Un homme traqué se lasse parfois de la méfiance et aspire à l'amitié. // Zom 1

--Outfit-- Je n'aime pas être traquée ! Parce que je suis le prédateur, pas la proie. Alors même si ce flicaillon n'a rien de solide, je n'aime pas qu'il refuse de laisser tomber. Preston est mort et enterré désormais. L'autopsie n'a rien pu prouver, si ce n'est une malencontreuse réaction allergique. Le pauvre homme a fait une réaction très violente, le tout assortie d'une fausse route. Il s'est étouffé au restaurant, devant tout le monde, s'effondrant sur la table alors que je poussais de petits cris d'orfraie fort convaincants. J'ai misé sur l'immobilisme des forces de l'ordre j'avais raison.

L'ambulance l'a évacué, déjà mort, j'ai disparu dans la nature. Preston Elliot Cheridan président directeur général de la Banner Bank de San Diego, ma première cible pour mon tout nouvel employeur : Syrus Payns. Pas le plus difficile à atteindre ou à tuer, mais le cahier des charges était précis. Lieu public et classement sans suite, comme un accident, ou la faute à pas de chance. Alors ce Tom... Jackson ? Il va me lâcher la grappe? Je déteste quand un grain de sable vient enrayer ma belle mécanique. Donc je me renseigne sur les habitudes du Lieutenant Jackson, de la brigade criminelle. Les taupes dans la police, ça pullule mieux que partout ailleurs, à croire que c'est une sorte de sport national de poulets. C'est pratique, suffit de savoir à qui s'adresser. Willis est un parfait exemple, il est tellement bavard que j'aurais presque envie de lui dire de fermer sa gueule passé un moment. Mieux en plus, il ne m'a jamais vue. Contact téléphonique uniquement et virement en bitcoin, intraçable. Parce que je ne rêve pas ! Une pute pareille, ça se retourne allègrement contre la main qui le nourrit hein?

Il m'a parlé de son collègue sans aucun problème, ma voix déformée électroniquement ne semblant pas un frein. C'est ainsi que j'ai eu vent de l'habitude du lieutenant de venir précisément dans le bar où je l'attends en ce moment. Je suis venue hier déjà, pour observer, voir à qui j'avais à faire, avant de revenir aujourd'hui. Il aura sans doute déjà aperçu ma silhouette, c'est le but. Pour qu'une rencontre paraisse fortuite, il faut commencer par s'imprimer doucement dans le paysage. Donner l'illusion qu'on a toujours été là, qu'on est donc pas une menace.

La porte s'ouvre et du coin de l'oeil je le vois entrer. -"Georges? Je peux ravoir un café ! Il est excellent et je crois que je vais en avoir besoin." Je pousse un soupir à fendre l'âme. -"Vous y croyez vous ? Perdre ma carte de presse aujourd'hui? Alors que je devais entrer au SPDP dans quoi ? 40 minutes?" J'ai l'air catastrophée, je secoue la tête et me triture les mains, image de l'accablement. J'ai poussé le vice jusqu'à discuter avec ce bon vieux Georges pendant deux heures... qu'il voit le désespoir dans mes prunelles. Naturellement les gens sont cons ! Ils veulent aider, sans voir plus loin que le bout de leur nez. J'escompte bien trouver ce trait de caractère chez ce vieux barman et mes doutes s'estompent quand il pousse un petit soupir satisfait en avisant Tom. L'homme de la situation ! Jackson ! Je me tourne vers lui alors qu'il se fait apostropher tout mon attention centrée sur le fait de ne rien trahir de ma satisfaction. C'est l'univers qui nous présente, je n'y suis pour rien. Emily est journaliste, elle devait intervenir au poste aujourd'hui mais elle a égaré sa carte de presse. Elle est arrivée hier la pauvre... et enfin son journal ne va pas lui financer de nouveau un voyage pareil. Tu pourrais pas lui faire visiter toi? Une petite tournée des backstage de la criminelle? Il m'adresse un clin d'oeil et je le remercie de mon plus beau sourire avant de tourner un visage suppliant vers ma cible. Allez Tom... dis oui... qu'est ce que tu risquerais, entouré de tes copains poulets?

@Tom Jackson

-"Bonjour." J'assortis mes salutations d'un petit sourire, baissant le visage, comme si j'étais réellement intimidée. Jackson... l'inspecteur en charge de la mort de cet idiot d'avocat à la lippe tombante, celui qui ne veut pas lâcher l'affaire. Maintenant il faut simplement réussir à l'approcher. Mais en bon poulet il se montre évidemment suspicieux. -"Sincèrement c'est compliqué, j'ai un peu honte en fait." Secouer mes cheveux, remonter les yeux, les plonger dans les siens. Un regard brillant d'espoir, comme si il pouvait m'aider à un point inimaginable.

Comédienne hors pair, j'ai appris à mimer toutes ces émotions que je ne ressens pas. C'est ainsi qu'on évolue dans le monde quand on est un caméléon. Je sais repérer les émotions, ainsi que l'état dans lequel elles plongent les gens. C'est une arme, qu'il suffit d'utiliser ensuite à loisir. -"De base ce n'est pas moi qui devait venir mais Stacy, sauf qu'elle est malade et qu'elle m'a demandé de venir à sa place. Je voudrais bien faire mais c'est un peu fichu maintenant." Ne rien demander, ne surtout rien lui demander. Qu'il ne puisse pas penser que je suis en attente, au contraire. Je n'attends plus rien beau policier. J'ai tout gâché ... La propension des poulets à être des chevaliers blancs est connue et reconnue. Voyons si monsieur Jackson résiste ou non à l'appel du pied d'une demoiselle en détresse.

-"Je crois que c'est avec le lieutenant Hernandez qu'elle avait rendez-vous." Ce flic de la criminelle, blessé dans l'exercice de ses fonctions, qui est à l'hôpital actuellement. Allez Tom, propose de le remplacer. Il plaisante en disant qu'il me suffirait de taper sur un flic et je ris doucement avant de me mordre la lèvre. -"Se taper un flic hein?" Jouer sur la gamme de la séduction? Mmm si ça me permet de voir s'il est réceptif, pourquoi pas? Je suis consciente d'avoir un physique attrayant, s'il sert mes intérêts je n'y vois aucun désagrément.

