Une étrange amitié (Wade)

Laissez-le entrer.

Ma montre indique 13 h 33, ce qui signifie que le con est en retard de trois minutes. Il n’y aura pas décapitation pour trois minutes, mais je vais me faire un plaisir de lui renvoyer ce détail à la figure. Je ne suis pas homme à laisser les retardataires se foutre de ma gueule d’habitude, il a de la chance que ma fille l’aime autant et en parlant de fille ? Mon instinct me dit que je devrais descendre sinon notre rencontre va avoir plus de trois minutes de retard. Quelques pas ne me feront pas de mal non plus, je suis assis derrière le bureau depuis les petites heures du matin. Même le soleil dormait profondément derrière l’horizon. Il y a tant à faire, la paperasse devient parfois une prison, ma prison. Ça et mon mariage, mais je ne vais pas m’éterniser sur ce pan de ma vie puisque je ne peux rien à changer mis à part la casser encore et encore jusqu’à ce qu’elle entre dans le moule que je lui impose. Oh, en façade elle est la parfaite femme italienne docile, mais dans l’ombre ? Elle devient une putain de pétasse à la langue trop pendue pour moi. Je l’ai bien baisée hier, elle devrait se tenir tranquille assez longtemps pour que Wade ne se rende compte de rien et au pire, bien, il apprendra tôt ou tard et à la dure s’il le faut que je n’en aie rien à foutre de ce qu’il peut en penser.

Papaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa il est laaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !!!

Okay, oui, le temps n’est plus mon allié, pas avec Alicia qui a décidé de s’approprier Wade avant moi. Je redoutais ce moment, mais la voir heureuse repousse toute volonté de lui refuser ce plaisir. Je n’ai même pas eu le temps de lui dire que je la suivais de près qu’elle était déjà en haut des escaliers sin ce n’est en bas. Son énergie et sa joie de vivre me soutirent un sourire, acte qui ne prend pas souvent naissance sur mes lèvres. Elle est ma lumière, mon phare, celle pour qui j’irais en enfer sans demander de billet de retour.

ZIOOOOOOOOOOOOOOOOOO WAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAADE!

Mes pas me mènent dans le couloir, vers l’escalier, quand le cri d’Alicia permet à on sourire de s’élargir. Oncle Wade… Il n’y a aucun lien de sang entre nous, rien et pourtant je le traite comme un frère. Pourquoi ? Cette amitié peut paraitre étrange aux yeux d’un tiers, mais elle est réelle. Alicia lui doit la vie et par ricochet, je lui dois la mienne. Ma dette envers lui est plus grosse que tout l’or caché à Fort Knox. Rien ne l’obligeait à lui sauver la vie ce jour-là, rien ne l’obligeait à se positionner entre la voiture et elle et pourtant il l’a fait, il a eu le temps de la pousser hors de la route du bolide. Elle a pleuré, plus de peur que de mal, mais au moins le choc du pare-brise ne l’a pas écrasée comme une crêpe. Je ne vous dirai pas ce qui est advenu du conducteur, mais disons qu’il n’est plus de ce monde.

Principessa ? Wade et moi devons discuter, tu veux bien rejoindre Mama s’il te plait ?

Non !!

Je lève un sourcil, la regarde un moment avant de l’entendre, soupire, agacer. Heureusement elle comprend que je ne rigole et coure jusqu’à la cuisine, mais non sans avoir déposé ces petites lèvres sur la joue de l’homme avant de le faire. Déjà en bas des escaliers, je m’avance et lui présente ma main afin qu’il la serre.

Tu es en retard…

Il est assez observateur pour voir une petite lueur espiègle danser dans le fond de mes prunelles, par chance car c’est tout ce qu’il aura pour atténuer mes paroles.

Le jardin ou le bureau ?

En d’autres mots ? Souhaite-t-il me parler de sujets confidentiels ou non ? Si oui ? Il sait qu’il doit choisir le bureau si non ? Je n’ai rien contre une balade dans la cour.

