Nuit Pluvieuse (Imayden)

Je vous ai dit que je détestais Hamish Hamilton? Depuis que nous nous étions mis mutuellement les pieds dans les plats, je n’avais pas d’autres choix que de collaborer avec lui. Je le faisais chanter, mais il faisait pareil pour moi. Nous étions deux pourritures. Loin d’être la fierté de l’académie de police, lui comme moi.

Je commençais à me perdre dans mon rôle. Je gardais l’argent de ma couverture. Je baisais réellement les clients. Ça aidait à payer le loyer, mais aussi à avoir de belles choses. Et puis, quand je voyais des gens comme Hamish qui remettaient de la drogue en circulation, baisaient des jeunes femmes sans remords et profitaient de leur statut de policiers pour avoir des avantages… Je me demandais qui des criminels ou de la police était réellement le bon côté.

Hamish mettait en péril ma couverture d’escorte de luxe. Ce soir, il me demandait d’agir en pute de bas étage pour rencontrer un contact pour la brigade des stup. Si je ne coopérais pas, il m’exposait. C’est rageusement que j’avais accepté. Robe courte, moulante et décolletée, maquillage bas de gamme… Je n’avais pas du tout l’air de la Simone qui escortait les plus grands clients dans les hôtels. Je me trouvais dans un bar de quartier assez miteux. Je refusais les clients et attendais le contact qui ne semblait pas vouloir se pointer le bout du nez. Minuit et demi… toujours aucun visuel sur notre taupe. Je commençais à avoir les nerfs en boule. Et si Hamish m’avait tendu une embuscade?

Nous avions toutes sortes de protocoles afin de ne pas compromettre des couvertures. Je décidais donc de laisser une note cryptée près d’un bibelot en faisant mine d’aller aux toilettes. Bordel, Hamish. Tes contacts sont très loin de la fiabilité. J’allais l’étrangler la prochaine fois que je le croiserai. Il me compromettait pour des couvertures qui n’aboutissaient pas!

Je me regardais dans le miroir de la salle de bain. J’avais l’air stressée, nerveuse… et loin de ma coquetterie habituelle.

« Tu fais peur à voir ma pauvre Simone. », murmurais-je pour moi-même.

Je me refaisais une beauté du mieux que je le pouvais. Quelques retouches pour rafraîchir mon look. En sortant, un homme me barrait le passage. Il semblait un peu ivre. Je le fixais, nerveuse. Ce n’était pas mon contact et sa ténacité me mettait sur mes gardes. Je n’aimais pas jouer les putes de coin de rue pour cette raison. C’était dangereux. En même temps, il avait tout le profil d’un membre de gang. Il voulait que je l’accompagne dans la ruelle… pour combien? Cinquante dollars? Ah, la voilà la deuxième raison pour laquelle je ne jouais pas ce rôle habituellement. Jouer les escortes était bien plus payant.

J’étais hésitante. Et si c’était un piège? Je le toisais et me ressaisissais. C’était de l’argent vite fait et il n’était pas moche. Je m’approchais, faisant mine de voir si cela valait la peine.

« 60 dollars, je ne fais pas la charité quand même. »

Je prenais sa main, petit sourire et yeux pleins de luxure.

« Tu as bien choisi, tu ne regretteras pas. »

Une ruelle, vraiment? J’aimais bien mieux dans une suite, c’était plus glorieux. Il était vrai que j’attirais plus la mafia et les templiers avec mon rôle d’escorte… La pute bas de gamme aurait peut-être de la chance avec ces foutus motards.

« Ça te va ici? »

Entre la benne à ordures et des boîtes en carton, sous la pluie, rien de plus chic. Qu’est-ce qu’un homme ne ferait pas pour jouir avant de se coucher. Je m’approchais de lui, tendais la main pour recevoir un paiement.

« Désolée, paiement d’avance, j’ai pas envie de te voir te sauver quand tu auras les couilles vides. »

Mouais, ce serait le comble de me prostituer et ne rien recevoir en retour.

Il pleuvait à boire debout. L’humidité me traversait le corps. La robe moulante était jolie, mais ne me protégeait pas beaucoup. J’espérais qu’il ne soit pas trop difficile à faire atteindre le plaisir, je n’avais pas envie de rester dehors longtemps. C’était un temps à ne pas mettre un chat dehors. Malgré le petit toit, la pluie ricochait du sol sur mes mollets. Je lui demandais le paiement d’avance, histoire de ne pas me faire avoir ensuite.

Je recevais le paiement et en voulant m’assurer que le compte était bon, je réalisais qu’il m’avait rendu mon bout de papier. Un instant, je pensais qu’il s’agissait du contact d’Hamish. Mais ses propos confirmaient qu’il s’agissait plutôt de quelqu’un qui m’avait observé assez longtemps pour deviner qu’il y avait anguille sous roche.

D’abord les sourcils froncés, je sentais tout mon corps se tendre. J’étais en colère. Contre lui, mais surtout contre moi qui devais avoir l’air d’une débutante. J’en voulais à Hamish. Si ma couverture partait en fumée, je pouvais dire adieu à ma vie à San Diego. On allait me rapatrier ailleurs. À DC, New York ou Salt Lake City… J’aimais ma vie ici, je n’avais aucune envie de la quitter si vite.

C’est presque sans réfléchir que je le plaquais violemment contre le mur, ma main directement au-dessus de sa clavicule pour créer un maximum d’inconfort. Je lui assenais un coup de genou en plein ventre et le maintenais quand même contre le mur.