-"C'est juste dommage, que je n'ai pas été plus organisée pour une fois." J'hausse une épaule faussement déçue. -"On peut dire que ça m'apprendra." Je sors mon téléphone et pianote le numéro pré-enregistré. -"Louis c'est Emily. J'ai un problème, avec mon interview au SDPD, j'ai perdu ma carte de presse. Pourrais tu essayer de les appeler? Pour leur dire que je travaille en freelance pour le journal ? Je sais pas si ça suffira, mais ça sauvera peut être mon article ?" Autre technique? Oui bien entendu, regarde mon beau policier, écoute mes arguments, alors que ce n'est pas à toi qu'ils sont destinés. Vois mon désespoir... Tout ce dont j'ai besoin c'est d'une occasion de lui parler, je me fous d'entrer dans son commissariat miteux, au contraire même, je n'ai pas très envie d'y laisser trainer mon adn. En revanche, une longue conversation avec le joli inspecteur Jackson? En tête à tête, les yeux dans les yeux? Mmm ça, c'est exactement ce qu'il me faut. Avantage du pseudo statut de journaliste, poser des questions devient tout à fait normal. Juste pour savoir à qui j'ai à faire et comment je peux utiliser ce qu'il est contre lui, en tout cas suffisamment pour le détourner de mes traces.

Quand il réagit en parlant de l'hospitalisation d'Hernandez, j'ouvre des yeux de biche effarée. Surprise parfaitement jouée, petit air navré et triste. -"Oh mon dieu, je suis désolée, rien de grave j'espère?" Je ne connais pas ce type et son sort m'indiffère mais j'ai appris avec le temps que mimer l'empathie a tendance à la provoquer chez les autres. Alors si je veux que ce gentil monsieur Jackson se décide à m'aider, il faut mettre toutes les cartes de mon côté. D'ailleurs mes arguments, développés au téléphone à un complice, payé pour jouer le jeu, qu'il puisse l'entendre me répondre, vont achever de le convaincre.

Je n'ai rien d'une menace, au contraire ! Je suis juste une pauvre fille paumée qui espère recevoir un peu d'aide d'un grand chevalier blanc. Un peu d'humour, une touche de séduction, tout avance selon mon plan et il en arrive à prononcer la phrase que j'attendais. Je lui adresse le sourire le plus étourdissant que j'ai en stock et me lève, pour passer derrière le bar, posant une bise sur la joue d'un Georges rougissant. -"Merci Georges, vous êtes génial." Je repasse de l'autre côté, affichant l'air émerveillé d'une gamine un matin de noël.

-"Merci beaucoup, vous êtes génial. Et oui promis, la prochaine fois je serais plus organisée." C'est très amusant à dire quand on sait à quel point j'ai tout programmé avant de me pointer dans ce bar. On avance de rue en rue et je me contente de sourire et de le regarder posément. -"En fait, j'ai vraiment envie de décrire le quotidien d'un agent de la criminelle. Que vous puissiez me parler de vous, de vos motivations, des difficultés du métier, des cold cases peut être? Finalement l'article c'est vous qui allez me l'inspirer. Mais je peux parfaitement ne pas vous citer nommément. Vous n'avez jamais eu envie de changer d'identité le temps d'une soirée?" Petit sourire et clin d'œil à ce que je fais moi même en permanence, même s'il ne peut en percevoir l'ironie.

On arrive près du SDPD et je dois contenir ma répulsion à l'idée d'y entrer. J'ai le sentiment d'être la louve qui entre dans la bergerie, tout en étant aussi le condamné qui monte à l'échafaud. C'est dangereux pour moi de me trimbaler là-dedans. Surtout quand on sait que quelques unes de mes cibles étaient justement des poulets. Quand on veut faire disparaître un flic, mieux vaut le faire discrètement, n'est ce pas? -"Je sais que l'exercice peut être difficile, parler de soi c'est souvent compliqué. Alors je... enfin... n'hésitez pas si vous avez des questions. J'y répondrais avec plaisir et vous aurez moins l'impression d'être un sujet d'étude, ou la cible d'un interrogatoire." Je ris doucement, faussement timide. -"Même si sur ce point, vous vous y connaissez mieux que moi." Emily est un rôle assez facile à endosser, peut être bien parce que l'inspecteur Jackson est très agréable à regarder? Mmm oui il est probable que ça joue. Mais il aurait été laid à vomir, que j'aurais déployer le même charme, parce que je ne recule devant rien quand l'objectif en vaut la peine. Disons que dans ce cas précis, ça me permet de joindre l'utile à l'agréable. Je regarde son cul alors qu'il passe devant moi pour m'ouvrir une porte et souris doucement en pensant "voire au très agréable".
 

Pas si simple à flagorner le monsieur. Parfait ! Je n'aime pas la facilité, c'est d'un ennui sans nom. Alors je continue à sourire, d'un air totalement dégagé et innocent, pendant qu'on progresse vers les locaux du S.D.P.D. Il reprend la parole, me disant qu'il n'est pas Georges et m'indique que je suis entrée et que je n'ai plus qu'à aller rencontrer mon contact. Je m'arrête, mime la tristesse et pousse un petit soupir parfaitement contrit avant de relever les yeux vers lui. -"Mais, inspecteur ! Vous m'avez dit qu'il est à l'hôpital." Un mouvement de tête, pour que mes cheveux virevoltent et se replacent dans mon dos. -"Je vais donc devoir faire le tour des bureaux pour voir si un de vos collègues est d'accord de me parler de son métier." Haussement d'épaule, signifiant que je ferais avec et je tourne sur moi même, comme pour décider d'une direction.