Est-ce que le hasard fait bien les choses ? Je n’en sais rien. Le destin je n’y crois pas et le divin je préfère me dire que ça n’existe pas sinon je vais avoir deux trois choses à redire sur pas mal de trucs et croyez-moi, je ne vais pas faire dans la mesure et le conciliabule… Que dire ? La raison qui me mène ici a cet instant me met dans un embarras particulier. Esteban a mis le nez dans des dossiers des fédéraux et selon toute vraisemblance, la Cosa Nostra est en train de s’implanter. Je regardais alors sur mon téléphone la tronche du chef, un certain Mateo Russo quand, relavant la tête je vois une gamine qui traverse la route en courant. Une bagnole arrive et sans réaliser vraiment, mes jambes m’avaient déjà lancé en avant. Je cours persuadé que j’avais le temps. Puis j’ai eu l’impression que non et j’ai accéléré encore. J’ai juste eu le temps de saisir la gamine contre moi et de tourner pour que mon dos prenne l’impact, mais entrainé par mon élan j’ai continué de tomber. La voiture est passée et j’ai senti son souffle. J’ai serré la gamine contre moi en roulant sur le dos d’une épaule à une autre. Mon cuir à fait son taff et les renforts de protection ont tout amorti. Plus de peurs de que de mal. La gamine est en larmes et son père approche. Mon cœur cesse de battre. Je regardais sa photo y’a pas deux minutes et le mec est là et je vois juste un père qui serre sa fille dans ses bras, soulagé que toute sa vie n’ai pas basculée en un instant. Sait-il qui je suis ?

Quelques jours ont passé et un italien s’est pointé au Down. Il m’a donné rendez-vous chez Mr Russo. Et si j’ai été tenté de l’envoyer chier, préférant que le petit italien vienne me voir sur mon territoire, je me dis que c’est probablement plus intéressant que j’y aille. Les gars ne sont pas d’accords et c’est avec 7 de mes gars que je me pointe. Nous nous garons sur le trottoir d’en face et je m’avance. Les mecs veulent me fouiller et je montre que j’ai un flingue. Il tente de me le prendre et je bloque sa main. Il finit par m’expliquer qu’il ne me laissera pas entrer armé et que je ne risque rien. Je lui donne finalement mon arme et je m’avance. La petite Alicia me court dessus et me saute dans les bras. Okay c’est pas l’accueil auquel je m’attendais mais ça m’arrache un sourire enjoué. Ouais la gamine est super touchante et en même temps je me dis que monsieur l’italien ne va me buter si j’ai sa gamine dans les bras non ? Finalement et malgré ses protestations, elle écoute son père et va rejoindre mama. Sa mère ? Sa grand-mère ? Allez savoir… La petite m’embrasse et file. Le ritale me lance alors que je suis en retard.

« Ouais tes hommes n’avaient pas envie de me laisser mon flingue et moi pas envie de leur laisser. Le moins con du lot a cédé »

Il me demande ce que je préfère entre le jardin et le bureau et je hausse les épaules. C’est comme me demander ce que je préfère entre les betteraves et le céleri la réponse sera : rien à foutre. C’est lui qui voulait me voir en plus non ? Si c’est pour le plaisir je dirai jardin, si c’est pour le taff bureau et si on pouvait faire vite il pourrait le faire ici.

« Je suis surtout curieux de savoir… Ce qui me vaut le plaisir de l'invitation ? »

Mes hommes ont fait leur boulot et rien de moins. Des têtes auraient roulé advenant le cas qu’il se serait présenté ici avec une arme, cela va de soi. Il serait suicidaire de s’en servir, mais bon, qui suis-je pour juger un choix fait sous l’ombre de la peur hum ? Une chose est certaine et c’es qu’il a des couilles d’acier, je lui toute mon admiration. Est-ce je j’aurais fait pareil ? Oui, c’est une certitude, mais après avoir fait mes calculs. A-t-il fait les siens ? Même sa réponse me plait…

Ne m’en veux pas si je ne te félicite pas d’avoir obtempéré.

Con, pas con, moins con du lot… tout est relatif dans ce milieu. Il a fait ce qui devait être fait et c’est tout. La même chose va pour ma question, mais cette fois il décide de tourner autour sans vraiment lui répondre. Bon point, mauvais point, seul l’avenir nous le dira.

La curiosité tue. Allons au jardin.

