Adrian Robinson "Père poule"

Je m’appelle Adrian Robinson,

Que dire sur moi ? Commençons peut-être par le début ? Je suis fils unique. Ma mère est morte quand j’avais 12 ans. Mon père et moi on vivait dans une caravane et il a eu la bonne idée de se casser vivre avec sa nouvelle femme sans me laisser d’adresse alors que j’avais 15 ans. Je me suis retrouvé seul. Je faisais des petits boulots pour me payer la bouffer et l’avantage d’une caravane c’est que le loyer se limite à la place dans le camping et que c’est pas hyper cher. Voilà donc mon adolescence. Lycée et autonomie forcée. À 17 ans je réalise que quoiqu'il se passe, je n’irai jamais à l’université car je ne suis pas assez intéressant pour qu’on m’offre une bourse. Je fais de l’escalade et je nage, je fais aussi du plongeon acrobatique et je suis doué. Mais tout le monde s’en fout. C’est quand même bien classe de pouvoir retenir ma respiration 2 minutes mais c’est aussi utile dans la vie qu’un pansement sur une jambe de bois. En tout cas, sachant que le lycée sera sans doute le seul moment de ma vie où je vais pouvoir m’éclater un peu, et bien je décide de profiter un peu et de vivre ce que je vais appeler ma « jeunesse » je m’amuse un peu plus. Je joue un peu de guitare dans un groupe, je vais à des fêtes tout en m’arrangeant avec le boulot. Du coup je lâche un peu le lycée et mes notes baissent mais je m’en tape un peu. Je sais que je vais me trouver un pauvre boulot alimentaire pour juste tenir. Je ne me vois pas flic ou militaire ou dans un bureau… Je vais devoir faire des frites et des burgers dans un diner de merde sur une autoroute à la con.

Au lycée, elle s’appelle Jennifer. Elle est belle, populaire. C’est la cheerleader en chef. Elle couche et vise les étoiles avec le quarterback. Histoire classique. Sauf qu’il vient de la larguer et que pendant une fête sa langue finit dans ma bouche. Elle me trouve gentil et beau. Elle me rejoint dans ma caravane et on fait l’amour. C’était ma première fois et je suis tombé amoureux en une seconde. Au matin, elle a filé et moi j’avais un petit vélo dans la tête. Je suis allé en cours et j’étais heureux. À 13h je l’ai vue. Elle embrassait son Quarterback à pleine bouche avec un sourire merveilleux. J’ai figé Sans un mot. Sans un bruit. J’ai eu bien mal dans le coeur et dans le ventre. C’était violent. Je suis parti. Je suis rentré dans ma caravane et j’ai pleuré. Longtemps. Le lendemain elle était dans ses bras à roucouler. Elle m’a jeté un regard et j’ai juste détourné le mien. C’était comme ça. Les choses rentraient dans l’ordre. Bon j’avoue ça fait bien mal au cul mais c’est comme ça. J’ai rien d’un Quarterback. Je n’ai pas vraiment d’avenir. J’aime écrire, nager, sauter et virevolter, grimper. Je ne vais rien faire de ma vie je crois. Bref… Le lycée se termine. Le bal de promo, la remise de diplôme. Je cherche au hasard si mon père est là. Non. Je prends mon bout de papier et m’échappe. Les familles se congratulent et prennent des photos. Je jette mon papier et ma tenue dans la première poubelle que je croise. De toute façon ça n’a aucun intérêt et je n’ai aucune perspective.

Je trouve un boulot à plein temps. J’écris, je grimpe, je nage. Je crois que je parviens à trouver un certain équilibre et alors que j’ai 20 ans et que je remplie les rangements de la caravane avec mes poésies, mes nouvelles, mes débuts de romans je croise la vie d’une petite chatte Calicot qui vient d’échouer chez moi et qui semble adorer ma compagnie. Je la baptise Sally en hommage à l’étrange Noël de Mr Jack parce qu’elle me fait penser à une poupée toute rapiécée avec ses couleurs différentes. Elle est jolie comme tout et quand elle est sur moi à ronronner quand j’écris, c'est vraiment chouette. Je tente d’envoyer mes écrits mais on me refuse tous mes manuscrits et je finis par abandonner, préférant écrire pour moi. Ça me libère et ça m’apaise, je ne sais pas trop dire pourquoi mais j’ai besoin et j’aime ça même si personne ne le lira.

Un jour alors que je viens de finir de nager et que je vais me rendre au boulot, je tombe sur Jennifer. Elle s’est séparée de son Quarterback qui n’était talentueux pour le foot qu’au lycée et qui une fois à l’université a juste chauffé le banc. Il a fait le con, l’a trompée et l’a frappée. Elle est toute navrée et désolé me disant qu’elle est stupide et qu’elle aurait dû rester avec un mec gentil comme moi. Je souris et ses mots me font du bien. On se quitte et on décide de se revoir après mon travail. Elle fait aussi un petit boulot le temps d’économiser un peu pour voir venir. Elle a finalement abandonné l’université elle aussi. Les soirs passent et on se voit souvent. On ressort ensemble et on se met en couple. Mais elle ne veut pas qu’on nous voit ensemble car les gens pourraient parler et qu’elle veut nous protéger. Je trouve ça adorable sans réaliser qu’elle a juste honte de moi. Mais je l’aime. Comme un fou. Mais un jour elle décide qu’elle va aller à Los Angeles, qu’elle a tout pour être une star. Qu’elle va crever l’écran et me déballe son plan. Mais je n’y figure pas. Je lui demande simplement « et moi ? » Alors elle me fait une scène et se fâche. Elle en a marre de moi. De me trouver inactif et abattu. Je n’ai pas d’ambition et je suis un raté. Elle m’en met plein la tronche comme pour avoir le prétexte de partir. Entendre la femme que j’aime me dire à quel point je suis un raté c’est horrible. Elle s’en va et me brise le cœur une seconde fois.