-"Peut être que vous auriez une idée? De par qui je pourrais commencer?" Sourire timide qui demande un petit coup de main. Mais je me dis que c'est un peu trop insistant, alors je prends un couloir, sur la droite et frappe au premier bureau que je trouve. J'attends qu'on me dise d'entrer et j'affiche mon plus beau sourire en poussant la porte. Un homme, grand, quarantenaire, parfait ! Cible idéale. -"Bonjour, excusez moi de vous déranger, je m'appelle Emily, je suis journaliste, on m'a invité à faire un reportage pour le journal qui m'emploie. Vous seriez absolument adorable si vous acceptiez de me parler des enjeux de votre travail d'inspecteur." Il se lève et je lui adresse tous les signaux de séduction possible.  -"Malheureusement l'inspecteur Hernandez qui devait me recevoir, a été blessé? Et le charmant inspecteur Jackson n'aime pas beaucoup les journalistes, je le crains." Je le désigne d'un petit mouvement du menton et reste dans l'embrasure de la porte, comme si j'espérais qu'il me contredise, qu'il me rejoigne, qu'il se décide à faire cette interview. D'ailleurs c'est lui que je regarde quand je reprends -"Clairement je ne compte pas poser de question personnelle et je ne citerais pas l'identité de celui qui m'aidera." Soupir et regard qui s'aimante au sien -"Mais je serais éternellement reconnaissante."

Mmm odieuse menteuse qui avance masquée pour essayer d'obtenir ce que je veux. Je ne sais même pas qui est cet autre inspecteur et je me fous bien de ce qu'il pourrait me raconter. Il s'avance, approche et regard Jackson lui aussi. Si t'as pas le temps j'm'en occupe. Exactement ce que je voulais obtenir, il a un ton presque libidineux et laisse peu de doute, sur la façon dont il veut, "s'occuper" de moi. Je fais une petite moue heurtée, plonge les yeux dans ceux de Tom, sans dire un mot, le suppliant en revanche silencieusement de m'aider. Chevalier blanc un jour... Petit tremblement de mes lèvres alors que j'inspire, comme si c'était ardu. Jouer la comédie est devenu ma nature, finalement sans mes masques, j'ignore qui je suis.

Décidemment monsieur poulet a décidé d'être dur en affaire. Je lui lance un regard triste, façon S.O.S espérant qu'il regrette et change d'avis, mais non, il laisse son collègue s'avancer et ouvrir le petit bureau attenant. Smith... la cinquantaine bedonnante et... ce que je déteste, la petite main baladeuse qui se pose au creux de mes reins pour m'inviter à entrer. Pourquoi font ils ça? Ont ils vraiment le sentiment qu'un contact physique va nous faire fondre de désir? Qu'on est programmées pour s'agenouiller et les regarder avec béatitude au moindre effleurement? C'est vraiment se foutre le doigt dans l'œil jusqu'au coude, mais... passons. J'entre dans le petit bureau et me tourne pour lancer une dernière œillade à ce Jackson. Je suis agacée, vraiment profondément, même si la douceur d'Emily le masque savamment.

Le vieux s'installe et me demande comment il peut m'aider. Soupir et regard qui se hisse au plafond. J'ai envie de le tuer... c'est juste monstrueux comme ça me prend aux trippes. Parce qu'il contrarie mes plans, parce que je n'ai pas de temps à perdre à l'écouter me raconter sa petite vie de petit flic. Je m'approche et ferme les yeux quelques secondes, songeant au fait que je suis au milieu du S.D.P.D et que c'est sans doute le pire endroit pour commettre un meurtre. A moins que... à moins que ça ne me permette de voir l'inspecteur Jackson à l'oeuvre?

Réfléchir, avancer, ok, question. -"Je rêve de découvrir votre métier inspecteur Smith, je vous remercie d'accepter de m'aider." Je m'approche, parlant haut, qu'on m'entende. Assise face à lui, je mêle mes jambes aux siennes, faussement distraite, décidée surtout à ce qu'il foute son cerveau sur pause et sa queue en action. Comme ça au moins... mes réponses n'auront pas la moindre importance. Je crois que ça marche à merveille vu comment il a les yeux exorbités sur mon décolleté. Parfait connard... mate... et parle... pendant que je trouve comment te tuer.

Mon sourire est doux et aimable alors qu'il commence à déblatérer. Strangulation ? Impossible évidemment. Que ce soit les traces ou le bruit, je serais grillée... Lui enfoncer la trachée? Efficace et redoutable mais il faut que je trouve sur quoi et pourquoi il serait tombé? Mmm trop risqué ! Pourtant savoureux, j'ai déjà la sensation délicieuse du craquement au bout des doigts et je pousse un petit soupir. Je passe en revue mes options, alors qu'il parle, et parle encore les doigts effleurant mon genou. Je suis tellement heureuse d'avoir mis un jean, pour m'éviter le peau à peau. Je souris pourtant et l'encourage d'un mot ou d'un geste. Scellant sa fin dans mon esprit.

C'est tout le contraire de ma façon de faire. Parce que j'agis sur impulsion, sans contrat, prenant des risques inconsidérés... Mais je crois que c'est ce qui m'excite ? En tout cas je finis par me pencher vers lui, comme pour lui faire une confidence. J'ai choisi... il se penche, tout heureux de sa chance et ma main se fait vive pour planter dans sa carotide une aiguille très fine, mon autre main pousse le piston et je lui injecte tout simplement 20 ml... d'air. Je me recule alors qu'il se lève, horrifié mais surtout déjà aux prises avec une douleur insoutenable... C'est douloureux comme mort... mmm je sais. C'est ce que semble lui dire mon sourire alors que je fais disparaître la seringue dans ma bottine, l'aiguille dans ma poche arrière, indétectable. -"Hey monsieur Smith, tout va bien ?" Je parle un peu fort mais surtout je le saisis pour appuyer fortement sur sa poitrine, comme si je voulais l'aider à respirer, alors même que je précipite l'arrêt de son coeur. -"HEY ! IL NE VA PAS BIEEEEEN !" Mimer la panique alors que mes yeux froids sont rivés aux siens quand je le contemple en train de crever. Serpent... un jour, serpent toujours.