Je lui montre la voie, mais passe tout de même devant lui en signe de confiance. Libre a lui de m’attaquer par derrière si l’envie lui prend, mais il ne doit oublier qu’il est chez moi. Je devrais peut-être mettre deux ou trois vérités sur la table, question de le mettre un peu plus à l’aise non ?

Je ne suis pas armé et ma fille est dans la maison, il n’y aura pas de sang de versé aujourd’hui.

Tout en marchant, ma tête se tourne vers lui un court moment pour qu’il puisse y lire toute ma sincérité. Un sourire amusé sur les lèvres, je me dis que j’aimerais bien lire ces pensées à ce moment précis. Hélas, malgré tout le pouvoir que je possède, celui-là n’en fait pas partie. Je poursuis donc ma route vers le jardin et une fois-là, je lui indique d’un geste de la main qu’il peut prendre place là ou il le souhaite. Je m’installe à mon tour, remercie la domestique qui nous apporte de quoi boire, limonade et bières froides et quelques bouchées au cas où ? Le tout est déposé sur la table. Ce n’est qu’une fois seul, vraiment seul que je reprends la parole.

Je sais qui tu es Wade et j’ai vu que tu connaissais mon identité le jour ou tu as sauvé ma fille. Je n’ai rien contre les Hellshounds et j’ose espérer que tu ne portes aucune animosité contre la Cosa, le contraire serait désolant. Puis, si j’avais voulu te rencontrer pour négocier quoi que ce soit… je ne t’aurais pas convié chez moi.

Je me verse un verre de limonade, le laisse choisir et une fois un bout de fromage englouti je poursuis.

Je tenais à te remercier personnellement d’avoir sauvé mon héritière, ma fille unique. Si la Cosa t’est redevable d’avoir sauvé leur futur, je tiens à payer la dette personnellement en plus de t’offrir mon amitié. Si tu souhaites faire du business ensuite, on en parlera soit sans crainte.

Très peu peuvent se vanter de la posséder. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un honneur que je lui fais, mais pas loin. Pour ce qui est des affaires, je me suis renseigné sur eux, mais pour le moment peu d’information circule. Soit il contrôle bien la chose, soit il n’y a rien à savoir. Il existe des moyens plus efficaces et disponibles pour arriver à mes fins, certes, mais cela ne m’apporterait rien de plus j’en n’ai bien l’impression. Wade ne semble pas homme à faire confiance pour un oui ou un non.

Y a-t-il autre chose qui attise a curiosité ? Des questions que tu aimerais me voir répondre ?

Quoi ? Je ne fais que demander si sa curiosité a été répondue, c’est tout. J’ai le droit d’être, moi aussi, curieux à son égard, c’est de bonne guerre, je crois. Il aurait pu refuser de venir. Il aurait pu refuser de me confier son arme. Il aurait pu refuser bien des choses et pourtant il est là.

Je n’ai rien d’un bon joueur d’échec et je comprends seulement que je suis face à un homme qui est capable de se montrer sans pitié avec ses ennemis et que je suis dans son antre, dans son royaume. Que je suis désarmé et que la seule chose qui me « protège » c’est d’avoir sauvé sa gamine. Mais j’ai ce côté chien fou parfois et ça me joue des tours, mais il était hors de question que je fasse le merdeux apeuré à l’idée de se retrouver séparer de son flingue. Et ce malgré la remarque de Mr Russo qui aurait préféré que je bataille un peu plus ? Je lui annonce sans détours mon effarement devant cette invitation qu’il m’a fait à venir ici et joue encore les philosophes en me disant que la curiosité tue.

« Sans doute moins que les balles dans la tête… »

C’est sorti tout seul, mais en même temps n’est-ce pas le mode d’exécution favori de nos « amis » de la Cosa Nostra ? Je le suis au jardin alors qu’on avance, il m’explique qu’il n’est pas armé et que sa fille est dans la maison et qu’il n’y aura pas de sang versé aujourd’hui… Rassurant quand on voit le nombre de mecs qui me regardent de travers et moi qui réponds en avançant les mains dans les poches dans un étrange sur-jeu de détente.

