hivers froids de l’état de New York, par exemple. Hamish aurait aussi pu me lancer directement dans la gueule du loup et faire de moi un petit en-cas à criminels. Il avait besoin de moi. Parce que je fonçais avec la ferveur de la jeunesse. Le lieutenant et moi nous retrouvions toujours à travailler ensemble, malgré notre haine mutuelle. Comme un mauvais vers servant d’antépiphore dans un poème amateur. Un refrain peu recherché, qui rimait à peine.

J’avais fait dévier judicieusement la conversation, tentant de m’éviter les avertissements que je connaissais déjà trop bien. Je lui parlais de sa moto, espérant réveiller un Hayden verbomoteur en lui laissant le luxe de parler de quelque chose qu’il aimait. Il commençait par parler de chevaux et un sourire ravivait mon visage. Imaginer un Hayden tout petit était adorable. J’écoutais activement, fronçant les sourcils lorsqu’il disait être tombé de cheval. Pauvre enfant. La chute avait probablement été douloureuse. Je ne connaissais pas les chevaux, mais c’était de grandes bêtes puissantes.

« C’est vrai que les motos ont moins tendance à faire des ruades… Mais les chutes sont aussi dramatiques. »

Je lui souriais toujours, essayant de trahir ce petit malaise qui persistait. Nous nous connaissions si peu. Pourtant, je m’étais révélée à lui plus qu’à quiconque depuis des mois. Déterminé, Hayden revenait à ses mises en garde sur mon avenir et m’annonçait une mort imminente presque comme une tireuse de cartes. Je portais le côté de mon pouce à mes lèvres pour en mordiller la peau nerveusement. Oui, je savais que le jeu était plus que dangereux.

« Je ne sais pas comment sortir de là, Hayden. »

Aussi bien faire autant de dommages possibles avant de crever. Et idéalement amener Hamish avec moi. Probablement que j’avais signé mon acte de décès en aménageant à San Diego, sans le savoir. J’avais eu de nombreuses petites couvertures avant, rien de ce calibre. Le risque ne m’avait pas fait peur à l’époque, peut-être était-ce parce que j’étais naïve ou idéaliste? Cela n’avait pas d’importance, je pataugeais dans les problèmes depuis.

Puis Hayden me posait une question. Mes dents faisaient la trêve à la peau de mon pouce. Je plantais mes prunelles directement dans ses yeux, avec un éclair malicieux qui les traversait.

« Pourquoi? Le travail d’escorte te tenterait-il? »

J’émettais un petit rire, visiblement amusée par l’image. Pas parce que c’était ridicule. Il était mignon, il pourrait très bien avoir une foule de clients… Disons plutôt qu’il ne semblait pas avoir le profil type de l’emploi. Je redevenais sérieuse.

« Alors… 400$ pour une heure, 1000$ pour quatre. Un week-end complet c’est 5000$, mais je n’en fais pas vraiment, je déteste faire semblant pendant autant de temps. C’est la partie que je garde dans mes poches, les tarifs établis par mes agents de liaison étaient si faibles que cela en était ridicule. Ils reçoivent ce qu’ils avaient demandé, je conserve le reste. Il y a de magnifiques hôtels dans le district des affaires. C’est une façon détournée de voir qui baigne dans le milieu de la criminalité. Les clients se confient souvent sur l’oreiller. »

Je haussais les épaules en me mordillant la lèvre inférieure. Hayden avait un don pour me faire parler de choses dont je ne soufflais mot habituellement. C’était étrange, mais je ne regrettais pas qu’il me fasse parler. C’était comme si je me libérais d’un poids immense.