Crier à l'aide, en attendant juste assez longtemps pour être sure qu'il crève, voir dans ses yeux qu'il se sait condamner et me gorger de ce sentiment de puissance et d'impunité qui me pousse à prendre toujours plus de contrat. Je fais monter les larmes et les laisse couler sur mes joues, plantée, figée, me gorgeant de la situation enivrante à mes yeux. Les poulets entrent, se jettent à corps perdu dans une réanimation cardio pulmonaire totalement inutile. Je referme les bras autour de moi, me berce doucement, pleure toutes les larmes de mon corps et exerce tout mon contrôle sur mes zygomatiques. Je ne dois pas sourire, surtout pas, même si mon coeur chante. Mmm en ai je vraiment un ? Rien n'est moins sure.

Une policière approche, me questionne sur ce qui s'est passé. Je laisse franchir les mots, d'une voix blanche. -"Je ne comprends pas... je ... je ... il me parlait... et tout à coup..." Mimer le choc, la sidération, secouer la tête et donner quelques vagues explications. -"Il s'est avachi en se tenant le... la poitrine..." Un petit hoquet, sanglot et la voix qui se serre. -"Il va s'en sortir hein? Il va bien?" Oh comme je pousse le jeu d'actrice, c'est jouissif, et ignoble, tout à la fois. On me fait sortir et rapidement les secours arrivent, pour prononcer l'heure de la mort. Je suis la mort ! Je baisse la tête, pour dissimuler la lueur prédatrice dans mon regard et me laisse ballotter dans un autre bureau. C'est là que l'inspecteur Jackson me retrouve, indiquant qu'il va me raccompagner. Je me lève pour le suivre, abattue, silencieuse, chassant quelques larmes du revers de la main.

On gagne sa voiture et je lui donne l'adresse de l'hôtel non loin dans lequel j'ai réservé une chambre à mon nom d'emprunt. Je suis un animal au sang froid, je ne laisse habituellement rien au hasard. On roule et je me tourne vers l'extérieur, relève mes jambes pour les replier sur le siège alors que mon front se pose sur la vitre. Il prend la parole, comme je l'espérais, alors qu'on s'arrête à un feu rouge et je me tourne vers lui. -"Je... je n'ai rien pu faire... je... c'est la première fois.... que je vois quelqu'un... mourir." Délicieux mensonge pour Zélie mais après tout c'est Emily qui parle non ? La délicieuse et délicate journaliste, confrontée à la mort pour la toute première fois. Il ne pourra pas résister à son empathie bien longtemps. Je pousse le curseur, affichant des traits ravagés, joués si souvent devant le miroir. -"Pardon... je ne vous ai même pas demandé, comment vous allez?" Concernée la journaliste, par la peine que l'on peut ressentir à perdre un collègue. Même un connard libidineux et tripoteur comme celui là. Quelle dinde cette Emily. Pensée volatile alors que je pousse un petit soupir. -"Je... ça va aller. J'aurais juste préféré rentrer à la maison, mais mon vol est demain. L'hôtel toute seule après une journée pareille, j'avoue que ça m'angoisse un peu." Sourire doux, presque mièvre et petit haussement d'épaule, l'air de dire que je ferais avec.  

Dérouler, tranquillement, sans vouloir aller trop vite. C'est simple en apparence, mais ça demande énormément de concentration et de retenue. Il serait tentant de pousser l'avantage dès qu'on sent son vis à vis réceptif, mais ce serait l'échec assuré. D'autant que l'inspecteur Jackson m'a montré qu'il n'aime pas du tout qu'on le dirige, à sa façon bien sur... J'esquisse un petit sourire doux, en réponse à sa remarque. Personne ne mérite de mourir? Je ne pense pas que ce soit suffisant pour arrêter les parques. Elles déroulent, elles mesurent et un jour, elles coupent le fil. Sa longueur n'appartient à personne d'autre, sauf quand... quelqu'un s'en mêle. J'aime ce pouvoir, il est ma revanche sur la vie, sur une jeunesse qui a éteint les prémisses d'une humanité que je n'ai jamais découverte.

Pourtant c'est exactement là dessus que j'appuie, venant esquisser des peurs que je n'éprouve nullement. Smith est déjà oublié, je me contrefiche de ce connard, à la limite je regrette seulement qu'il ait vécu assez pour me tripoter le genou. Mais je sais que l'empathie est le meilleur accès aux autres. Quand ils ont le sentiment de partager une émotion, ils s'y laissent aller. J'écoute sa proposition, me tourne vers lui, ourle les lèvres en une moue hésitante. Qu'il ne puisse pas penser que c'est exactement là que je voulais l'emmener. Feindre, jouer, corrompre et recommencer... Mmm j'ai oublié tuer dans l'équation, mais l'inspecteur Jackson n'est pas une cible, c'est un défi ! Je veux comprendre ce qui le fait tilter dans mon modus operandi, pour gommer les erreurs potentielles. Je n'ai pas le droit à l'erreur, pas avec un métier comme le mien. Entre les flics, le risque de me faire coffrer, et les proches de mes victimes, j'aurais vite une vie impossible. Combien de morts ai-je laissé derrière moi ? Je pourrais le savoir, puisque je note, chaque contrat, mais je n'ai pas poussé mon obsession jusqu'à en garder le compte. Peut être parce qu'il y'en a trop ? Enfin... pour le commun des mortels, un c'est déjà trop.

Je n'ai pas en tête le souvenir de chaque être dont j'ai pris la vie. Comme dans les films, l'assassin torturé par l'horreur de ce qu'il a commis... C'est amusant ! Comme si il fallait mettre un peu d'humanité en chacun ! Mais c'est une utopie. J'avance dans ma vie sans regret, ni remord, profitant simplement des largesses de mes clients pour l'avoir la plus confortable possible. -"Je crois qu'il y'a un bar oui, mais je... enfin... on pourrait faire monter des consommations? Je... j'ai besoin de prendre une douche." Je pousse le curseur, impose plus d'intimité, mais comprenez moi Tom, j'ai l'impression que la mort rode sur ma peau, qu'elle me dévore et m'effraie... Enfin, c'est surement ce qu'Emily pourrait dire pour se justifier. Je relève le menton et fronce délicatement le nez, image de la candeur. Allez plonge Jackson, laisse toi faire.