« Ouais comme j’ai dû laisser mon flingue à l’entrée… »

Trop tôt pour faire de l’humour ? Elle n'était pas si mal pourtant. Pas ma meilleure mais pas si mal. À moins que je cherche à essayer de faire sourire ce mec ? Allez savoir, je crois que je me demande même si c’était judicieux de me pointer ici… Putain, Rowan va vouloir me latter le cul à coup de pompes quand elle va apprendre ce que je suis en train de faire. Mais le mec se retourne et me sourit avant de me désigner une place d’un geste. Je m’installe et on nous apporte des trucs à boire et à manger. C’est alors qu’il reprend la parole. Il me présente les choses de manière assez directe et m’explique au passage que ce n’est pas pour parler affaires. Je le regarde prendre une limonade et un bout de fromage avant de poursuivre et m’expliquer que sa fille unique est son héritière et me parle de me remercier et de m’offrir son amitié. Heureusement que je suis assis sinon je crois que je tomberais sur le cul. Mais il ouvre la porte à la possibilité de faire affaire ensemble. Je garde le silence et je mesure tout ce qui vient d’être dit avant qu’il ne me demande s’il y aurait autre chose qui attise ma curiosité ou si j’ai des questions à lui poser. Je le regarde et prends une limonade à mon tour. Il fait chaud et j’aurais adoré une bière mais je refuse de boire de l’alcool dans cette situation. Je prends une gorgée et repose le verre en le regardant.

« Quand j’ai sauvé ta fille, je ne savais pas qui elle était. J’ai agi sans réfléchir parce que les Hounds sont une famille et que cette petite fille était en danger. Je vais être honnête, j’ai agi parce que j’avais les moyens de le faire. J’ai découvert seulement après qui elle était. Alors non je ne veux aucune récompense. Je suis juste content qu’elle puisse continuer sa vie et que j’ai pu éviter le drame. »

Je ne suis pas un chien qui va réclamer une récompense parce qu’il a eu de la chance. Ça n’est pas mon style et je refuse de tirer avantage de ce geste que j’ai eu. En revanche je serai sans doute bien stupide de croire qu’il ne pourrait pas me baiser dans le futur et d’un autre côté je tiens là une occasion délicieuse de me faire un allié intéressant.

« San Diego est un immense bourbier et ces sales Russes de la Bratva ne cessent de nous agresser… Alors avant qu’on ne se considère comme des amis, contentons-nous de bien nous entendre et de ne pas empiéter sur ce qui appartient aux Hounds… »

Histoire qu’on puisse jauger des intentions et de la parole de mon « nouvel ami » je préfère y aller prudemment histoire de ne pas coller tous mes œufs dans le même panier. Je regarde de nouveau Mateo Russo avant de lui demander d’un ton détaché.

« Alors ? Pourquoi la Nostra débarque soudainement chez nous ? Petit besoin de rêve Américain ? »

Ironie douce et petit sourire amusé, j’essaye de détendre la conversation pour qu’on parvienne à discuter assez librement. Il me veut pour ami ? Autant qu’il se détende.

« Sans doute moins que les balles dans la tête… »

Il a droit à un sourcil levé et à un sourire en coin. J’aime quand mes vis-à-vis ont du répondant, j’aime encore plus quand ceux-ci le font dans le respect. Cela demande beaucoup de courage et de self-control pour dire ce genre de truc devant moi et je ne peux que le respecter davantage. Je poursuis ma route avec ce point bonus en tête et me permets de lui expliquer que je ne suis pas armé et ainsi de suite. Il a de la chance, pas de balle dans la tête aujourd’hui… Il rajoute une couche d’humour agréable, mais à laquelle je ne réponds pas, encore une fois. Au lieu de cela je lui offre une place assise et laisse l’arrivée des boissons et des bouchées meubler le silence. Je profite également de ce temps pour l’observer. Sa confiance en lui est stupéfiante, je ne ressens pas sa peur et c’est rafraichissant.

Avec autorité, j’aborde le motif de ma convocation, invoque le sauvetage de ma fille et ma dette envers lui. La dette de la Cosa de San Diego au grand complet parce que oui, la dette appartient d’abord et avant tout à a famille. Mon offre d’amitié a semblé le déstabiliser, ce qui me remplit de fierté. L’homme devant moi sait cacher son jeu… mais des fuites sont possibles ce que je note quelque part au fond de ma mémoire. Je le regarde prendre un verre de limonade aussi, me régale de son regard avant d’écouter ces paroles avec beaucoup d’attention. Il m’explique avoir sauvé ma fille sans savoir qui elle était ce qui lui donne plus de points positifs que prévu. Un homme d’honneur ? Un homme à la tête d’une… famille ? Ce qui me surprend c’est son refus de recevoir une récompense. Surpris et déçu parce que je n’aime pas avoir des dettes en suspens.

