L'art du graffiti [ft. Tom Jackson]

Tenue de Lana

- « T’es sûre qu’on ne va pas se faire choper, Heather ?
- « Ça va aller. On fait vite et on se casse. C’est pas comme si ça allait nous prendre la journée ! »

Elle pose sa bombe d’aérosol de côté et regarde le mur en face d’elles avec un demi-sourire sur le visage. Lana n’a absolument pas l’habitude de faire ça et c’est un peu un peu contraire à sa manie de tenir toujours les lieux qu’elle fréquente parfaitement propres, alors ça l’amuse et l’excite en même temps. Son amie, Emily le prends beaucoup moins à la légère. Elle n’arrête pas de jeter autour d’elle des regards furtifs, ce qui bien évidemment les rend encore plus suspectes pour les passants. Bon, c’est pas comme si Lana avait prévu d’être discrète non plus, avec sa bombe de peinture en plein milieu du trottoir. C’est une petite rue peu fréquentée, certes. Mais elles sont aussi en plein jour.

- « Dooonc… sur la première ligne il faut qu’on écrive : "Mieux vaut prendre le changement par la main". Et sur la deuxième : "avant qu’il ne nous prenne par la gorge".
- C’est pas mal. C’est de qui ?
- Winston Churchill
- Il était écolo ?
- Pas vraiment. Je ne pense pas. »

Elle scrute encore le mur en essayant de planifier à l’avance l’espace que devra prendre son inscription et où elle devrait la commencer. Derrière ce mur se trouve le jardin et la villa du responsable communication de l’entreprise d’hydrocarbures qui fait tant parler les militants depuis que deux de leurs pétroliers ont provoqué un incident au large de San Diego. Certes, le type qui vit ici est payé par quelqu’un d’autre pour faire la sale besogne sur les réseaux sociaux et les plateaux télé mais ce n’est pas le problème pour Lana : il n’a pas le salaire le plus inconfortable de l’entreprise, et il a plutôt tendance à faire du zèle en propageant des fakes news sur le greenwashing de son entreprise qu’à se contenter de la simple mission pour laquelle on le rémunère.

- « D’habitude les tags militants c’est plus Non à machins, on est pour tel truc… Stop à vos mensonges… Tu crois qu’ils vont comprendre le rapport avec la cause ? La Livingstone Corporation et leur non-respect des normes environnementales, tout ça.
- J’en sais rien. Tu veux dessiner une plateforme pétrolière sur le côté pour rendre le message plus clair ?
- Pfff, t’es reloue. Allez, on s’y met avant de se faire voir. »

D’un commun accord, Heather prend la ligne du haut et sa camarade s’occupe de la fin de la phrase. La blonde sent le rythme cardiaque s’accélérer. Elle a l’impression de bien avancer, mais lorsqu’elle se recule pour voir ce que fait Emily, le résultat ne lui convient pas du tout ! Les lettres sont de travers, elles ne font pas la même taille. C’est une vraie catastrophe.

- « Héééé, mais qu’est-ce que tu fais ?! Pas comme ça ! Notre but c’est que ça reste là, pas que ce soit dégueulasse !
- Quoi ? Mais on lit très bien arrête, et c’est censé être un tag, pas un tableau !
- Nan mais regarde la fin du mot gorge. On dirait que tu étais en train de t’étrangler en même temps que tu tenais la bombe.
- Roh tu sais quoi ? En fait ça me fait chier depuis le début. Débrouille-toi pour finir ta phrase de développement personnel à la con toute seule. »

Elle jette sa bombe à peinture et elle plante Lana au milieu de la petite rue. La blonde se retrouve comme une conne. Pourtant, elle persévère et fait de son mieux pour finir l’inscription tout en rattrapant les lettres dont elle juge qu’elles ont été mal formées par sa camarade. Oh ! Ça va ! Elle sait que ses Tocs peuvent la rendre insupportable. Souvent, on la compare à Adrian Monk. Elle n’y peut rien. Quand bien même elle chercherait à les réprimer que c’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle le dise. Elle range les bombes et se recule de deux pas pour contempler son œuvre. C’est mieux que si elle avait laissé Emily se charger du la ligne du bas mais elle n’est quand même qu’à demi satisfaite. Son amie a raison. Elle a choisi une phrase nulle à chier. Alors quoi ? Elle la dessine la petite plateforme pétrolière sur la droite ? C’était une blague, au début, mais après tout, elle a encore la place… Mais pas assez confiance en elle pour se dire que son dessin ne va pas tout gâcher. A la place, elle reprend la bombe et aérosol et écrit en dessous "Mensonges et Écocide : Stop aux activités de la Livingstone Company".

