Tu n'étais pas sensé voir ça. // Jalie

Moe coffee 09h47 a.m --Outfit--J'entre dans les lieux avec le sourire aux lèvres et m'approche du comptoir pour commander un thé à la rose. Je me pose sur le tabouret haut, sans vraiment observer la salle. Ma cible n'est pas là, mais le bar offre une vue panoramique sur la porte de son entreprise. Edward Mitchell, trader en vue, petit pesant d'or en bourse, avec une femme gourmande... terriblement gourmande. Qui louche sur son assurance vie et qui a besoin que la mort soit la plus naturelle possible. L'accident est une éventualité que j'ai retournée dans tous les sens, mais qui ne cadre pas avec la vie trop bien rangée de ce crétin.

Il pourrait pas être fan de parachute? Franchement ? Revoir gentiment le pliage, saboter la voile de secours... l'affaire de dix minutes et à moi le pactole. Non évidemment, il faut que ce con soit millimétré comme une putain de montre suisse. Métro, boulot, dodo... Enfin Limo, boulot, dodo. L'approcher a été très compliqué. J'ai mis un temps infini à sembler familière et inoffensive, mais en prime ce con est fidèle et amoureux. Putain de con. Elle veut se faire un collier avec ses couilles, alors qu'il n'a même pas plongé un coup d'œil dans mon décolleté. Si j'avais une âme je trouverais sans doute ça d'une injustice crasse, mais je me contente de jalonner le plan qui va encore me rapporter un bon paquet d'oseille. Le barista m'apporte mon thé et je le remercie d'un sourire et glisse un billet de 20 $ sur le bar. -"Gardez la monnaie." Un bon pourboire, mais pas trop non plus, histoire qu'il m'oublie aussi vite qu'il m'aura trouvée sympathique. Je commence à venir ici trop souvent, mais je n'ai pas de meilleur point de vue. Et hormis ce type, perdu dans ses dessins, je n'ai pas vraiment repéré d'habitués. Ah si il y'a aussi cette brune au regard bleuté, avec son petit air de pimbêche hautaine. Elle travaille juste à côté, enfin je suppose, puisqu'elle s'engouffre dans le cabaret de Syrus dès qu'elle a avalé ses sucreries.

Je porte ma tasse à mes lèvres, repérant cet homme avec son carnet. Qu'est ce qu'il peut bien dessiner, chaque jour? Ma curiosité est aiguillonnée mais je n'ai pas le temps, la limousine d'Edward vient de se garer et je n'ai que quelques secondes pour agir. Ce con est en avance... Je repose brusquement ma tasse et m'éclipse à toute allure, pour venir le percuter, à l'instant même où il sort de la bagnole de luxe. -"Oh pardon... pardon." Je relève la tête affolée et mon regard change instantanément, s'animant d'une joie sans égale. -"Oh mon dieu Edward, mais quelle coïncidence incroyable." Il semble un peu secoué et c'est exactement ce que je voulais. Pardonnez moi Elisa, j'espère que tout va bien? -"Oui vraiment, ne vous inquiétez pas." Un sourire ingénu et je continue -"C'est la chance qui me sourit en me remettant sur votre chemin." Je papillonne des yeux et lui raconte ma petite histoire. Un gala de charité, organisé par une fondation de protection de la faune, qui a besoin d'investisseurs. Nous serions tellement heureux de l'y voir, avec sa charmante épouse. Ce con se sent coupable, c'était le but, ça permet de le faire céder bien plus vite. Il accepte donc et rendez-vous est pris, pour la semaine suivante. Je m'éloigne avec le sourire, pour réaliser que j'ai oublié mon téléphone dans le bar. Merde... Je fais donc demi tour une fois ma cible au chaud dans les bureaux de son entreprise et récupère mon précieux, gentiment conservé par le barman. -"Merci beaucoup." Je termine à 11h... avant de reprendre à 13. On pourrait aller boire un verre ou manger un morceau? Moi c'est Wyatt. -"Merci Wyatt, une autre fois peut être." Un sourire, qui n'atteint pas mes yeux. J'ai autre chose à faire. Ton prénom au moins? Un soupir et entre mes dents je souffle -"Zélie." Je serre aussitôt la mâchoire. Erreur... qui peut être dramatique. Elisa... je suis Elisa. En tout cas dans le secteur et pour une semaine encore. -"A bientôt." Demi tour, direction la porte, glissant un regard sur cet homme et son carnet. Est ce qu'il m'a entendue? Déjà qu'il n'a rien du louper de mon petit numéro de charme en face... Il ne pourra que savoir que ça n'avait rien de fortuit. Mais s'il entend parler de la disparition du trader? Il connait aussi mon prénom. Une seconde de distraction... c'est suffisant pour passer le reste de ma vie en prison. Je ferme une seconde les yeux, me promettant que ça n'arrivera plus.