« Tu travailles pour qui? »

Il avait l’air de ces motards de Hounds.

« Tu ne vas rien faire? Mon œil. T’es tombée sur la mauvaise fille pour jouer les malins. Je n’ai pas peur de me salir les mains. Un membre de gang de plus ou de moins ne fera pleurer personne. »

Je prenais une pause, mais je le secouais vivement avant de reprendre.

« Qu’est-ce que tu me veux si tu connais si bien ce que je fais? Tu veux jouer les héros? Parle avant que je ne m’énerve réellement! »

Un grondement vibrait dans le ciel. Un orage allait nous éclater au-dessus de la tête. Cela couvrirait notre échange, ce qui pouvait jouer en ma faveur ou non. Et s’il était plus dangereux que moi? J’étais en mode survie, je ne pensais même pas à la possibilité que je puisse être plus faible que lui. Ma couverture était la seule chose qui me passait en tête. Je devais protéger mon identité à tout prix. J’allais secouer ce pauvre homme, puis j’allais directement étrangler Hamish dans son sommeil. Je frappais du plat de la main sur la tôle juste à côté de son visage.

« Parle! Maintenant! »

Je suis furieuse. Je suis aussi confuse. L’homme que je tiens contre le mur me rend perplexe et nerveuse. Ma colère fait trembler mes entrailles. Je m’en veux et j’en veux aussi à Hamish. Par contre, c’est ce pauvre inconnu qui écope. En même temps, il aurait pu ne rien dire et fermer les yeux, je ne le plaignais pas. Il m’assurait qu’il ne travaillait pour personne et je haussais un sourcil sarcastique. Alors pourquoi cette mise en scène.

« Qu’est-ce que tu veux alors? Une médaille?! »

J’étais enragée. De plus, il faisait le malin. Je devais lui accorder que j’avais été négligente. Peut-être était-ce la colère qui m’aveuglait. J’avais pris le risque de ne pas le fouiller. Il me montrait la crosse de son arme et je restais interdite. Il pourrait réellement me faire la peau. Pourquoi diable venait-il m’aviser des risques s’il n’en avait rien à faire? Devais-je le désarmer? Si j’essayais tout de suite, nous allions nous battre pour l’arme et cela pouvait mal se terminer.

« C’est Hamish qui t’a demandé de me surveiller? »

Hamilton et moi ne nous faisions pas confiance, cela pouvait dont être très logique. Je secouais l’homme par l’épaule, enfonçant mon pouce dans le creux de sa clavicule. Il reprenait son discours, prétextant vouloir m’aviser des risques que je prenais. J’ironisais :

« Mon héros! Comme c’est charmant… qu’est-ce que tu espères? Que je te suce pour nada en guise de merci? »

Il ne disait rien pour aider à ce que je comprenne ses intentions. Personne ne jouait les gentils dans le crime organisé. Il devait avoir un but. Personne n’était aussi avenant. Je voulais comprendre la raison de ses agissements. Soudainement, une porte s’ouvrait à proximité et l’homme me plaquait contre la tôle pour faire semblant de me prendre dans la ruelle. Ses mouvements de bassin relevaient le tissu de ma robe sur mes fesses alors que j’étais muette de stupéfaction. La porte se refermait et je le poussais vivement alors qu’il me demandait ce que je cherchais à faire.

« Peut-être, qu’est-ce que t’en sais? Peut-être que c’est toi que j’attendais aussi. »

J’avais envie de lui écraser le visage contre un mur. Je tentais de contrôler ma respiration pour regagner un peu mon calme. Un mouvement rapide de ma main replaçait ma robe pour me donner un peu de décence. Le tonnerre grondait encore. Ma couverture était grillée, je ne pouvais pas retourner dans le bar. Ma main massait un moment ma nuque alors que je tendais mon visage exténué vers le ciel.

« De toute façon, je ne suis pas ici pour un cas de mon département. »

J’avais marmonné pour moi-même plus que pour lui. J’allais dire à Hamish d’envoyer quelqu’un d’autre. Mon rôle d’escorte n’était pas grillé. J’allais devoir rentrer à la maison. Inutile d’entendre le contact de ce traître de lieutenant. La porte s’ouvrait encore et je tirais l’homme vers moi par son chandail, collant mon corps au sien, ma main sur son entrejambe que je caressais plus sèchement que je ferais habituellement, comme une menace voilée dans un geste langoureux.

« Dois-je t’assassiner pour m’assurer de ton silence? Ou te séquestrer dans une pièce cachée? », murmurais-je à son oreille.

J’étais menue, mais mon ton était sans équivoque. J’étais peut-être en colère et j’avais peut-être fait des erreurs ce soir, mais aucune peur ne transpirait dans ma voix. Je pouvais être glaciale au besoin. Je n’avais pas de cachot secret, mais j’étais certaine que mon meilleur ennemi pourrait m’aider à faire disparaître un témoin pour éviter de nuire à ses affaires illégales. Les joies de connaître un lieutenant de police pourri. L’homme qui était à la porte semblait vouloir se régaler du spectacle et ne semblait pas avoir envie de retourner à l'intérieur. Ma langue venait caresser le cou de l’inconnu même si cela me faisait violence. Je serrais les dents.