Pendant des jours je ne parviens pas à bouger. Je ne me rends pas au boulot et on me vire. Je reste dans ma caravane me levant pour des besoins naturels ou pour nourrir Sally. Après plusieurs jours, je me décide à bouger. Je retrouve un boulot dans une maison d’édition. Rien de fou, je suis le gars qui s’occupe du courrier et quand on me demande de détruire des manuscrits qui ne seront pas édités, je prends un malin plaisir à les dévorer. Je découvre tellement d’univers, d’œuvres. Je trouve du contentement dans mon travail. Je reprends même la compétition de plongeons et d’escalade. Je retrouve de l’équilibre et je me sens un peu mieux. Je peine toujours à me faire des amis ou des relations mais ça va j’ai le sport et le travail et c’est déjà bien. J’écris toujours plus et je commence à trouver mon style je crois. Mais à force de prendre des vestes, je cesse totalement d’écrire et me contente d’oublier ça. Je préfère sortir et escalader ou faire des plongeons.

J’ai 23 ans quand un soir d’octobre on tape à ma porte. Jennifer. Elle est en larme et de retour de Los Angeles. Sa carrière est un fiasco et elle m’avoue qu’elle a été sur un film qui était sulfureux et s’est avéré être un porno. Elle est dévastée et me demande pardon pour tout. Elle m’enlace et pleure et j’oublie tout ce mal qu’elle m’a fait. Je l’aime. Quelques mois plus tard elle a emménagé ici. Et elle est enceinte. On attend un bébé. Le choc est total et moi je prends conscience de cette tâche qui va m’incomber et malgré toute la projection de tâches et devoirs qui m’attendent je me dis que c’est chouette et je suis heureux. Avec les hormones , ou du moins c’est ce qu’elle déclare officiellement pour justifier ses caprices et reproches envers moi, la situation se tend et je fais au mieux. La caravane est merdique et ce chat l’emmerde à la souffler quand elle approche. Sally n’aime que moi et elle va attaquer le bébé. Mon boulot ne suffit pas. J’en parle à mon patron qui me change de service et me fait monter dans les bureaux. J’ai horreur de ça, mais la paye et le contrat me permettent d’acheter un appartement pour nous trois et je vends la caravane le coeur lourd. Je suis contraint d’abandonner pas mal de mes écrits au passage mais j’ai été catégorique, je garde Sally.

La grossesse n’est pas du tout une partie de plaisir et avec le boulot c’est compliqué. Jennifer accouche à terme et je suis là quand ma fille pousse son premier cri. Elle est toute petite. Elle ressemble à sa maman. J’ai le cœur en joie et je crois que je viens de comprendre ce que ça signifie vraiment : « aimer ». Ce petit être dans mes bras est si frêle et fragile. J’ai envie de la couvrir et de la protéger de tout. Jennifer est bouleversée. Elle est en larmes et elle peine à prendre la petite. Elle doute et panique et moi aussi, mais je ne montre rien. Je propose le prénom de Maggie car c’était le surnom que mon père donnait à ma maman qui s’appelait Margareth. Jennifer accepte malgré tout et notre fille s’appellera donc Maggie. Nous rentrons à la maison et c’est un peu perturbant et flippant. Jennifer est mal et reste beaucoup au lit et ne veut pas trop toucher sa fille. Sally est curieuse et je fais les présentations et elle ronronne la petite tout de suite.

Deux semaines passent et c’est compliqué avec la petite qui ne fait pas ses nuits et Jennifer qui perd patience. Elle s’agace d’un rien et on est à cran. Je dois retourner au travail et elle reste seule avec la petite. Je passe une journée compliquée et Jennifer ne réponds pas au téléphone ni à mes messages. Je rentre rapidement et j’entends hurler Maggie. Je rentre et cherche Jennifer. Rien. Personne. Elle a pris ses affaires. Elle a laissé la petite dans son lit et Maggie hurle à plein poumons. Sa couche est sale. Je prends ma fille et en larmes je la berce pour la calmer. Jennifer est encore partie et elle nous a abandonnés. Je suis dévasté et je panique. Je suis seul avec ma fille qui me pleure dans les bras. Je m’effondre et m’adosse à un mur et me laisse glisser. Je pleure et je la garde contre moi. Ce soir-là je l’ai baignée et je n’ai pas dormi. Je l’ai laissé avec moi dans le lit. Me voici à 23 ans face à mon plus gros défi.

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Ça fait maintenant 3 ans que Jennifer est partie. Je n’ai aucune nouvelles et si j’ai cherché à la contacter. Lui laisser des messages, rien n’y fait. J’ai continué de mon travail dans la maison d’édition proposant des livres et je suis en quelque sorte payé pour lire des ouvrages. J’écris toujours mais je ne me trouve aucun talent. Je le fais histoire de faire et Maggie grandie. Elle veut voir sa maman et je peine à lui expliquer qu’elle est ailleurs et qu’elle travaille beaucoup mais qu’elle pense à elle très fort. Je suis lâche et minable mais je lutte de toutes mes forces. J’invente des histoires pour ma fille, des contes pour pouvoir lui expliquer les choses qui nous arrivent et comment on peut faire pour vivre avec les difficultés de la vie. Je l’aime plus que ma vie et Sally est constamment collée à Maggie et veille sur elle comme une lionne. Je m’efforce de faire un bon papa même si je peine à tout mener de front. L’avantage c’est que je ne m’ennuie jamais.