_TENUE_

Les humains et leurs habitudes... On a beau se croire libre et indépendant, plus malins et plus fort que la nature, on reste des animaux et la constance nous rassure. Le plus amusant je trouve, c'est lorsque l’on explique cela à quelqu’un et qu’il réalise que c’est vrai et qu’il souhaite démontrer que c’est faux et archifaux. J’ai moi-même pris des habitudes le matin et je guette la femme dont je peux voir la couleur du regard. Je la guette et je la dessine, mais souvent, je reste là, griffonnant un truc ou deux en buvant un thé ou un café. Qu’importe. Ça n’a pas grande importance en fin de compte, ça permet de me poser et de regarder. De voir ce vieux monsieur au visage tellement ridé qu’on dirait qu’il a mille ans. Cette femme qui se pose et prend en photos avec son téléphone sa nourriture et sa boisson. Ce matin, c'est une femme au regard clair qui entre et balade son regard partout. Superbe et pourtant elle semble chercher quelqu’un. Son allure élancée et sa tenue laissent penser à une femme qui travaille dans des bureaux et sa tenue donne un aspect stricts. Elle commande du thé et se place quand soudain, elle se lève et j’épie amusé son petit jeu. percute un homme au moment où il sort de sa voiture et je me retiens de rire amusé. Approche classique, mais efficace. Elle le connait visiblement, car elle l’appelle par son prénom et lui l’appelle Elisa. C’est un joli prénom et il lui va bien. Mais du coup, ils se connaissent ? Pourquoi elle tente une approche pareille ? Elle est sublime et lui pas forcément une gravure de mode. Ah, je vois son alliance. La dame essaye sans doute de le charmer avec une approche assez classique, mais efficace. Elle enchaine, lui exposant son souci et il ne peut pas lui refuser son aide. Ils prennent rendez-vous. Je la trouve habile et maligne en plus d’être belle. Combinaison dangereuse.

Je vais sûrement griffonner un portrait de cette femme quand je la vois revenir prendre son portable. On dirait que le serveur un certain Wyatt veut tenter sa chance et lui indique qu’il a une pause de 11h à 13h il propose de manger ou boire un verre et elle le remercie et décline poliment. Il insiste et lui demande son prénom. Elle soupire et dit qu’elle se nomme Zélie. J’arque un sourcil. C’est plus Elisa ? Sa mâchoire fait une mimique étrange. Elle trahit un truc. C’est là que ça me frappe. Elle avait des expressions totalement différentes quand elle parlait à ce Edward. Avec Wyatt, on dirait une autre personne et je continue de la fixer en cherchant à la décrypter quand elle s’en va sans demander son reste. Etrange scène que voilà. Qu’en penser ? Je ne sais pas. La jolie jeune femme au regard coloré arrive. Je repère cette unique couleur de loin et j’ai presque un détecteur quand elle approche. Je sors mon carnet sur lequel j’ai dessiné une femme avec deux faces. Une avec une expression et un tatouage sous l’œil avec écrit Elisa et une autre avec une autre expression possédant un tatouage sous l’œil avec écrit Zélie. J’aime beaucoup cette femme à deux visages… Mais ma muse est arrivée et mon attention se porte sur elle et je prends une nouvelle page pour dessiner.