« … contentons-nous de bien nous entendre et de ne pas empiéter sur ce qui appartient aux Hounds… »

La Cosa est ici depuis plusieurs années déjà.

Je l’observe un court moment, pesant le pour et le contre avant de lui dévoiler quelques détails supplémentaires.

Nous sommes venus pour faire des affaires et j’ai décidé de rester. La mère patrie devenait… encombrée ? Étouffante ? Nous avons tous un membre de notre famille que nous ne souhaitons ne plus croiser n’êtes-vous pas d’accord ?

Nous, la famille Macalo et je, la famille Russo. Plus je suis loin du paternel et mieux je me porte.

Je fais des affaires à San Diego depuis maintenant six ans et pas une fois je n’ai empiété dans votre business et je ne compte pas le faire à moins… à moins que vos actions ne me portent préjudice bien sûr. Pas de crainte, vous serez prévenu des dangers avant d’arriver au point de rupture. Je suis sans pitié, mais je ne suis pas un partenaire injuste. Puis, si vous pouviez me faire une ébauche le plus exhaustive possible des limites de votre… famille… cela m’indiquerait clairement jusqu’où je peux aller sans vous faire de l’ombre.

Il ne le fera pas, c’est d’une évidence. Ce serait con de sa part de me dévoiler ces cartes juste parce que je le demande. Seul le temps permettra de tracer une ligne claire et précise. Plus il comprendra que je ne suis pas une menace, plus les affaires seront florissantes.

Aucune obligation bien sûr… Je préfère tisser un lien d’amitié basé sur la confiance plutôt que sur un rapport de force.

Comme le fait la Bravta, mais ce détail je l’ai gardé pour moi. Les échanges entre la Bravta de San Diego et la Cosa ne le regardent pas. Faire des affaires avec les uns ne m’empêche pas de faire des affaires avec les autres. Je ne suis pas venu dans cette ville pour foutre la merde, mais bien pour faire fructifier mon argent. Je ne compte d’ailleurs pas lui offrir la moindre possibilité d’affaires, je lui laisse le soin de décider si, quand, quoi et comment le moment venu.

Je n’ai pas un chaton en face de moi, j’ai un lion. J’ai un chef, un vrai et il ne parle pas pour ne rien dire. Il est dans son élément et n’a aucune nervosité. Et il étale sa puissance en me donnant la sensation qu’ici je ne risque rien. C’est assez troublant quand on sait que j’ai dû mettre en place un nouveau système de défense chez les Hounds. Désormais nous avons des yeux et des oreilles dans tout notre territoire. Les dealers sont nombreux car nous avons le monopole et je suis sans pitié avec la concurrence. L’équilibre est là car avec les Ruskoffs nous avons nos domaines propres. La seule différence c’est que ces connards veulent notre terrain pour eux et veulent nous chasser. Si la Cosa arrive je refuse de devoir regarder partout derrière moi. Par contre je ne fais pas confiance comme ça et sans garantie. En ce moment les clodos que personne ne remarque et ne fait attention sont nos yeux et nos oreilles. On les laisse faire et s’établir et on les paye pour écouter, voir et prévenir. Personne ne le sait et ça nous facilite l’anticipation. Je regarde Mateo Russo qui sirote sa limonade avec moi. Il me donne des infos et me dit que la Cosa est là depuis longtemps et je me maudis intérieurement de penser qu’ils ont pu débarquer ici récemment comme ça… Je crois qu’ils ont finalement fait savoir qu’ils étaient ici et nous pauvres aveugles et sourds que nous sommes nous pensons avoir découvert un truc qui était sous notre nez tout ce temps… Alors que je l’écoute je comprends le double sens de ses propos et commence à voir se dessiner des choses. La Cosa serait en train de se scinder par Schisme et Mateo annonce sa venue ici pour éviter le bain de sang fraternel… Il me met en garde et je le fixe alors qu’il me déballe sa grosse paire de couilles et me la dépose sur la table. Parfait… Je ponctue sa tirade d’un effet de gorge qui montre que j’ai bien bu et repose mon verre plein de moitié sur la table.