« Je ne te fais pas confiance. »

C’était presque comme un duel de cow-boys. Aucun de nous deux ne cèderait… En tous cas, je ne le pensais pas. La pluie tambourinait dans les fenêtres et sur les toits, nous éclaboussait malgré notre abri de fortune. Je ne lui faisais pas confiance et lui non plus. Je sentais encore ses mains sur mon corps et j’ignorais ce que j’en pensais. Pourtant, j’avais l’habitude que l’on me touche même si la personne devant moi ne me plaisait pas. Peut-être que ma colère réveillait une intolérance à son égard.

Il répondait à mes piques et semblait bien décidé à me faire la vie dure pour quelqu’un qui voulait « m’aider ». Je n’avais pas le temps de répondre que l’homme était ressorti pour assister au spectacle. J’étais plus brusque que d’ordinaire, parce que je voulais lui montrer que je n’avais besoin de personne. Il relevait ma robe et sa main sur ma peau provoquait chez moi un soupir. J’étais un peu surprise et inconfortable. J’avais envie de m’enfuir sous la pluie. Sauf que j’avais besoin de savoir qui était cet inconnu qui s’interposait dans mes affaires. De quel côté était son allégeance? Police? Mafia? Groupe organisé? Taupe?

Il mordillait mon cou, m’arrachant un grognement. Il me posait une question et je retenais un rire sarcastique.

« Depuis la nuit des temps, mon chou. »

Oui. Des pourris, il y en avait partout, dans tous les domaines. Hamish était de la pire espèce et moi… Je n’étais pas loin derrière, à jouer sur la corde raide entre le bien et le mal. Il voulait que je déboucle sa ceinture et je lui jetais un regard meurtrier. Était-ce juste une excuse pour me rendre vulnérable ou s’agissait-il vraiment de jouer la comédie pour le spectateur? Je m’accroupissais lentement. D’un œil extérieur, cela aurait pu être pris pour une femme qui faisait languir son amant, mais c’est que j’étais prête à réagir au moindre mouvement louche.

Mes mains se promenaient sur la ceinture que je faisais céder tranquillement, puis je parcourais son pantalon de la pulpe de mes doigts. Je détachais le bouton, puis baissais la fermeture éclair. S’il tentait quelque chose, je pourrais me sauver et avoir une mince longueur d’avance, puisqu’il serait entravé par son vêtement qui lui tomberait des hanches. Le temps semblait s’égrainer au ralenti. L’homme était toujours là. Non, bordel, je ne voulais pas le sucer pour un spectateur. Mais il montrait son arme et notre voyeur décidait de rentrer.

Je me relevais comme si j’avais un ressort dans le derrière et je rajustais à nouveau ma robe. Il ne me voulait pas de mal, mais ne pouvait pas me dire pourquoi. Je croisais les mains sous ma poitrine et le fixais sévèrement. Je devais le croire sur parole? Il voulait qu’on parle ailleurs et mon regard devenait méfiant. J’étais mitigée. Je pouvais le suivre et me mettre en danger ou nous séparer et risquer ma couverture. Je l’avais menacé, mais je ne voulais pas tuer… Je me disais que le suivre me permettrait de recueillir des informations importantes au cas où. Et je laisserais ce foutu Hamish Hamilton décider du sort de ce pauvre mec.

« Ça va. Allons discuter. »

Je plaçais le billet dans mon soutien-gorge en le toisant avec un air de défi. Qu’il vienne le chercher s’il en avait vraiment besoin. Après tout, il n’avait pas l’air contre le fait de me tripoter. La pluie ne se calmait pas alors aussi bien se mettre en marche immédiatement.

« Je te suis… Et ne t’avise pas de poser la main sur ton arme. »

Parce que sinon quoi? J’allais lui casser le cou à mains nues? La bonne blague! Mais j’allais lui faire regretter de s’en prendre à une créature comme moi. Je savais me battre et j’allais tout donner.

La pluie alourdissait nos vêtements et je le suivais donc vers sa moto afin que nous puissions nous mettre à l’abri au plus vite. Il enfourchait son véhicule et me tendait son casque. Je ramassais ma crinière abondante dans une main pour la rassembler sous le casque du mieux possible et je passais l’équipement de protection sur ma tête. C’était avec un peu d’hésitation que je m’approchais d’abord, mais j’enfourchais finalement la moto, positionnée derrière cet inconnu. C’était improbable, fou. Mais je devais en savoir davantage sur lui. Je ne pouvais me permettre de me montrer fragile. En sachant suffisamment sur lui, s’il tentait quoi que ce soit, je pourrais aviser Hamish et il s’occuperait de lui. Évidemment, cette pensée me tordait l’estomac. Ce n’était pas l’option que je voudrais choisir… Encore une fois, je maudissais le lieutenant qui m’avait mis dans cette position délicate.

La pluie fouettait mes jambes et mes bras nus alors que nous roulions à bonne allure. Chaque gouttelette semblait plus glaciale que la précédente. Ma robe était aussi trempée que ma peau et le bout de mes cheveux qui dépassait du casque également. Je m’accrochais à la taille de l’homme pour conserver mon équilibre, prenant soin de tenir ma tête loin de lui pour ne pas cogner mon casque dans son dos. Nous arrivions finalement à destination. Un hangar. Mon cœur se serrait. Cet endroit était très isolé. Je devais me dire que j’étais plus qu’une pauvre femme sans défense. J’étais Imani Simone Vandross, bon sang! Forte, indépendante, intelligente. Je n’avais qu’à prendre la fuite au moindre doute.