A force de missions, toutes plus originales et ardues, Je suis devenue une sorte spécialiste en cybercriminalité, même si j'officie du mauvais côté de la barrière légale. Je serais probablement hyper utile aux flics pour leur apprendre comment on s'enfonce en douceur dans les méandres du darkweb. Mais ce n'est pas le choix de vie que j'ai fait, loin de là. Travaillant sous une fausse identité passagère depuis des années, ça m'est devenu naturel, pourtant aujourd'hui, dans ce bar sans envergure j'ai fait une erreur. Ma mission actuelle doit primer sur le reste, mais ma propre sécurité pourrait bien être compromise par cet homme et son foutu carnet à dessin.

J'y repense alors que je quitte les lieux. Il m'a clairement vu monter un plan pour parler avec ma future victime, il connait mon vrai prénom... et en prime il a peut être dessiné un portrait robot? Putain fait chier ! Une seconde d'inattention, par la faute de ce dragueur à la petite semaine... et me voilà avec deux missions en parallèle. Je déteste cette sensation de vulnérabilité et d'incertitude qui m'envahit. Je dois faire face à cette situation et retrouver ce type, éliminer la menace si il en représente réellement une. Je ne peux pas me permettre de perdre du temps à me blâmer ou à me lamenter sur cette erreur, je dois simplement la corriger.

Je dois redoubler d'efforts pour préserver ma couverture et maintenir ma vigilance. Je sais que la moindre erreur peut avoir des conséquences dramatiques dans ce monde impitoyable, mais je suis douée et je vais trouver ce mec. Je me prépare pour le dîner prévu la semaine prochaine, où j'aurai l'occasion d'éliminer ma cible, organise tout dans les moindres détails. Je dois être au sommet de ma forme pour cette mission cruciale. Je m'entraîne, je me concentre, je planifie chaque détail avec minutie. Il doit mourir en public, aux côtés de sa délicieuse épouse, que personne ne puisse la soupçonner quand elle s'effondrera sur le corps sans vie.

Une fois cette tâche accomplie, je pourrai disparaître de nouveau dans les méandres sombres du darkweb, en toute sécurité. Je pourrai laisser derrière moi cette identité d'Elisa, mais seulement si Zélie n'est pas menacée. Alors en parallèle je lance des recherches, trouve des images des caméras de surveillance de la ville, affiche les traits de ce jeune homme et débute mes recherches le concernant. Rien de difficile, rien de bien secret. Il est le propriétaire d'un salon de tatouage et il crèche au dessus. Parfait. Me reste ensuite à déterminer si je dois lui rendre visite avant... ou après. Il ne peut absolument rien contre moi, pour le moment, donc je fais le choix de laisser cette visite en dormance le temps d'éliminer avec maestria ce pauvre Edward Mitchell. Mon plan se déroule sans accro et je rentre chez moi, je me couche, nue entre les draps, mais me trouve incapable de céder au sommeil. L'idée que ce mec tient possiblement ma vie entre ses mains est en train de m'étrangler, c'est insupportable. Alors je finis par me lever, pour enfiler une robe et une veste par dessus, glissant mes jambes dans mes cuissardes avant de prendre la direction du parking en soupirant. Ma voiture... décidément je fais n'importe quoi. Je roule jusqu'à son quartier, dépose ma voiture de luxe et quitte l'habitacle pour gagner les abords du salon de tatouage. J'observe longuement, m'imprègne de l'ambiance et je finis par me décider à crocheter la serrure pour entrer dans les lieux, j'écoute, mais ne perçoit rien, alors je cherche l'accès à l'appartement au dessus et monte les escaliers le plus silencieusement possible. Est ce que j'ai envie de le tuer? Non... pas spécialement. Tuer ne m'apporte pas de plaisir, c'est juste ce que je dois faire pour être payée. Des assassinats discrets et sans accro qui ont tout de malencontreux accidents, totalement fortuits. Peut être qu'il ne ferait même pas le rapprochement. Mais entre ce faux pas et ce flic... décidé à ne pas me lâcher. Je crois que pour une fois dans ma vie, je suis un peu nerveuse.