« C’est comme les chiens sauvages. Chasse-les une fois, ils reviennent. Tue le chef et la meute tombe sur toi. Attaque l’un d’eux et les autres te prendront pour cible jusqu’à ce que le dernier meure… Alors on laisse une gamelle ou deux et les choses s’équilibrent d’elles-mêmes… »

Je pense qu’il a compris que l’entente vaut mieux que la guerre. Certes, nous ne sommes pas en position de force en moment et durement touchés depuis que j’ai repris les rennes. Mais je peux faire vriller la ville en bain de sang. Et à l’inverse des Russes, des Ritales et de tous les connards de l’univers, nous sommes des enfants de San Diego. C’est chez nous et on sera difficile à trouver et à éliminer si nous passons en mode guerre… Mais Mateo me dit qu’il préfère tisser un lien d’amitié basé sur la confiance plutôt qu’un rapport de force. Et je comprends. Une guerre totale ou directe risque de causer des dégâts aux deux camps. Et je n’ai aucune envie de faire de sa fille une orpheline.

« Je préfère aussi. Et puis on n’a aucune raison de s’affronter. »

Je le regarde pour m’assurer que je ne me trompe pas sur son sujet. Je n’ai rien contre lui. Je regarde juste d’un très mauvais œil qu’une organisation de l’envergure de la Cosa Nostra débarque ici…

« La prochaine fois c’est toi qui viendras boire un verre au Down »

Histoire de voir si monsieur l’italien porte ses couilles en dehors de sa demeure aussi ? Et histoire de lui assurer qu’il ne risque rien je rajoute.

« Tu peux même emmener la petite si tu veux. On a des jus de fruits et des billards »

McNamara n’est pas un petit con qui pense pouvoir pisser plus loin que moi. Il a une tête bien solide sur les épaules et je peux deviner la présence d’un fin stratège derrière sa muraille de méfiance. Je fais des affaires avec les Russes et je sais qu’avec eux je ne dois jamais leur tourner le dos. Je ne suis pas certain de pouvoir le faire non plus avec Wade, mais j’ai au moins l’impression que si je laisse une arme chargée sur la table, elle restera sur la table. Je ne le crois pas assez con pour tirer la première balle. Je peux me tromper, certes, je ne serai pas le premier mafieux à me faire éclater la tronche par un rival, mais j’ai envie de laisser la chance au coureur.

En effet, il n’existe aucune raison de s’affronter.

Sa petite histoire sur le chef de meute a failli me faire sourire tellement elle pue la vérité.

« La prochaine fois c’est toi qui viendras boire un verre au Down »

Je lève un sourcil curieux. Boire un verre au Down ? Y amener ma fille ? Il se fou de ma gueule ? Du jus de fruits et des billards ? C’est moi ou il teste mes limites ? Ou alors il aimerait savoir jusqu’où je vais laisser l’eau monter avant de nager. Me croit-il à ce point trop fier ou peureux pour me croire incapable de me salir les mains au besoin ?

J’ai regardé un documentaire à la télévision l’autre jour et ce que j’y ai vu est fascinant. C’était l’histoire d’un vieux lion, maitre d’un harem de femelles et père de quelques lionceaux qui a été attaqué par un jeune lion fringuant. Le jeune lion, au lieu de trouver un territoire libre de concurrence afin de former son propre harem c’est dit que ce serait plus facile de vole celui du vieux. Il a réussi et avant de fêter sa victoire il a décidé de tuer tous les petits.

Je fais une courte pause avant de poursuivre.

Je ne suis pas assez vieux pour perdre un combat au corps à corps, mais je ne suis pas non plus à l’abri de la défaite. Toutefois… mon je peux te garantir que mon lionceau ne paiera pas le prix de ma défaite. Le Down n’est pas pour Alice. Moi, en revanche, je n’ai aucun problème à y aller pour prendre un verre. Aucun problème a y aller… seul.