Il me laissait devant sa porte avant de stationner sa moto dans le garage. J’entrais donc, me permettant un bon tour d’horizon en attendant son retour. Rien ne semblait m’indiquer que j’étais en danger. Je déposais le casque sur une table et passais une main dans les cheveux. L’humidité les avait fait gonfler encore plus, les boucles décidant pour elles-mêmes. L’homme faisait son apparition dans l’appartement, couvert de pluie tout comme moi. Deux chats errants dans un orage. Nous finirions par nous tenir dans notre propre mare personnelle à rester plantés là à nous regarder.

Il tordait son t-shirt. Je ne l’imitais pas. Ma robe était plaquée à mon corps et vouloir extirper de l’eau signifiait lui exposer mon corps plus que je ne le désirais. Il me posait des questions comme s’il s’agissait de mon patron et je roulais les yeux au plafond.

« Qui te dit que c’est les Hounds que je surveille? Je suis peut-être sur ce territoire… Mais les joueurs sont nombreux. »

C’était loin d’être un mensonge. La compétition au niveau des différentes organisations était grande. Le contact semblait n’avoir aucune allégeance non plus.

« On m’a mandaté sur une affaire dont j’ignore les détails… Par un lieutenant laxiste. Ça te va comme explication? »

Quel incompétent te sert d’agent de liaison avait-il demandé? Cela avait occasionné un rire sec et sarcastique de ma part.

« Incompétent… Le mot est faible. »

J’avais mentionné le nom d’Hamish, sans expliquer qui il était. Je ne révèlerais pas plus d’information à son sujet, même si l’envie était grande. Mais il était vrai que le lieutenant m’avait mis en danger ce soir.

« Ce n’est pas mon territoire habituel. Sois tranquille, je ne vais pas vous embêter bien longtemps. »

J’étais plus du genre à me tenir dans les hôtels, les quartiers plus luxueux. C’était les têtes dirigeantes des organisations qui nous intéressaient, afin d’obtenir des informations sensibles. La manière de parler de l’homme me donnait l’impression qu’il connaissait bien trop le fonctionnement des filatures.

« Tu en connais beaucoup pour quelqu’un qui ne me veut pas de mal. T'es une taupe? Un agent infiltré? »

Il ne travaillait pas pour le FBI, je l’aurais su. Peut-être travaillait-il pour la police de San Diego? Je frissonnais, frigorifiée par notre petite balade en moto.

La réaction de l’homme me radoucissait un peu. Il avait l’air de s’en faire pour moi. J’ignorais pourquoi d’ailleurs. Paternaliste? Curieux? Je n’avais pas statué sur le sujet pour le moment. N’en restait-il pas que nous ne nous connaissions pas et que nous n’étions pas partis sur les bases les plus amicales. Je restais donc prudente. Il me demandait si je savais ce que l’on me réservait si l’on apprenait que je faisais partie de la police. Une question qui n’avait pas vraiment besoin de réponse.

« Je sais très bien que l’on ne m’accueillera pas pour le barbecue annuel des Hounds si l’on venait à l’apprendre. »

Loin d’être ravie d’être dans un bar miteux ou lieu des lobbys d’hôtels auxquels j’étais plutôt habituée, je devais pourtant travailler en collaboration avec Hamish. Si je ne le faisais pas, il me dénoncerait. J’étais dans la merde jusqu’au cou, d’un côté comme de l’autre. J’étais foutue. L’homme disparaissait un moment pour revenir avec des serviettes. J’attrapais celle qu’il me lançait.

« Merci. »

Simple, sans animosité. J’épongeais tant bien que mal ma robe avant d’enrouler la serviette autour de ma tête pour absorber l’eau qui se cachait dans mes boucles. Je lui demandais ce qu’il était et sa réponse m’arrachait un sourire en coin. J’avais vu juste. Sa défensive était sans équivoque. Je levais les mains devant moi en guise de signe de paix. Sauf que l’homme se lançait dans une tirade sur la police. Mon cœur se serrait pour lui. C’était un concours de circonstances malheureux. Il aurait probablement pu s’en tirer avec des contacts, des avocats. Mais à défaut de connaître tous les rouages, on tombait dans les crevasses du système. Je savais que mon destin était aussi fragile que son présent. J’étais à risque. Sauf que c’était de ma faute.

« Je suis désolée de l’apprendre. »

Je faisais une pause parce qu’il me mettait en garde et je ne pouvais que hocher la tête. Il avait articulé mes pensées. Il devait savoir, puisqu’il était un peu comme moi, que j’étais trop loin pour m’échapper.

« Je sais ce que je risque… Mais il y a toute aussi terrible finalité de l’autre côté de la couverture. »

Inutile de m’éterniser. J’étais coincée entre un lieutenant pourri et les criminels. J’étais moi-même loin d’être blanche comme neige. C’était ainsi qu’Hamish me faisait chanter. J’étais aussi pourrie que le lieutenant. C’était toujours ces réflexions qui me faisaient tomber dans une spirale angoissante. J’aurais voulu me blottir au fond de mon lit avec Saint… Gumbo… Je ne m’étais toujours pas décidé sur son nom… Ce petit chat errant était un peu comme moi. Sans ancrage, espérant un avenir meilleur. Je soupirais, puis mes pieds avançaient dans sa direction et je lui tendais la main.

« Simone… Enfin, Imani. Simone c’est l'escorte en robe moulante. »

C’était dangereux de lui donner le véritable prénom de ma vie citoyenne, mais quelque chose m’avait poussé à le faire. Comme si j’abandonnais toute façade… Comment être encore plus dans la merde de toute façon? Je me détournais ensuite de lui en frissonnant un peu. Je poussais un rire un peu faux, empreint de nervosité.