La vie suis son cours, je dessine, je peins, je tatoue. Ce soir, je me suis calé contre la fenêtre immense qui donne une vue à tomber sur la ville de nuit. À l’étage, je reste là. Pieds nus dans mon jean et torse nu, je griffonne sur mon carnet et délaisse un moment mes retouches sur le regard de Sydney. J’ai adoré ce moment en sa compagnie. Je reviens en arrière de quelques pages et soudain, je retrouve ce dessin. Cette femme à deux visages. Superbe et étourdissante. Deux noms, deux expressions. Je repense à cette scène et soudain, je réalise que ce matin, j'ai vu la photo du monsieur qu’elle avait croisé au café… Andrew, je crois ? Non, Edward. Un truc comme ça je crois. Elle doit être triste puisqu’il est mort non ? Souriant devant ce croquis, je l’améliore et travaille les contrastes avec mon crayon donnant en quelques secondes à mon dessin une impression de photo en noir et blanc. Le regard de gauche avec le prénom Elisa tatoué sur la pommette et sur l’autre Zélie. Deux expressions qui détonnent et pourtant je m’émerveille de contempler deux femmes différentes sur une même femme. Un peu comme ces masques de théâtre, un qui fait la tronche et l’autre qui sourit. Je contemple mon dessin. Le regard de la femme au travers du papier me semble vivant. Amusé et absorbé par mon griffonnage, je n’ai rien entendu du tout. Je ne sais pas que je ne suis pas seul ici. Je me lève et après quelques pas, je m’arrête face à un miroir. Je me tourne et trouve une petite zone sur mon bras. J’ai encore des espaces libres dans ma manche de tatouage pour rajouter de petites choses. Et j’aimerais bien le visage de cette femme avec ce travail de contraste. Je n’ai pas de couleur sur moi. Juste du noir et blanc et je crois qu’elle s’intégrerait bien à cet endroit. Ou alors peut-être au niveau des côtes. C’est douloureux, mais ça serait sympa… Je souris et regarde le dessin avant de poser le carnet sur mon lit ouvert sur le dessin. Je ramasse ma tasse de thé, il est devenu tiède, mais ça ne me dérange pas. Quand il m’en reste, j’ai tendance à mettre de la glace et le boire froid dans la journée.

Ignorant toujours que je ne suis pas seul, je vide ma tasse et la dépose sur la table de chevet. Je rassemble mes cheveux en un chignon rapide sur le haut du crâne et je déboutonne mon jean. Il glisse au sol devant le lit et je m’allonge en soupirant de plaisir. Il va faire frais cette nuit, mais je n’arrive pas à porter un t-shirt pour dormir. C’est donc en boxer que je m’installe allongé sur le dos et agrippe un bouquin. « Le vide » de Patrick Sénécal. J’adore ce livre, ça doit faire trois fois que je me tape les 1000 pages sans me lasser. Éclairé par la seule lumière de ma lampe de chevet, je commence à lire sans réaliser la présence de la jeune femme dans mon appartement.

Monter, le plus discrètement possible, guetter derrière la porte, la pousser tout doucement. Tout ça me prend seulement quelques dizaines de secondes. Je me fonds dans son appartement, observant autour de moi, essayant de me faire une idée de la personne à qui j'ai à faire. Je perçois sa respiration avant de le voir et mon approche se fait la plus discrète possible. Je suis très douée pour me camoufler dans une foule, mais je n'ai rien d'une cambrioleuse, la preuve, je n'ai même pas pensé à dissimuler mes traits. Je soupire tout doucement à cette pensée alors qu'il se plante devant un miroir en pied. Il observe un carnet de croquis et son sourire est étrangement doux. Je me déplace pour avoir le dessin en ligne de mire et un petit hoquet me secoue.