Impressions, sensations, émotions... tout est un jeu, dont j'use et abuse, sans remords. Je n'éprouve pas ces grands débordements de sentiments, je me contente de les copier. Physiquement c'est assez aisé, ce qui a été plus long à travailler c'est l'intention. Masquer la mienne pour jouer celle qui est attendue, ou celle qui mènera ma cible exactement au centre de ma toile. Un long travail, des cours de comédie, je n'ai reculé devant rien. Non, rectification, je ne recule devant rien. Je crois que je suis la parfaite incarnation de l'adage, la fin justifie les moyens. Alors on peut penser que je n'ai simplement pas découvert la personne qui me révèlera une autre voix, mais c'est totalement se méprendre.

Je n'ai pas besoin de voir la lumière, n'ayant pas du tout l'impression d'être plongée dans de quelconques ténèbres. Mon âme est écorchée, si j'en ai une? Peut être bien. Mais pourquoi devrais je forcément rentrer dans le moule? Pourquoi je ne pourrais pas être complète, tout en étant moi ? Ce monde vend les émotions et l'amour comme la plus grande satisfaction humaine possible, alors que tout ça n'est que fumisterie et faux semblant. Finalement la seule différence entre les autres et moi, c'est que je le sais et que j'ai choisi d'en jouer. L'inspecteur Jackson a été un peu plus difficile à convaincre que la moyenne, mais la mort... personne n'est en mesure de rester indifférent face à ce drame. Une vie soufflée, en une seconde, le vide qui s'en vient et le besoin de se rassurer à la chaleur humaine.

Je n'ose imaginer ce que serait sa réaction s'il savait que je suis l'instrument de la mort de son collègue. S'il réalisait qu'Emily n'est qu'un masque au dessus d'un gouffre insondable d'indifférence reptilienne... Ce serait à coup sur, divertissant, la surprise, la colère, le dégout immense, peut être un peu de fascination? Mmm sans doute de la rage et l'envie de vengeance. On ne soupçonne souvent pas à quel point c'est un moteur puissant. Dans mon océan glacé d'insensibilité c'est une émotion que je connais. L'envie de rendre coup pour coup, même pire, de faire souffrir, de me repaître des malheurs de ceux qui ont eu l'idée ignoble de me déplaire... Je pousse mon avantage, tranquillement, histoire de convaincre l'inspecteur Jackson que c'est une idée tout à fait logique que de suivre une inconnue dans sa chambre d'hôtel.

J'ai envie de temps, d'une bulle d'intimité, qu'il se laisse aller, pour que je puisse l'approcher assez pour me faire une idée de l'homme qui me traque. Amusant non... le chasseur est maintenant la proie, inconscient de sa proximité avec la tueuse qu'il est le seul à soupçonner. Cocasse non ? Je dois avouer que ça m'amuse beaucoup. Il se gare non loin de l'hôtel dans lequel j'ai loué une chambre et on s'oriente du hall vers le couloir qui y mène. Je déverrouille la porte, abandonne mon sac, mes chaussures dans la foulée et allume la lumière. Sur un lit défait, comme si j'y avais dormi, les draps froissés et une nuisette abandonnée au milieu. Je me concentre, ferme les yeux et serrant les mâchoires je fais apparaître une délicate rougeur à mes pommettes. -"Pardon.... je ne pensais pas recevoir quelqu'un." Mots précipités alors que je rabats la couette sur la lingerie rouge et noire, comme si j'étais intimidée. Je me retourne, pousse un soupir et relève le menton pour croiser son regard. -"Je vous laisse commander ce que vous voulez, à la condition que ce soit moi qui vous l'offre." Je désigne le téléphone relié à la réception sur la table de nuit et m'éloigne vers la salle de bain. -"Je n'en ai que pour 5 minutes." Petit sourire et j'entre dans la salle de bain, pour me déshabiller et me glisser sous la douche rapidement. Je me savonne avec ces fioles impersonnelles qu'on y trouve, regrettant de ne pas avoir mon gel douche. Je n'aime pas trop avec ce genre d'odeur sur ma peau, mais tant pis. Je me frictionne, lave mes cheveux et sors tranquillement pour m'enrouler dans une serviette en plantant une autre sur ma tête. Je pousse un couinement faussement gêné quand je quitte la salle de bain. -"Je suis un peu perturbée par tout ça... j'ai oublié de récupérer mes fringues, pardon." Quelques pas, dans cette serviette plus que minimaliste qui suggère le galbe de mes fesses, dévoilant la longueur de mes jambes. J'approche du seul placard de la pièce, contenant une valise vide... Je n'ai pas poussé le vice jusqu'à apporter des fringues en quantité, mais j'ai une tenue de rechange sur les étagères. Je vérifie qu'il détourne le regard et laisse tomber la serviette pour me glisser dans une petite robe rouge, de coupe patineuse. Une fois vêtue je reviens vers lui, affichant un sourire doux. -"Merci beaucoup de me tenir compagnie, je crois que j'aurais un peu paniqué toute seule." 

L'objectif est rempli, la manière importe peu, en tout cas à mes yeux. Qu'il ait fallu tuer un inconnu libidineux ne me pose pas de problème de conscience. En fait, ça ne me fait, strictement rien. Ni chaud, ni froid. C'était nécessaire. Risqué bien sur, surtout au sein même du S.D.P.D mais je n'avais guère d'autre moyen pour m'octroyer du temps seule à seul avec le bel inspecteur. Il a été bien trop insensible à mes approches et je n'ai pas énormément de temps à perdre. D'autant que le défaut de mon approche de journaliste, c'est qu'elle ne me laisse guère de latitude. Je suis sensée repartir demain, donc disparaître. Il sera donc plus difficile de l'approcher ensuite.

