--Outfit-- J'attrape mes affaires en vrac, je claque la porte de mon appartement en un geste précipité, et me lance dans l'escalier sans réfléchir. 19h43. J'avais pourtant prévu d’être prête en avance, mais comme d’habitude, tout part en vrille à la dernière minute, je suis incapable d'être ponctuelle. Je bondis dans les marches, deux par deux, sentant déjà la panique monter, ma tête pleine de jurons muets.
Au moment où j’atterris sur le pavé de la rue, je sens un craquement désagréable sous mon pied gauche. Merde. Mon talon. Mon talon foutu ? Mais putain c'est pas le moment. Un pas et un claquement sec qui me rappelle que la gravité a décidé de se foutre de moi et de m'entuber salement. Je trébuche, attrape la rampe de justesse et baisse les yeux pour voir mon talon pendouiller misérablement, comme une blague de mauvais goût. Non, pas maintenant ! Mais pas le temps de pleurnicher sur le sort des chaussures, je suis déjà trop en retard pour m'apitoyer.
Je me traîne, tant bien que mal, en boitant jusqu’à la station de métro, en essayant de ne pas trop me maudire. Chaque minute passée m'agaçant un peu plus.
Allez Faustine, respire. C'est qu'une soirée, tout va bien se passer ! Même si j'ai besoin de décrocher ce sponsoring si je veux qu'on boucle les comptes de l'année... Le refuge ne peut pas finir déficitaire ! C'est hors de question. Je parviens à me glisser dans la rame au dernier moment, coincée entre deux types qui n’ont pas l’air d’avoir entendu parler de l’invention du déodorant. La foule, la chaleur étouffante, et ce foutu talon cassé me donnent envie de hurler. Mais je tiens bon et je crois même que je souris.
Enfin, après une éternité, j'arrive à ma station. Je descends du train, les nerfs en pelote, et me dirige vers la sortie. Plus que quelques pas et ce sera bon. Je sors, m'avance dans la rue. C’est à ce moment-là, juste quand je commence à espérer que la poisse me lâche enfin, qu'une voiture surgit de nulle part, dérape sur une flaque et m’éclabousse. Une gerbe d’eau sale s’écrase sur ma robe. Blanche. Évidemment. Je reste figée une seconde, sentant l’eau froide perler sur le tissu. J’ai envie de hurler, de pleurer, de casser quelque chose et je me mets à piétiner comme la gamine que je ne cesserais sans doute jamais d'être. C’est pas vrai, pas ce soir ! Mes doigts tremblent de frustration. Je relève les yeux, désespérée, et c’est là que le coup de grâce arrive. Parce que quand je cherche du réconfort dans le ciel ou je ne sais quoi, c’est pas le ciel que je trouve. Non, bien sûr que non. C’est lui !! LUI !! Putain de lui !
Je croise son regard, et je me fige. Son visage. Ses yeux sombres. Mon ex. Celui que j’ai juré de ne plus jamais voir. Le mec que le destin s’amuse à me foutre sous le nez juste quand je suis au plus bas. Il est là, aussi surpris que moi, et je sens une vague de rage mêlée de résignation m’envahir. Je roule des yeux vers le ciel, exaspérée, et je balance à haute et intelligible voix :
-" PUTAIN de Karmaaaa !" Je m’en fous des passants, de lui, de cette soirée qui s’annonce foireuse de bout en bout. Tout ça dépasse l’entendement, je suis projetée dans un vaudeville dont je suis le putain de dindon de la farce ! Je secoue la tête, laisse échapper un petit rire nerveux, et gonfle les joues tout en écarquillant les yeux fixés sur lui.