Je n'ai pas rêvé... c'est bien mes traits qu'il a couché sur le papier. Mais... pourquoi? Et pourquoi il contemple ses tatouages comme ça? Je fronce les sourcils, perturbée, le regarde évoluer en me demandant s'il a déjà prévenu les flics? S'il a déjà diffusé ce qui ressemble à un portrait robot... avec deux expressions diamétralement opposée. Il pose le carnet sur son lit et je me dissimule dans l'ombre d'un meuble alors qu'il boit et se déshabille ensuite pour se mettre au lit. Son corps est quasi couvert de tatouages, il y'a toutes les nuances du noir et blanc étalées sur sa peau et c'est clairement poétique. On ne peut pas résister à l'envie de savoir ce que chaque petit dessin signifie. Je secoue la tête pour chasser cette pensée parasite et me reconcentre sur le présent.

Je suis entrée ici par effraction, jusque là rien de bien compliqué à faire oublier... Mais je n'ai aucune compétence spécifique en combat au corps à corps, alors je pensais faire quoi ? Le menacer pour le faire parler? Je n'en sais rien et c'est bien le problème, moi la maniaque absolue du contrôle je me retrouve sur un terrain inconnu, avec bien trop peu d'informations sur ma cible. Je le laisse se glisser dans son lit et attraper un livre avant de m'avancer dans la pièce, presque négligemment. Je ne masque pas mon pas, mes talons cliquetant alors que j'approche de son lit pour saisir le carnet à croquis et plonger dans mon propre regard. Je penche la tête sur le côté, observe lentement ce qu'il a capté de moi, tout en le surveillant par ma vision périphérique. -"J'ai quelques questions, je crois que ce serait mieux que tu aies les bonnes réponses." Un soupir et je relève les yeux pour les fixer sur lui. -"Qui a vu ce dessin?" La première d'une longue liste de questions, mon attention fixée pour découvrir tout signe de mensonge. Qu'il débarque au S.D.P.D avec ce dessin, les deux prénoms dessus... putain. Manquerait plus qu'il tombe sur Jackson pour qu'on ajoute une troisième identité et que je me retrouve salement ferrée par ce trop beau flic de la crim'. J'espère que mon arrogance reptilienne et glacée lui dénouera la langue... c'est dans le moment à peu près tout ce que j'ai...

En boxer noir, je suis allongé dans mon lit, regardant les lignes de mon livre. J’aime tellement Sénécal et pour cette relecture, j'ai décidé de lire le livre dans l’ordre des chapitres. L’art de ce bouquin, c'est d’avoir mélangé les chapitres. Il commence par le 22eme et ce mélange crée l’effet thriller. C’est absolument fou et ce que je préfère dans tout ça, c’est qu’on sent l’accent Québécois dans la manière dont l’auteur écrit. Je termine mon chapitre et je m’apprête à tourner la page quand je lève les yeux et une femme est là. Debout près du lit, regardant le carnet au niveau de mes pieds, mais je me sens épié par sa vision périphérique. Mon esprit imagine alors une faux et une cape noire, mais elle n’a rien de tout ça… Ohhhh et si c’était la mort et qu’elle était venue m’observer durant des jours, avait pris ce type et qu’elle venait maintenant pour moi ? Je regarde ma tasse vide sur le bord de la table de chevet. J’ai mis une substance bizarre dedans ? Ce n’est pas du thé ? Mais je n’ai rien de tout ça chez moi ? Les vapeurs d’encre ont fini par monter à mon cerveau ? Je fais un AVC ? Je rêve. Je touche mon nez avec mon index et comme c’est un truc qu’on ne peut pas faire en rêve, ça m’indique que je ne dors pas. C’est heureux, il ne faudrait pas que je crois dans un rêve érotique et que je fasse des propositions bizarres. En la regardant, je penche la tête sur le côté pour mieux voir son visage. Hey mais c’est la fille aux deux visages et aux deux noms. Oui évidemment je ne sais pas lequel est le bon alors, je la surnomme comme ça. Son ton est calme alors qu’elle me menace indirectement en me demandant les « bonnes réponses ». Un peu pris de court, je marque ma page et repose le livre sur mon ventre en la regardant tout en hochant la tête. Elle remonte son regard sur moi et me demande qui a vu ce dessin ? Oh ce n’est que ça ?