« Dire que les adolescents idolâtrent cette vie de crime… Comme ils sont naïfs. »
Il ne travaillait pas pour le FBI, je l’aurais su. Peut-être travaillait-il pour la police de San Diego? Je frissonnais, frigorifiée par notre petite balade en moto.

Je me méfiais encore un peu de cet inconnu. C’était désormais une seconde nature pour moi. Je trahissais la confiance des groupes que j’infiltrais. Pourquoi quelqu’un ne ferait-il pas pareil avec moi? Même si la possibilité que cet homme travaille pour Hamish était de plus en plus mince, il restait la possibilité qu’un membre d’un gang ait pu découvrir ma couverture.

Pourtant, nous nous serrions la main et je posais mes yeux dans les siens. Il avait plutôt l’air sincère. Et si je baissais un peu ma garde? Que pour ce soir? J’étais coincée dans cet endroit de toute manière.

« Enchantée, Hayden. »

Sincère? Oui, quand même un peu. Après tout, il m’avait sorti de la pluie, peut-être d’un faux pas dans le bar également. Nous nous regardions ensuite en silence. Je jetais un regard autour de moi. C’était un drôle d’endroit pour vivre, mais j’avais vu pire. C’était loin d’être chaud, mais c’était salubre et la vermine ne semblait pas envahir l’endroit. Quelques frissons plus tard, Hayden m’indiquait le chemin vers une douche pour me réchauffer. J’étais vraiment transie de froid et je ne refuserais pas l’offre.

« Merci. »

Je commençais à marcher dans la direction de la douche et jetais un dernier regard derrière moi au cas où il s’agirait d’un stratagème. Mais non, il n’en était rien. Je n’avais que vu l’homme retirer son t-shirt avant de prendre les escaliers. Je refermais la porte de la salle de bain derrière moi et retirais mes vêtements détrempés. Ma robe collait sur mon corps comme une deuxième peau et elle résistait même à mes tentatives de l’ôter. Mon soutien-gorge trouvait rapidement le sol et mon string aussi. L’eau de la douche me réchauffait rapidement. J’y restais juste assez longtemps pour me réchauffer. Je me sentais vulnérable dans une telle situation.

Je m’enroulais dans ma serviette et pliais mes vêtements avant de les abandonner sur un coin de comptoir de la salle de bain. Je retournais dans le grand espace où nous étions plus tôt, mais je ne trouvais pas Hayden. Je décidais de gravir doucement les escaliers, espérant ne pas le surprendre en train de se changer. Je le trouvais plutôt recroquevillé sur lui-même, tremblant de froid. Il serrait les vêtements dans ses mains. Impossible de m’habiller avant d’interagir avec lui. C’est sans trop réfléchir que je déposais ma paume à plat sur son épaule et que je le frictionnais un peu avant de l’attirer vers moi pour qu’il se relève. Assis côte à côte désormais, je lui prenais les vêtements de ses mains et trouvais son t-shirt. Je le lui enfilais, un petit sourire un peu gêné sur les lèvres.

« Voilà, ça ira mieux dans un instant. »

Je serrais ma serviette contre ma poitrine avant de démêler les vêtements et trouver le haut qui m’était destiné. Je l’enfilais par-dessus ma serviette pour rester décente et enfilais le bas après lui avoir jeté un regard assez éloquent pour qu’il se détourne. Je retirais la serviette et la jetais dans un coin. Je touchais son épaule une autre fois.

« Ça va, je suis habillée. »

Je lui ouvrais les draps du lit.

« Tu devrais t’allonger sous tes couvertures, tu as l’air au bord de l’hypothermie. »

Le pauvre homme semblait frigorifié. Il articulait à peine des mots brefs, je peinais à la comprendre. Je décidais donc de m’habiller avant toute chose, n’étant pas confortable avec l’idée de rester à moitié nue devant cet inconnu, dans un endroit que je ne connaissais pas par-dessus le marché. Il était assez poli pour détourner le regard alors que je me change et j’en étais reconnaissante.

Je lui ouvrais les draps pour qu’il puisse se glisser dans son lit et se réchauffer. J’aurais pu le laisser se débrouiller, mais il m’avait sorti de la pluie, c’était donc la moindre des choses. Il s’installait et je refermais les couvertures sur son corps pour le garder au chaud. Ma mère nous bordait toujours ainsi, lorsque j’étais enfant. Je m’en souvenais en cet instant.

C’est avec une petite exclamation de surprise que je tombais à plat ventre. Hayden venait de me tirer vers lui alors que je ne m’y attendais pas du tout. Piégée par la poigne qu'il avait sur mon poignet, il décidait de me prendre dans ses bras et je ne pouvais pas me sauver. Évidemment, je montrais un peu de résistance, raide et mal à l’aise. Sauf que je ne tentais pas de m’échapper. L’homme tremblait encore et ses bras étaient glacés.

« O… Okay… »

Je ne bougeais pas. Hayden tremblait toujours. J’osais à peine bouger. Mes mains s’étaient posées sur son torse pour soulever le mien et éviter que nous nous cognions la tête l’une contre l’autre. J’eus un petit rire gêné suivi d’un raclement de gorge. Pourquoi étais-je si mal à l’aise? J’avais pourtant l’habitude de coucher avec toutes sortes de personnes! Était-ce plutôt parce que nous étions habillés et que c’était plus intime que le genre de baises auxquelles je m’adonnais contre de l’argent?