Je ne suis pas idiote et j'ai bien compris que je n'ai pas vraiment un physique passe partout. Il a ses avantages évidemment, mais pas celui de passer facilement inaperçue. Peut être que si je renonçais à ma chevelure? Ou si je changeais de couleur? Je fronce le nez à cette pensée, alors même que j'enfile cette jolie petite robe. Une coupe simple et sage, tout en révélant suffisamment mes jambes pour être d'un joli effet. Loin de mes tenues de vamp habituelles, mais je ne suis pas Zélie en cet instant, seulement la douce Emily, complètement choquée par tout ce qu'elle vient de vivre. Vais je devoir pleurer? C'est possible... Je ferme un instant les yeux, me concentre sur mon souffle, sur cette colonne d'air sur laquelle il faut appuyer pour faire monter l'émotion. Amusant comme vision puisque je n'en ressens pas la moindre, mais je suis une bonne comédienne, ça compense. Une fois vêtue je me retourne vers lui, alors qu'il revient chargé d'une bouteille de téquila. J'esquisse une moue contrite parfaitement jouée, pousse le vice jusqu'à baisser les yeux. -"J'avais dit que je l'offrais ce verre... je vous ai déjà bien assez dérangé comme ça." Parfaite image de la candide reconnaissante, pas un rôle très difficile à tenir, il suffit après tout de s'étonner de tout. Mes remerciements suivent, pleins de douceur savamment distillée et je souris quand il se confie à son tour. L'homme est assez prévisible, répondant à l'agressivité en montrant les dents, mais se laissant aller à l'empathie quand on lui en offre. L'effet miroir, toujours intéressant à observer. En revanche il ne fonctionne que si on distille les émotions, délicatement, sans en faire trop, sinon le charme se rompt et votre victime vous échappe. J'ai du apprendre à doser, m'entrainer, faire des erreurs et échouer, pour être capable de tisser maintenant ma toile avec brio. Il ouvre la porte fenêtre et se glisse sur le petit balcon. Pas vraiment dans mes plans ça ! Un petit éclair glacé doit passer dans mes yeux, mais il me tourne déjà le dos. J'essaie de créer de l'intimité et il m'échappe? Décidemment un spécimen intéressant ce monsieur Jackson. Je me glisse derrière lui, m'installe sur la chaise en vis à vis non sans frissonner. Je relève mes cheveux, les enroulant sur eux même, ne laissant que quelques boucles folles et indisciplinées. Je sais que c'est quelque chose qui me rajeunit, ajoute à la candeur de mes grands yeux, alors comme de tout, j'en joue. J'agrippe le verre, fait tournoyer l'alcool et le fait ensuite teinter contre le sien. -"A la vie !" Je l'avale cul sec et grimace la seconde d'après, le reposant sur la table en le poussant vers lui. Jeu dangereux, pas sur sur je parvienne à l'endormir assez sans risquer mes défenses... Mais si le jeu était facile, en vaudrait il vraiment la chandelle? Mes yeux trouvent les siens, avant que je ne parle. -"La nuit est si belle." Quelques mots alors que c'est pourtant lui que je fixe, par en dessous, mordillant ma lèvre avant d'ajouter. -"Tu es originaire de San Diego?" Allez mon tout beau, détend toi, parle moi de toi, laisse toi aller. Plus de journaliste, plus d'interview, plus de poste de police, seulement un homme et une femme dans le silence d'une nuit étoilée, dans un hôtel anonyme... Je me penche légèrement en avant, regrettant de ne pas avoir choisi une tenue avec un joli décolleté. Je misais sur le lit... et la longueur affriolante de mes jambes ! Prétexte? Récupérer mon verre évidemment... moyen ? Caresser ses doigts des miens juste une petite seconde. Même pas une invite, à peine une suggestion, trop peu de temps pour qu'il soit sur que je l'ai fait exprès, mais assez pour voir si il manifeste à mon contact une quelconque réaction. Je serais bien en veine de ne pas du tout être son type... à ce type.

Je souris à sa réplique, manifestement sous le charme. Un sourire timide, alors que je baisse le visage, comme si je ne pouvais soutenir le feu de son regard. -"Faisons ça." Jouer les timides c'est un art, c'est sans doute le rôle qui m'a donné le plus de fil à retordre d'ailleurs. Parce que je n'éprouve ni gêne, ni autre sentiment d'ailleurs... Difficile de comprendre ce qui se joue pour une femme qui se sent charmée et un peu écrasée par l'attirance ressentie. D'autant plus difficile de le faire avec suffisamment de délicatesse pour que ce soit attirant ou mignon et pas seulement froid ou repoussant.

Jouer les candides quand on est un serpent, vaste programme. Installée à ses côtés je me saisis de mon verre et la conversation s'amorce. Je relève sur lui un regard mimant la contrition quand il me demande si c'est une sorte d'interview détournée et lâche un petit rire. Je ne réponds rien, me contentant de le dévorer de toute l'intensité de mon regard, notant dans mon esprit chaque information qu'il me concède ensuite. -"Moi ? Oh tout l'inverse. Je suis née à New York, j'ai grandi avec la nervosité de la ville et l'envie de grands espaces." On ne peut pas faire moins vrai... Puisque c'est le bush Australien qui m'a vu naître, mais ça... je n'en parle jamais.

Mon enfance a fondé mon être, ma vengeance aussi et c'est de fait bien trop intime pour que je me risque à ouvrir cette porte à quiconque. Peut être que ce passé est tout ce qui me raccroche encore à mon humanité? A qui j'aurais pu être? Je l'ignore, n'ayant pas tendance à l'introspection. -"Je n'ai aucune idée de ce à quoi ressemble le Montana mais Fort Benton, ça sonne presque exotique." Mon esprit est focalisé sur ce que je sais du Montana, essayant de trier les informations pouvant s'avérer utiles. -"C'est loin de la Californie quand même non ? Enfin tu me diras, New York aussi." Un sourire et j'avale une gorgée. -"En même temps le soleil et les plages sont plutôt vendeurs, je dois avouer et San Diego a l'air d'être une très jolie ville." Faire comme si je ne savais rien de la ville a quelque chose d'amusant. Je ne suis pas là depuis des siècles mais j'ai arpenté les rues à tellement de reprises, apprenant les plans de certains quartiers par coeur... L'histoire de certains lieux... tout ce qui peut m'être utile dans certaines missions. Je connais probablement mieux la ville que bien des natifs. -"C'est à force de rêver d'ailleurs que je suis devenue journaliste. Une façon de me préparer à visiter le monde que j'imaginais de ma chambre d'enfant." Tellement touchante à imaginer cette petite Emily rêveuse et passionnée d'apprendre... Je souris de plus belle, fixant mes yeux dans les siens. Je sais que mes prunelles ont parfois des vertus hypnotiques donc j'en abuse bien évidemment. Mon idée est de ne surtout pas le questionner, plutôt de tabler sur son empathie. Une sorte de pas de deux, confidence pour confidence. En parlant de ce qui m'a donné envie de me lancer dans cette pseudo carrière, j'espère en apprendre plus sur son désir de devenir flic. Ce sera une amorce pour ensuite le faire parler des preuves qu'il pense détenir contre DreadZ, mon joli petit nom sur le dark web. Il est plus difficile à faire parler que je le pensais, preuve à mes yeux qu'il a des choses à cacher. Des petits secrets que je peux utiliser contre lui pour le faire chanter? Ce serait amusant. On pourrait considérer qu'il me suffirait de le tuer, pour être tranquille, mais ce serait idiot... A plusieurs niveau. Déjà ce serait un meurtre qui ne m'apporterait pas le moindre dollar, et ça pousserait possiblement sa hiérarchie à s'intéresser de près aux enquêtes qu'il avait en cours. Renforcer la paranoïa des flics ne servirait pas du tout mes affaires. Donc il faut jouer les choses autrement. La difficulté ne me fait pas peur, au contraire, elle me plait.  