« Heu, vous et moi. »

J’aurais mille questions à lui poser et qui me passe par la tête en ce moment. Vous êtes qui ? Qu’est-ce que vous foutez là ? Tu attends quoi pour dire bonsoir ? Ce n'est pas une heure pour vendre des gâteaux. Tu pourrais sourire, tu sais. T’as pas envie d’enlever tes habits et de venir t’allonger ? Cette robe est magnifique sur toi. Au fait, c'est quoi ton vrai prénom ? Mes condoléances pour le monsieur mort. Bref tout un tas de bordel et alors qu’elle me regarde, mes yeux quittent les siens et glissent sur elle. Ils caressent sa peau, la douce pente de sa joue versa sa mâchoire. Je passe sur son menton et remonte avant de réaliser que j’ai mal observé. J’ai foiré sa pommette. Je l’ai rendue trop droite quand elle est plutôt arrondie. Dévorant les détails de son visage, je prends mon crayon sur la table de chevet et repose le livre.

« Vous me passez le carnet, j'aimerais corriger vos traits. J’ai loupé quelques détails de vos traits. »

Ça reste un croquis fait à la va vite, mais j’avoue que je n’avais pas bien regardé cette partie-là. J’attends qu’elle s’exécute avant de réaliser le grotesque de la situation. Et moi qui allais lui demander de s’asseoir sur le lit et de poser… Je regarde l’heure, il est très tard. Mais soudain, je réalise qu’elle est sans doute venue pour quelque chose et j’avais verrouillé ma porte en bas.

« Heu pardon je… Je peux faire quelque chose pour vous aider ? »

Il n'a pas l'air franchement anxieux, ni même très surpris de mon apparition aux pieds de son lit. Bizarre. Est ce qu'il m'attendait? Sait il qui je suis? Ce que je fais dans la vie? Est ce possible que ce mec me surveille discrètement depuis des semaines sans que je n'en ai rien capté? Cette pensée me déplait profondément et j'en fronce le nez, comme si une odeur désagréable me montait aux narines. Je n'aime pas cette idée, pas du tout même. Je suis d'une méticulosité confinant à la paranoïa et je refuse qu'il en soit autrement. Je lance les hostilités, d'un ton froid et contrôlé, en fait celui de ma voix quand je ne joue aucun rôle.