Elle rumine sur le fait qu’elle ait eu tort et elle ne prête plus aucune attention aux bruits autour d’elle si bien qu’elle n’entend absolument pas quand une autre personne vient l’approcher.

Tenue de Lana

Lana n’aime pas qu’on la dérange alors qu’elle est impliquée à fond dans ce qu’elle est en train de faire. Surtout que rattraper la boulette de sa camarade n’est pas une chose aisée là. Elle a entendu les pas derrière elle mais franchement, elle s’en fiche. Persuadée que sa cause est juste et que son message est bien modéré en comparaison de ce qu’elle pourrait écrire sur ces assassins d’écosystème, elle sait que la plupart des passants auraient de la sympathie ou au pire une attitude juste exaspérée en voyant ce qu’elle fait. Alors elle ne se cache pas. Qui pourrait bien lui reprocher d’essayer quelque chose de défendre l’avenir de San Diego ? Un flic. Il n’y a que le cas où le type derrière elle serait un flic qui lui vaudrait bien une réprimande. Alors lorsqu’elle voit la plaque, elle soupire et lâche la bombe, agacée. Elle est appréhendée par une jeune homme brun à l’allure sportive. Dommage qu’un type bien foutu comme lui ait décidé de travailler dans la répression et protection des voyous en costard car s’ils s’étaient rencontrés dans un bar, elle aurait été probablement été tout à fait ouverte à la discussion. Ce soir, il est juste un bon toutou du système industrialo-capitaliste qui s’est habillé en civil comme un lâche pour surprendre des infractions parce qu’il serait détestable aux yeux de tous s’il portait l’uniforme. ACAB. C’est un slogan, c’est aussi ce que Lana pense.

Elle émet un petit soupir et croise les bras sous sa poitrine. L’agacement est naturel : fallait-il vraiment qu’il passe là si tard dans la soirée ? Rapidement, il dévie sur de l’ironie en lui demandant si elle n’aurait pas perdu un pari. Les signes de son agacement s’estompent pour laisser place à une ironie bien sentie. Lana adore les joutes verbales avec les forces de l’ordre. Parce que la plupart ne sont pas bien malins et qu’ils ne comprennent que le rapport de force brutal, justement.

- « Vous admettrez que c’est quand même plus classe que la plupart des graffitis griffonnés par des sauvages analphabètes, » dit-elle avec un brin de fierté. « Ils pourraient même me remercier de remettre un coup de peinture fraiche sur leur mur. »

Elle recule d’un pas, en le voyant sortir les menottes. En revanche, elle garde les bras croisés sous sa poitrine. L’habitude… Pas question de faire un geste brusque que cette brute transformera en acte de rébellion dans son procès-verbal. Elle l’écoute réciter la liste de ses droits qu’elle connaît par cœur pour être une habituée des manifestations sauvages. Ce type-là, elle ne se souvient pas l’avoir déjà croisé. Un flic aussi beau gosse, elle s’en serait souvenu. Mais elle a vraiment autre chose à faire que de passer la nuit au commissariat, là. El plus, elle risque d’y subir encore les railleries misogynes des crétins de caserne.  

- « Attendez, vous allez vraiment m’arrêter pour ça, là ? C’est une plaisanterie ! »

Elle se pince les lèvres puis souffle du nez.

- « Tout doux, inspecteur Columbo. J’suis pas vraiment en train de faire un truc grave, là. En tout cas, j’essaie d’agir pour sauvegarder le monde dans lequel nous vivons tous les deux. Détruisez les bombes de peinture si ça vous chante, collez-moi votre amende pour dégradation et pas d’excès de zèle. Personne n’a jamais eu besoin d’un avocat pour un simple tag. »

Malheureusement, ça ne sert pas à grand chose de discuter avec un flic fatigué et buté, elle ne le sait que trop bien.