Assise sur le balcon de ma chambre d'hôtel, avec Tom, le policier qui me poursuit. C'est tout de même amusant non ? J'ai tué un homme de plus, juste pour avoir le privilège de cette entrevue. Il a commandé la boisson, mais je n'ai pas l'intention de me laisser aller à l'ivresse. Elle est bien trop mauvaise conseillère. D'un autre côté la désinhibition pourrait m'aider à en apprendre plus sur le beau policier qui me fait face. Pour être désinhibée il faudrait que j'inhibe quelque chose... après tout. Je crois que je peux être ivre tout en étant tout aussi mécanique dans mon fonctionnement. Un délicat métronome. Je suis vraiment curieuse de savoir ce qui peut avoir péché dans l'exécution de mon dernier contrat pour que ce joli monsieur tique au point de refuser de laisser fermer l'enquête.

Je n'ai aucune envie de me trouver un adversaire à ma mesure, aucune intention de le laisser mettre son nez dans mes affaires. Ce serait très mauvais pour mon business. Mon succès repose sur mon absence d'erreur. Chaque contrat est honoré, en heure et en temps, dans la plus grande discrétion. Je ne veux surtout pas attirer l'attention. Quand on veut du spectaculaire, du règlement de compte, avec pertes et fracas, ce n'est pas moi qu'on appelle. La balle dans la tête devant une foule sous le choc, ça a son charme, je n'en doute pas, mais ce ne sont pas mes méthodes.

Je mise sur le mimétisme et me confie, sur ma vie inventée, espérant finalement exactement ce qui se produit. Graduellement il s'ouvre et me raconte ce qui l'a conduit à devenir flic. J'écoute en hochant doucement la tête venant serrer doucement sa main à la mention de la mort de son frère. Douce et compatissante, cette délicate Emily. Son regard profond, ses traits durs et ses épaules larges expriment une peine qu'il n'a pas encore dépassée, qu'il ne dépassera peut être jamais. Je suis froide et détachée, impassible alors que je mime la plus expressive des empathies. -"Vraiment navrée pour toi."

Tom parle, de nouveau et j'hausse un sourcil. Il est observateur, définitivement. Mon esprit est ailleurs, pendant quelques secondes, absorbé par la vision de sa silhouette athlétique contre le ciel nocturne. Je sens Tom me fixer, son regard perçant cherchant dans mon esprit à percer mes défenses. Mais je ne flanche pas. Je ne lui montrerai pas mes faiblesses, mes peurs, mes doutes. Je resterai froide et détachée, parce que c'est ce que je dois... parce que c'est ce que je suis. -"C'est fascinant en fait. J'imagine que ça doit vraiment être d'une grande aide dans ton métier." Un sourire et je prend une nouvelle gorgée. -"Pas d'ordinateur portable parce que je ne pourrais jamais renoncer à ma bonne vieille tour et aux jeux que je fais tourner dessus." Un petit rire et je soupire avant de replonger les yeux dans les siens. -"Et pas de peau halée parce que... même si je rêvais de voyage, je n'ai pas vraiment obtenu le poste pour."

Un petit haussement d'épaule, signifiant que ce n'est pas si grave. -"Tu vas te moquer de moi. Mais j'ai écopé du courrier des lecteurs. Tu vois ce bon vieux cliché de la journaliste répondant à un courrier du cœur complètement rose bonbon? C'est moi." Vraiment de quoi être touchée par ce qui est arrivé aujourd'hui... Mais aussi un petit jalon dans ce pas de deux. Si je parle de mes échecs... il s'ouvrira peut être sur les siens.

Je continue à écouter Tom, tout en gardant un sourire en coin, l'image même de la douceur et de la sincérité. Je veux sembler à l'aise, simplement détendue et à l'écoute. Je lui parle de mon travail, en tout cas celui que je me suis créé pour l'occasion. De ma déception d'être cantonnée au courrier du coeur alors que je rêve de voyage et d'enquêtes culturelles. Tout pour qu'il ressente de l'empathie et qu'il ait envie de me parler de lui sans se rendre compte que je suis en train de le manipuler. Je dois avouer que j'apprends des choses intéressantes, petit à petit. Cette affaire qui le préoccupe tant, ces doutes qu'il a en permanence, cette sensation que tout est trop propre pour être vrai, j'ai envie qu'il développe... Parce que je crois que c'est précisément de moi qu'il parle en cet instant. Je ne marque pas d'intérêt particulier, en tout cas je veille à ce que mon corps n'en trahisse rien. Il a remarqué que je touche peu à mon verre, trop peu. Si je n'y prends pas garde il va se calquer sur mon rythme et ralentir. Je préfère qu'il se laisse aller et que l'ivresse m'aide à passer ses verrouillages. Alors je lève mon verre et en avale tranquillement une bonne gorgée. -"C'est fort, mais je crois qu'on en avait bien besoin."