J'ai le sang froid, je peux faire semblant d'être un volcan menaçant d'éruption imminente, mais mon âme est glacée, mécanique, calculant en permanence des dizaines de probabilités pour choisir la meilleure option. La première question tombe, sa réponse suit, immédiatement, sans qu'il ne masque de temps pour réfléchir. Soit c'est un excellent menteur, soit il dit la vérité. Je ne me laisse pas rassurer par cette réponse. L'enjeu est beaucoup trop élevé. Je réfléchis à ma prochaine question mais il me prend de cours en me réclamant son carnet de dessin. Il se fout de ma gueule ? Je rêve là... ce gars est en train de se payer ma tête? Avec son petit air de ne pas y toucher? Mes yeux s'écarquillent sous la surprise, mais aussi ce que je considère comme une insulte. A quoi d'ailleurs? La menace que je représente? Mon intelligence? Je prends une large inspiration alors qu'il demande s'il peut faire quelque chose pour moi. Bien joué Sherlock, sinon je ne me serais sans doute pas introduite chez toi au beau milieu de la nuit. -"Non, ce dessin est à moi désormais. Il y a des copies?" Je reste sur ma ligne de conduite, froide et détachée. Je dois comprendre. -"Qui vous l'a demandé?" Qui a voulu voir mes traits couchés sur ce putain de carnet? Le fait de ne pas avoir repéré que c'était ce qu'il faisait... ça me met à mal. J'ai failli ! C'est con, humain, en fait, mais ça ne m'arrive jamais. Les machines n'échouent jamais. Plus j'observe ce dessin, plus je me sens comme... percée à jour. Il a capté quelque chose de moi. Dans ce choix d'expressions si différentes. J'y vois mon reflet et une de mes multiples facettes, c'est flippant de réalisme. Depuis des années, j'ai appris à tuer sans sourciller. Pour moi, c'est un métier comme un autre. Mais ce soir, quelque chose s'est produit qui a ébranlé mes convictions. Parce que cet homme, je ne comprends rien à ses motivations.

Comment peut on manipuler quelqu'un dont on ne comprend pas le but? Je me rappelle parfaitement de cet homme. Il était seul, assis à une table dans ce café. Il était plongé dans son dessin et ne semblait pas remarquer les autres clients. Il m'a dévisagée sans sourciller, à peine quelques secondes.... et ce serait le résultat d'une observation aussi courte? Je ne peux pas y croire. Je me sens perturbée et je n'aime pas trop cette vulnérabilité que je sens émerger. Alors je fronce les sourcils et je carre la mâchoire, répondant instinctivement par une certaine forme d'agressivité. C'est de sentir mon corps agir de la sorte qui me sidère le plus... depuis quand mes émotions gouvernent quoi que ce soit? C'est du délire. Il faut que je me calme, que je rationalise, que je décide soigneusement s'il doit vivre ou mourir. Que j'arrête de me prendre pour une arme de guerre aussi ! Parce que s'il se lève pour m'agresser, je ne donne pas vraiment cher de ma peau, même si mon petit sac à main est une caverne au trésor pour un herboriste sataniste... Je ne loupe rien de sa musculature et je suis parfaitement consciente que physiquement je ne fais pas le poids. -"Cette conversation est en train de me rendre un peu nerveuse, ce qui n'est bon, ni pour vous, ni pour moi. Alors finissons en voulez vous? Vous répondez à mes questions et je reprends le cours de ma vie, alors que vous m'oubliez très définitivement ou non." Je viens à demi mots de menacer de le tuer? On dirait bien. Sauf qu'hormis les pourritures qui ont jouis de nous jeter à la rue, je n'ai jamais tuer dans une débauche de violence. Et même là... j'ai provoqué de savants accidents. Ceci dit... vieil immeuble de San Diego, odieuse fuite de gaz, des choses qui arrivent. Alors pourquoi cette idée, me fait une drôle d'impression? Pourquoi l'imaginer, mort, me fait quelque chose?

Anxieux ? Pas vraiment, je suis plutôt intrigué de voir cette femme que j’ai vue au café ici chez moi sans que je l’ai invitée ni entendue rentrer… Elle me menace visiblement, mais elle est toute mince et toute douce visiblement et je ne perçois pas de menace en dehors de son regard et de son ton de voix, mais je n’ai rien fait de mal alors pourquoi je devrais craindre un truc ? Puis le souci, c'est que je suis bien trop captivé par la douce forme de son visage que je peux distinguer d’une nouvelle façon pour me concentrer sur autre chose. Je finis par lui répondre que seule elle et moi avons vu ce dessin. Et je lui demande si elle peut me passer le carnet pour correction ? Mais elle refuse et me dit que le dessin est à elle désormais et me demande s’il y a des copies.