Coincée contre lui, j’attendais qu’il se réchauffe. Il me posait une question, comme pour meubler le silence inconfortable qui régnait dans la pièce. Est-ce que Hamish cherchait à me tuer? Je réfléchissais profondément avant de répondre.

« Je ne pense pas… Je ne crois pas… On ne s’aime pas beaucoup, ça, c’est certain. Disons qu’il est aussi pourri que les gens qu’on infiltre… Je sais des choses sur lui qui pourrait le mettre dans l’embarras… Comme il sait des choses sur moi qui pourraient me mettre en danger. »

Et voilà, c’était dit. Je n’avais pas envie de parler de mes travers à un inconnu, mais la proximité me rendait volubile de toute évidence. Je prenais ses épaules de mes doigts et je me laissais tomber sur le côté.

« Voilà… Avant que je ne me torde le cou. »

Je replaçais la couette sur lui pour le réchauffer avant de planter mes yeux dans les siens.

« Tu peux cacher tes bras sous la couverture si tu veux, je ne m’en irai pas. Tu es glacé. »

Un sourire doux se dessinait sur mes lèvres. J’avais froid aussi, mais beaucoup moins que lui.

« Pourquoi n’as-tu jamais reparlé à la police? Tu aurais pu retisser des liens avec un nouvel agent et t’en sortir, non? »

Je savais pourquoi. Je savais combien les flics pouvaient être pourris. Comment savoir repérer le bon grain du mauvais? Un frisson me parcourait et j’ignorais si c’était de froid ou de dégoût.

L’infiltration était une tâche complexe de la police. Le bien et le mal se mêlaient, il fallait faire preuve de discrétion, parfois flirter avec la limite de ses propres convictions. La situation de Hayden, comme la mienne, n’était pas un problème simple. Les enjeux étaient grands et le prix à payer pouvait être celui de sa propre vie. Il fallait posséder une certaine force intérieure pour survivre dans le domaine.

Le silence qui nous entourait dans ce hangar ne me pesait pas. Le tumulte des jours d’infiltration me faisait apprécier le silence. Certains pourraient se trouver incommoder d’un silence avec un étranger, mais ce n’était pas mon cas. Hayden semblait se réchauffer sous les couvertures. Il grelotait moins, arrivait à parler aussi. Je l’avais emmitouflé dans les draps. J’avais froid moi-même, mais beaucoup moins que lui, de toute évidence.

Il me racontait un peu son histoire et je l’écoutais avec beaucoup d’attention, sans l’interrompre. Couchée sur le côté, je tentais d’analyser son visage. Il semblait honnête, mais aussi complètement désillusionné par la police. Mon cœur se serrait et je me sentais soudainement mal à l’aise. Je faisais ce métier pour protéger les innocents. Il devait s’être inscrit à l’académie de police pour les mêmes raisons que moi. Je fronçais les sourcils. L’injustice qu’il vivait me transperçait les entrailles.

« Il doit bien y avoir un dossier quelque part… c’est impossible. »

Je mordillais ma lèvre, prise dans de profondes réflexions. Je tentais de trouver une solution, mais je n’y arrivais pas. Mon corps roulait doucement et je me retrouvais à fixer le plafond, une paume à plat sur mon abdomen. Un soupir.

« Il y a assurément une solution. Le plus difficile est de la trouver. »

Des avocats? Démontrer l’innocence dans une accusation déjà tombée était difficile, mais cela existait. Un autre silence. Je finissais par articuler :

« Je suis du FBI. »

Je tournais ma tête dans sa direction.

« Mon contact ce soir était un de la police de San Diego. Le lieutenant qui m’a mis en relation me déteste… Le sentiment est réciproque. »

C’était chose connue que les différents corps policiers américains peinaient à travailler de concert. Des combats d’égo. Qui pisse le plus loin. Hamish était de ces policiers fiers. Il aimait probablement recevoir tous les éloges. Hayden me conseillait de me tirer de la situation et je soupirais à nouveau. Pas parce que j’étais excédée, mais plutôt parce que je sentais tout le poids de mon rôle me peser lourdement.

« Je ne veux pas me tirer… Enfin, je ne veux pas le lieutenant dans les pattes, je veux retrouver mon poste habituel. »

Je me retournais sur le côté pour le fixer.

« Je connaissais les dangers. Je n’en suis pas à ma première infiltration. Tout se passait bien avant l’implication du lieutenant. Je veux changer les choses. Je sais que le crime organisé ne disparaîtra jamais, mais je veux leur mettre des bâtons dans les roues. »

Mourir? Oui, c’était possible. Sauf que j’étais débrouillarde. Et je voulais protéger les civils. Faire ma part. Un frisson me parcourait le corps et je croisais les bras afin de poser mes paumes sur mes bras pour me réchauffer. Je lui offrais un sourire aimable.

« Nous ne règlerons aucun dossier ce soir, j’ai l’impression. »

Je me calais contre un oreiller, fermais mes paupières doucement. La pluie martelait le toit de tôle du hangar. C’était une mélodie apaisante maintenant que nous étions à l’abri.