Ouais, mais non, y aller certes, mais boire un verre dépendra de quoi et comment celui-ci sera servi. Verser une drogue X ou Y dans le verre d’un invité est tellement facile que je ne suis pas prêt à tirer le diable par la queue. Faire confiance, oui, mais faire confiance aveuglément non merci. Je déteste peut-être l’homme qui m’a montré à tirer les ficelles, mais il a fait un bon job de ce côté. Puis, pour ce qui est d’y aller seul, il ne faut pas trop y croire non plus. Je vais peut-être être seul dans le bar, mais tout autour mon armée sera déployée. Un seul faux pas et il aura une guerre de plus à gérer contrairement à ce qu’il peut croire, ma famille n’est pas seulement composé d’italien pure race. Sans évolution, toute race digne de ce nom finit par s’éteindre. Les membres sont italiens de père et de mère, sicilien, mais lentement nos acolytes se diversifient.

Qu’as-tu besoin Wade ? Arme ? Drogue ? Corruption ? Contrefaçon ?

Ou…

Protection ?

Je suis un chef et j’ai dû apprendre que tenir ce statut signifie que parfois il faut oublier d’exprimer ce qu’on ressent et penser à l’intérêt du groupe. Je ne suis pas du genre à attaquer le premier. Je ne l’ai jamais été. Je suis dissuasif et si on ignore délibérément mes mises en garde, je n’hésite pas à monter d’un cran. Mais qu’une arme chargée soit posée sur la table, je ne bougerai pas tant que personne n’aura de velléités de la brandir pour obtenir un avantage ou menacer. Si Mateo m’a fait venir ici c’est parce que mon geste mérite à ses yeux une douce compensation. Sans doute souhaite-t-il mesurer qui il a en face de moi. Et je suis venu parce que je vois d’un mauvais oeil l’arrivée « officielle » de la Cosa Nostra ici, je réalise si j’en crois ses dires qu’ils sont ici depuis très longtemps mais qu’ils ne s’étaient pas encore « livrés » ça me rassure et me confirme que je vais devoir faire en sorte de renforcer mon pouvoir et mon réseau de protection. Et je suis plutôt content de voir que Mateo entend qu’il n’existe aucune raison de s’affronter. Je lui retourne une proposition un peu provoc pour le tester et il me fait une sorte d’allégorie étrange sur un lion et fait une pause et montre que ce type ne baisse pas sa garde et qu’il peut se montrer conciliant mais ne laisse aucune porte d’entrée qui le mettrait potentiellement en danger. Donc il est du genre ultra-prudent. Je le note mentalement alors que je vois un peu plus à qui je peux avoir à faire. Je souris après sa longue explication et lui réponds d’un ton calme et doux.

« L’invitation signifie que si tu es ami des Hounds, ni toi ni personne n’aura jamais rien à redouter de nous. »

Petit sourire simple et amusé. Je sais à quoi on joue et franchement je suis moins bon négociateur/Diplomate que lui. J’ai rien d’un politicien. Mais il a clairement refusé la main tendue. Non pas que ça soit un signe de fin de discussion. Pour moi une proposition implique que je peux entendre oui ou non. Je bois une gorgée de limonade quand il me demande de quoi j’ai besoin et cite des choses. Il va même jusqu’à parler de protection. Je le regarde et lui dit.

« Dans cette ville, on a une infestation de Ruskoff de merde. Ils veulent nous éradiquer et nous emmerdent depuis des années… Je ne te demande qu’une chose : Ne fais pas affaire avec la Bratva. »

Je préfère me montrer clair. Si il joue sur les deux tableaux, il se mettra les Hounds à dos immédiatement. Je suis sur un mode binaire. Avec moi ou contre moi. Aucune place pour la nuance. La nuance est une zone de flou qui est dangereuse au vu de la vie que je mène. Pour moi c’est hors de question que je laisse la Bratva nous faire encore plus de tort qu’ils n’ont déjà fait…

» Charlie Emerson ∞ “L'amitié est lente à mûrir, et la vie si rapide. L'amitié est une fleur que le vent couche et trop souvent déracine.”
» Nimrod McNamara ∞ “L'amitié, c'est la fidélité, et si on me demandait qu’est-ce que la fidélité ? Je répondrais c'est l'amitié !”
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