Elle évalue rapidement sa propre musculature par rapport à la silhouette du flic. Il n'est pas vraiment le type d'agent gras et fainéant qu'elle pourrait semer. Tout l'inverse, en fait. Si ce type veut la menotter, il la menottera sans aucun mal et sans qu'elle ne puisse rien faire. Si elle tente de résister, elle risque simplement d'être encore plus dans la merde. Le type passe donc dans son dos pour lui passer les menottes et il l'amène d'un pas décidé jusqu'à son véhicule où il la plaque sur le capot, écrasant sa poitrine contre la tôle. Ce n'est pas comme si Lana se faisait embarquer pour la première fois, certes. Ce n'était pas pour autant qu'elle s'y habituait.

"Ouh, je vois. Donc le héros de la ville vient d'attraper la dangeureuse écolo. La foule sera en délire quand elle l'apprendra. "

Elle ne comprend pas immédiatement à quoi correspond le 2e clic qu'elle entend dans son dos et elle reste collée au capot. Elle tend l'oreille : elle connait presque par coeur ses droits car on les leur enseigne en formation militante et elle est à l'affut de la moindre erreur dans la procédure qui pourrait l'amener dehors. Mais c'est tout autre chose qui sort de la bouche du flic. Il prétend qu'il n'a trouvé aucune activiste. Il la... couvre? Elle se redresse et le reconsidère de la tête aux pieds, en se demandant quel est son intérêt à faire ça. Mais elle ne lui demandera pas s'il ne risque pas des ennuis avec ses collègues des fois que ça le ferait changer d'avis.

- "Euh... Merci. J'imagine, en tout cas. Je n'ai pas l'habitude qu'un policier couvre mes petits écarts."

Sa respiration revient à peu près à la normale et elle se rend compte qu'elle a légèrement paniqué. Maintenant, le sourire du bel homme révèle assez nettement ses intentions pour qu'elle réponde à sa proposition par un gloussement poli. Elle semble lui avoir tapé dans l'oeil. Elle ne fera pas comme si elle n'avait jamais succès avec les hommes, elle sait quels genre de regards sur elle peuvent être traduits par de l'intérêt.

- "Est-ce un nouveau service de la Police de San Diego que de ramener les citoyens chez eux ? Ou bien je suis la seule à bénéficier de ce traitement de faveur."

Elle réarrange ses cheveux. Ca commence juste à ressembler à un date et après tout, après qu'il lui ait évité de passer une nuit au poste, le deal lui parait honnète.

"Moi c'est Lana, barmaid qui essaie de sauver le monde à ses heures perdues. Et je veux bien rester assise sur votre capot tant que je suis libre, monsieur l'agent."

Elle éclate de rire quand il confie qu’il est peut-être le pire flic de la ville. Ça doit être ça. Le pire ou l’un des rares qui ne se laisse pas aveugler quand l’institution donne des ordres absurdes. Elle apprécie son charisme et son petit sourire charmeur. D’autant qu’il est bel homme. Dommage qu’il travaille pour les condés parce qu’elle se le serait bien tapé sinon. D’ailleurs, elle lui a donné son vrai prénom et nom le pseudo qu’elle utilise pour militer. Première imprudence de sa part. Ce n’est pas bien grave, elle sourit de plus en plus à ses traits de second degré. Lorsqu’il lui dit directement qu’il n’attend pas de faveur en retour, ses lèvres se retroussent d’un sourire encore plus espiègle.

- « Parce que vous pensez que je vous ferais le même numéro si vous n’étiez pas mon type ? »

Elle lui adresse un clin d’œil juste pour montrer qu’elle n’a pas mal pris son sous-entendu. Le coup de la jolie blonde qui se met à caresser dans le sens du poil le policier qui la laisse filer, elle sait très bien à quoi ça peut ressembler. Finalement, puisqu’il propose de la déposer, elle ouvre la portière. Elle se penche et pose son fessier sur le siège passager avant.

- « Très bien, partons en cavale vers le centre-ville alors. Vous pouvez me déposer du côté d’Ocean Beach alors. Oups… il ne faudrait peut-être pas que l’agent de police sache précisément trouver mon domicile. »

Elle lui adresse un clin d’œil, puis elle relève une de ses fesses pour se tourner complètement vers lui et lui adresser plus sérieusement cette fois.