« Oublions la merde et la possibilité de mourir pour le moment. Au moins, nous sommes au sec. »

Rien ne s’était passé comme prévu ce soir. Le contact d’Hamish ne s’est jamais présenté, ce crétin que je trouvais de moins en moins crétin m’avait démasqué… Et j’étais désormais étendue dans son lit, avec lui par-dessus le marché! Nous avions roulé dans un déluge, transis de froid. Mais je me sentais désormais plus calme, peut-être lasse aussi. Le métier que je faisais était dur et solitaire. Hayden semblait lui aussi coincé sur une île déserte, mais nos îles respectives n’avaient rien de tropical. Plutôt comme si ces îles se trouvaient au beau milieu du passage de Drake, en pleine tempête, avec pour seul signe de vie un albatros qui tente de se mettre à l’abri. Pas une âme humaine à proximité. Que la solitude et le danger.

Hayden ne semblait plus vouloir se battre pour retrouver une vie libre. Même si je le comprenais, mon esprit combatif tenait à trouver une solution. Sauf qu’il était inutile de tourner autour de ce sujet qui ne mènerait nulle part. Je me contentais donc de poser mon regard dans sa direction.

« Je suis désolée. »

Ce n’était pas ma faute, mais sa situation me désolait quand même. Le pauvre homme semblait dans une impasse et cela devait être aussi déprimant que stressant. Je me calais dans le lit et il me surprenait en me couvrant d’une partie de la couette.

« Oui, un jour à la fois… »

Je sentais déjà le sommeil me gagner. Mes paupières se fermaient lourdement et aussi étrange que cela pouvait paraître, la présence d’Hayden me rassurait, en quelque sorte. J’avais l’habitude de vivre et dormir seule, mais ce n’était pas parce que cela était devenu une habitude que cela me plaisait. La proximité d’une autre âme, d’un humain avec ses tracas et ses émotions, avait quelque chose de réconfortant.

Une nuit sans rêve, une demi-mort. J’étais probablement épuisée, encore une fois. Hayden s’agitait dans la nuit et je l’entendais respirer différemment alors que je dormais toujours. C’est à moitié consciente que je me rapprochais de lui pour passer mon bras par-dessus la couette et poser ma paume sur lui, pour faire un point de pression calmant. Mon père avait l’habitude de me faire ce genre de point de pression quand je faisais un cauchemar lorsque j’étais enfant. Je ne sais même pas si mon mouvement m’avait éveillée ou si je l’avais fait par automatisme. Au matin, j’ouvrais les yeux et réalisais que j’étais blottie contre lui.

Je m’éloignais en douce, mal à l’aise de cette proximité avec un inconnu. Le contexte était bien différent de ce dont j’avais l’habitude. Allongée sur le dos, les yeux fixant le plafond, je prenais quelques minutes pour laisser le sommeil faire place à l’éveil, puis je me levais. Toujours vêtue des vêtements prêtés, je descendais l’escalier à pas de souris et me dirigeais vers la cuisine. Rapidement, je trouvais du café et une bouilloire. En fouillant, je trouvais de quoi faire des omelettes de fortune. C’était étrange de cuisiner pour quelqu’un avec qui je n’avais même pas passé un moment charnel. Une occasion rare, pensais-je. Il ne fallut qu’un haussement d’épaules pour que j’efface cette pensée et que je me concentre de nouveau sur la tâche que je m’étais trouvée.

Un bruit dans l’escalier me faisait comprendre que l’homme était debout et je levais la tête à son approche. Je lui offrais un sourire un peu gêné.

« Bon matin… Je me suis permis de cuisiner en guise de remerciement… Mais aussi parce que je déteste n’avoir rien à faire. Il y a du café juste là. »

Nous avions commencé notre relation du mauvais pied, mais je savais tout de même me rattraper. Je posais les omelettes dans des assiettes et les installais sur la table avant de m’assoir.

« Bon appétit… enfin si tu as faim… »

Comment se faisait-il que je sois de nouveau mal à l’aise? C’était une sensation étrange.

« Je… Je vais partir rapidement, j’ai déjà abusé de ton hospitalité. »

Mes vêtements de la veille étaient probablement encore trempés, mais ce ne serait qu’un moindre souci qui se réglerait facilement une fois à la maison.

Il avait l’air surpris de me retrouver dans sa cuisine. Peut-être pensait-il que j’allais me sauver sans demander mon reste. En fait, je me posais la même question. Peut-être était-ce ma façon de le remercier pour la nuit au sec et son aide maladroite pour mon infiltration ratée. Je l’ignorais. Mais l’omelette était prête et elle sentait bon. Il me remerciait et je lui offrais un sourire sincère. J’aimais cuisiner.

À Charleston ou à la Nouvelle-Orléans, j’avais toujours aimé cuisiner pour ma famille. C’était ce qui nous rassemblait chez les Vandross. Pour réconcilier les gens après une dispute ou pour célébrer ensemble, les chaudrons et les saveurs avaient toujours été au rendez-vous. Je pense que même ridée, courbaturée, alourdie par le poids du temps et déformée par l’arthrite, je me souviendrai encore de ma mère qui chante en préparant du griot pour toute la famille.

Tenace, Hayden réitérait son souhait de me voir abandonner les infiltrations. Je fronçais les sourcils. La nuit et les rêves ne lui avaient pas ôté cette idée de la tête. Je me tournais vivement pour laver la poêle pour calmer l’impulsion vive que cette suggestion déclenchait. Abandonner l’infiltration? C’était bien tout ce que je savais faire! C’était toute ma vie, je vivais pour ce travail. Le simple fait de m’imaginer en train de faire autre chose me créait un profond vide et un sentiment de panique. J’étais qui si je n’étais pas Simone?

La poêle lavée et séchée, je disparaissais un moment dans la salle de bain et revenais. Je m’approchais de lui et lui prenais la main pour déposer le billet de 50 dollars dans sa paume. Le papier était trempé et froissé.