Un sourire d'ange pendant que je suis en train de réfléchir. Comment puis-je utiliser toutes ces informations pour avancer mes pions? Comment puis-je exploiter cette confiance qu'il a en moi ? Il m'a parlé de cette manie de débusquer les détails. Et je me rends compte que je pourrais peut-être utiliser ce biais. Nous sommes tous les deux des enquêteurs dans l'âme, obsédé par la vérité pour sa part, par les bénéfices que je peux en tirer de mon côté.

Je souris doucement en écoutant la fin de sa phrase. Cette sensation d'être certain de son fait, mais de ne pas pouvoir le prouver aux autres. C'est quelque chose que je ressens souvent, moi aussi. Mais je sais que c'est un peu différent tout de même. -"Lâcher prise? C'est souvent plus facile à dire qu'à faire." Nouveau sourire et nouvelle gorgée, je cherche mes mots et mon angles d'attaque. Je lui tends mon verre, pour trinquer avec lui.

-"À la vérité, Tom." dis-je en souriant. Je termine mon verre et le pousse vers lui avant de continuer. -"Tu as trouvé quelque chose que personne d'autre ne voyait?" Vague, mais je peux difficilement être trop précise, sinon il va faire marche arrière. -"C'est un truc qui m'arrive tout le temps, de lire entre les lignes et d'y voir ce à côté de quoi les autres passent, c'est terriblement frustrant quand ça arrive." Un soupir et un voile de tristesse qui passe sur mon regard. Allez joli Tom essaie de me changer les idées... raconte moi. Je me mordille la lèvre et relève les yeux, un petit sourire délicieusement forcé aux lèvres. -"Parfois les collègues sont vraiment chiants." Je fais mine de réaliser que l'un des siens est mort ce soir et me couvre la bouche de la main. -"Oh pardon... pardon."

La manipulation est mon art, et j'ai attiré Tom dans cet hôtel avec un objectif précis : lui soutirer des informations professionnelles. Je joue le rôle de la victime innocente d'une terrible journée, simulant la connivence et la timidité. Tom,  enquête sur une affaire qui pourrait me mettre à l'ombre pour des années, voire même dans un vilain couloir vert si nous avions été dans un autre état. Il est logique que je cherche à faire le point de ce qu'il sait et de ce qu'il fantasme. Je veux savoir s'il se rapproche de la découverte de preuves ou s'il est toujours aussi perdu, je veille toujours scrupuleusement à ce que mes assassinats passent pour des morts naturelles ou des accidents, alors j'ai envie de savoir ce qui l'a fait tiqué.

J'ai choisi cet endroit pour notre rencontre, un hôtel élégant et discret, propice à mes machinations, en tout cas je l'avais imaginé comme point de chute si monsieur le policier sexy n'était pas d'humeur à me parler avant. Je porte une robe séduisante, un sourire charmant collé sur mon visage, l'image de la douceur et ça commence à payer. Petit à petit, il se calque, sur moi, par empathie, une belle symbiose qui se pose lentement et qui le pousse à se confier quand j'abandonne mes fausses confession. J'observe attentivement Tom, tandis qu'il parle, essayant de percer les mystères de ses pensées. Et là, petit miracle, c'est le sujet qui m'intéresse qui fleurit à ses lèvres. Est-il sur le point de découvrir la vérité ? Ou bien erre-t-il encore dans l'obscurité, cherchant des indices qui lui échappent ? Je ne montre rien de plus qu'un intérêt tendre, comme si j'étais touchée pour lui, mais clairement pas en exprimant l'exultation que je ressens à l'idée d'enfin toucher au but.

Tom est un homme déterminé et je crois que c'est ce qui me fait savourer de le voir trébucher dans son enquête, incapable de relier les pièces du puzzle, avouant qu'il n'a rien. Je profite de son empathie pour l'amener à se confier, à me dévoiler des détails qui pourraient me compromettre, avec douceur je le fais parler, savourant qu'il reste aveugle à mes véritables intentions.

Je parais intéressée et compatissante, une écoute attentive et une fausse vulnérabilité. Mais à l'intérieur de moi, je jubile en voyant à quel point il est loin du compte et je sens un poids quitter ma poitrine. Peut être que la vérité finira par éclater, mais pour l'instant, je savoure ma position de pouvoir. Tom est le jouet dans mon jeu, et il ne se doute pas une seconde que je suis la marionnettiste qui tire les ficelles. Je me nourris de son ignorance et de son incapacité à me voir pour ce que je suis réellement. J'aime être ce serpent tapis dans l'ombre de la douce jeune femme qu'il a sous les yeux. J'aime ce double jeu et ne ressent pas une once de remords à l'utiliser ainsi.

Alors, je continue de jouer mon rôle avec brio, attendant patiemment le moment où la balance de l'enquête basculera en ma faveur. Je suis prête à tout pour protéger mes secrets, pour manipuler ceux qui se dressent sur mon chemin. Tom est simplement un pion de plus dans ma partie, et je suis déterminée à le mener là où je veux qu'il aille, jusqu'à ce que je décide qu'il n'a plus aucune utilité. Je regrette presque d'avoir créé un personnage aussi éphémère, avant de me souvenir que c'est aussi ce qui aide à lui délier la langue. -"Non, pas du tout... c'est... c'est même passionnant de t'entendre parler de ton métier... et je.. je crois que ça me rassure. Tu vois?" Sourire timide, papillonnements de paupières et nouvelle rasade d'alcool, qui dans mon esprit est un toast à ma victoire. -"De savoir qu'il y'a des gens vraiment concernés par notre sécurité et qui se démènent c'est... chouette." Pousser le culot jusqu'à le remercier? Oh oui et pas qu'un peu. Je souris et perd quelques secondes mes yeux sur l'horizon avant de plonger dans les siens. -"Et... enfin... tu ferais quoi... si tu ne perdais pas ton temps?" Je l'allume? Oui un peu, mais surtout j'entérine ce qu'il a dit lui même. S'obstiner, c'est perdre son temps. Et tu l'as dit toi même joli petit poulet, tu as mieux à faire, non ?