- « Encore merci pour ce que vous avez fait ce soir. »

Encore quelques heures avant elle ne s’imaginait pas qu’elle dirait ça un jour à un policier tant ils lui semblent tous parfaitement au service des ordures capitaliste qui pourrissent la planète. Oh, elle devine bien que son bienfaiteur ne partage pas ses idées politiques. Ou au moins, il ne partage pas ses solutions. On ne se retrouve pas en uniforme par hasard après tout. Alors elle devine qu’elle ne doit pas s’aventurer trop loin sur le sujet, et juste profiter d’être tombée cette fois-ci sur un agent capable de faire preuve d’un peu de recul critique.

Son conducteur descend les rues pentues à flanc des collines de San Diego pour revenir vers les quartiers du littoral. Sur la route, Lana réarrange plusieurs fois ses cheveux tout en regardant son reflet dans le rétroviseur.

- « Je plaisantais quand j’ai dit que vous ne deviez pas trouver mon domicile. Enfin… c’est comme ça vous arrange selon le détour. Si vous voulez je peux vous faire monter prendre un café, ou bien une tisane à cette heure-ci. »

Elle ignore pourquoi elle veut le faire monter chez elle alors qu’il a bien précisément qu’il n’attendait rien en retour. Peut-être qu’elle n’est pas à l’aise avec le sentiment de lui être redevable et qu’elle cherche à se rattraper pour se rassurer. Mais au final, il risque surtout de la refouler à nouveau. Il n’y songe pas tellement. Il faut dire qu’il est rare qu’elle tombe sur un type qui rejette ce type d’invitation, mais elle devrait savoir qu’elle est en train de flirter sur une pente dangereuse en faisant entrer ce Tom Jackson chez elle.

Elle ne devrait pas s'emballer mais a voir ses réactions, on dirait bien que le numéro de chare de Lana est en train de fonctionner. Sa démarche va a l'inverse de toutes ses règles de prudence habituelles. Un flic est un ennemi. Un adversaire de la lutte pour changer les choses mais celui-ci agit comme l'exception qui confirme la règle. Elle est d'abord rassurée de l'entendre dire que le type méritait bien pire. Et puis, plus ils se regardent d'abord avec méfiance puis avec intérêt, plus elle tombe sous son charme de beau brun ténébreux.

Il fera donc partie des rares privilégiés que Lana ramène chez elle, vu qu'elle a l'habitude de coucher avec des inconnus mais souvent en dehirs de son cocon personnel - une autre façon de mettre à distance ceux qui ne sont que les plans d'un soir. Il faut monter deux étages pour arriver chez elle. Elle se tourne vers lui avant d'ouvrir la porte et le taquine encore.

- Tiens donc, et que vous attendez-vous a trouver dans cette planque ? Un stock de bombe de peinture ? Des banderoles qui recouvrent les murs. Une chaise et un sceau d'eau pour commencer un interrogatoire ?

Elle sourit puis elle pousse la porte. Il n'y trouvera rien de tout ce qu'elle a dit, bien entendu. L'appartement de Lana est celui d'une étudiante en sciences sociales, on y entre par une grande pièce de vie dans laquelle on trouve une grande bibliothèque où les livres sont rangés par taille de sorte qu'aucun ne dépasse, un grand poster qui rappelle un tableau de Claude Monet, un canapé et une table basse. Plus loin, la blonde se dirige vers sa petite cuisine ouverte sur la pièce principale. On y trouve pas de four ce qui révèle déjà que son hôte ne se distingue pas par ses talents de cuisinière. En revanche, l'entretien de chaque recoin est absolument irréprochable puisque Lana est une parfaite maniaque. Derrière, deux portes mènent sur une salle de bain et une petite chambre. Le tout n'est pas bien grand mais suffisant pour une personne seule, d'autant que la jeune femme ne roule pas sur l'or.

Elle lance la bouilloire pour préparer leurs boissons puis elle retraverse la pièce dans l'autre sens pour fermer sa porte à clé. Elle présente le petit sésame en métal devant le visage de Tom, puis elle le glisse dans son décolleté. La clé finit cachée sous son soutien-gorge. Elle continue de le taquiner, et lance, joueuse :

- Hé bien, Monsieur Jackson, je crains que ce ne soit vous qui vous trouviez en état d'arrestation pour la nuit.

Elle s'élève sur la pointe des pieds et lui vole un baiser extrêmement rapide, déposant à peine ses lèvres sur les siennes.