« Je pense que ce billet est ruiné, mais le voici. »

Il avait peut-être raison. Ma vie serait peut-être trop courte pour que je puisse me rappeler le bon vieux temps dans ma chaise en me berçant. Je l’ignorais. Je jouais à un jeu plus dangereux que la majorité des humains. Sauf que je me sentais vivante.

Je m’assoyais en face de lui après sa question. Pourquoi je faisais cela? J’inspirais avant de lui répondre en posant d’abord une question.

« Connais-tu Raymond Vandross? Non, bien sûr que non. Mais si je te parle de George Floyd, j’imagine que cela te sonne une cloche… Raymond, c’était mon oncle. Un homme sans histoire. Abattu par erreur par la police. Son destin a été scellé parce qu’il était massif et sa carrure a fait peur à l’officier. La police cherchait un criminel en cavale. »

Je faisais une pause pour me gratter le bout du nez de ma jointure afin de conserver mon calme et m’empêcher de pleurer en pensant au triste sort de mon oncle.

« Je veux coincer les criminels. Je veux venger mon oncle. Je veux aussi prouver que la police peut faire partie de la solution… Peut-être ai-je tort, mais je veux essayer. »

Je me penchais au-dessus de la table.

« Il y a plein de gens innocents à protéger. Le crime organisé a un terrain de jeux beaucoup trop grand et les membres des gangs empiètent sur la vie des gens sans histoire. Et quand la police trempe dans tout cela, ça finit en bain de sang. J’aimerais faire le ménage une bonne fois pour toute. En m’infiltrant, j’espère diminuer les bains de sang et les dommages collatéraux. Pour qu’il n’y ait plus de Raymond Vandross couché au sol, criblé de balles, la tête dans une mare de sang. »

J’avais beaucoup parlé et je baissais les yeux. C’était beaucoup d’informations à déballer à un inconnu. Pourtant, cela me faisait un bien fou. Je ne voulais pas lâcher le morceau parce que je voulais la justice. Je m’en rendais compte désormais.

« Désolée pour le 50 dollars… »

J’esquissais un sourire gêné. C’était probablement mon moment pour tirer ma révérence et pourtant je ne bronchais pas d’un millimètre.

Hayden savait exactement quoi dire pour créer chez moi un sentiment de confusion absolu. En une nuit, il m’avait plongée dans plus de réflexions que j’avais pu le faire en plusieurs mois. Il repoussait le billet de 50 dollars dans ma direction et je le laissais sur la table avec un sourire. Je ne pouvais accepter… Je n’avais fait que dormir! Et puis, en même temps… Depuis quand avais-je des principes? Je me sentais confuse et je trompais cette sensation en le remerciant pour le café.

Il me demandait en quoi consistait ma mission de la veille et je me dandinais un peu sur ma chaise. Il était un Hound, d’une certaine façon… J’ignorais si j’étais à l’aise de lui parler dans les moindres détails. J’inspirais un bon coup. Il en savait tellement maintenant… À quoi bon m’arrêter?

« La mission d’hier n’est pas reliée aux Hounds directement. La police municipale a remarqué un nouveau gang qui tente de s’établir exactement sur le territoire des autres gangs déjà en place. Ça occasionne de la violence et des dangers pour la population générale. Un des contacts du lieutenant qui m’a mandatée devait parler hier au bar où tu m’as trouvé… Apparemment, il a changé d’idée. »

Je faisais une pause.

« Je n’infiltre pas ce genre de lieu habituellement… Ce n’est pas ma couverture fédérale. »

Un drôle de rictus déformait mon visage. La mission d’hier m’agaçait. J’étais loin d’être à l’aise dans le contexte où Hamish m’avait lancé hier. Je devais espionner des têtes dirigeantes normalement, pas arrêter des petits trafiquants. Hayden me posait une question supplémentaire. Pourquoi je poussais l’infiltration d’hier. C’était tellement compliqué à expliquer. Je soupirais, lasse.

« Je suis comme toi… coincée par des décisions qui ne sont pas toujours les miennes... Et aussi par mes mauvaises décisions. »

Nous nous ressemblions sur ce fait. Je ne pouvais refuser les demandes du lieutenant.

« Si j’échoues, il me balance. Je ne suis pas blanche comme neige. »

Je buvais une gorgée de café. Hayden avait une bonne oreille.

« Je conserve une bonne partie l’argent de mes… services. »

J’étais lasse. Je me sentais vide et honteuse.

« La vie d’infiltration est plus dure que ce que mon salaire paie. Si je me fais prendre… Je perds mon emploi, j’ai des accusations sur le dos. Je ne suis pas meilleure que tous ces criminels que j’infiltre, tu sais? »

Un rire sarcastique s’échappait de mes lèvres.

« Quelle ironie quand même… »

Je plantais mes yeux dans les siens, avec un regard déterminé et sérieux.

« Tout ce que je voulais, c’est faire tomber les chefs des gangs… Le lieutenant m’a relégué à jouer les putes de mauvais quartier… J’avais un rôle tout tracé, beaucoup plus sécuritaire. Maintenant, je dois retravailler ma couverture pour remonter où j’en étais. »

Oui parce que jouer les escortes de luxe signifiaient ne pas traîner sur les trottoirs et dans les bars miteux. Mes doigts jouaient avec l’anse de la tasse de café.

« Tu fais de la moto depuis longtemps? »

Tentative malhabile de tromper mon malaise.