« Uniquement dans mon cerveau où votre visage est gravé »

Elle me demande alors qui a demandé de faire ce dessin ? Je reste interloqué et je hausse les sourcils puis les épaules avant de répondre le plus simplement du monde.

« Personne. »

Elle semble se renfrogner et sa colère irradie de son regard. Je crois que je me sens en danger même si je n’arrive pas à comprendre comment ni pourquoi. Peut-être la manière dont elle tient son sac. Une arme ? Je suis en pleine rencontre du 3eme type là. Mais d’un autre côté, c'est assez amusant comme situation. Je pose mon crayon délicatement et sans bouger, je lève un peu mes mains lui montrant mes paumes bien ouvertes en faisant des gestes lent et apaisant. Je ne vais pas menacer ou faire le fou, je veux juste dissiper le malentendu.

« Écoutez, je ne voulais pas vous offenser. Je dessine les choses que je vois passer. Les objets, les animaux, les gens. J’ai aimé votre expression du visage. Ce type vous a appelé Elisa et quand vous avez dit au serveur que vous vous appeliez Zélie, vous aviez ce visage totalement différent. J’ai juste laissé parler mon crayon. C’est un carnet où je griffonne ce qui me passe par la tête ou sous les yeux. »

Je souris doucement et me dis que ce n’est peut-être pas le bon moment pour lui dire que j’avais envie de me faire tatouer son dessin juste sur le bras à un endroit que j’avais laissé vide en attendant. Mais ma curiosité naturelle reprend un peu le dessus alors, je lui dis.

« Du coup, vous vous appelez Elisa ou Zélie ? Les deux vous vont très bien, vous savez ? »

Pourquoi j’ai le sentiment qu’elle grogne encore plus fort ? Que ses yeux se durcissent et qu’elle se crispe ? Je n'ai pas dû dire la bonne chose. Je réfléchis rapidement. Moi qui voulais l’apaiser, je dois avouer que c’est un peu loupé. Oh soudain je réfléchis à ce que j’ai appris ce matin.

« D’ailleurs mes condoléances pour votre ami, celui qui vous a retrouvé au café. Comment il s’appelait déjà ? Andrew… Non Edward, c'est ça. J’ai appris sa mort aux infos, je suis navré pour vous et… »

Pire… Elle change totalement et son regard devient hostile. Bon, je dis sans doute la merde.

« Écoutez, je ne voulais pas vous énerver, je ne comprends juste pas ce que vous faites ici et en quoi ce dessin est un problème ? »

Je le regarde fixement, quand tombe sa réponse. Il vient vraiment de me dire que mon portrait robot est gravé dans sa tête? Ce mec est inconscient, suicidaire ou... les deux? Il semble hésiter, mais finalement il lâche d'un ton calme et posé que personne ne l'a demandé et je crois que mon agacement transparaît par un froncement de sourcils appuyés. D'où il sort ce mec? Avec sa petite mèche rebelle et tous ses tatouages, capable de dessiner un portrait-robot en m'ayant observée quelques minutes à peine... Je travaille dans le secret, c'est ce qui me préserve des conséquences de mes actes, et ce gars pourrait tout faire voler en éclats?

Il lève les mains et reprend la parole, pour me sécher complètement cette fois. Il rappelle très posément qu'il m'a vue trainer auprès de ma cible peu de temps avant sa mort et qu'il sait que je me présente sous différentes identités. Je reste interdite, ne sachant pas quoi répondre ce qui est surement une grande première. Pourquoi fait il tout pour me provoquer ? Est-ce que c'est un piège dans lequel je viens de tomber? Si c'est le cas, pourquoi ne pas venir me trouver directement ? Il me retient et ses petits amis poulagas viennent me coffrer? Je suis perdue dans mes pensées, la belle mécanique de mon esprit totalement grippée. Je le fixe longuement, essayant de déceler la moindre trace de mensonge ou de duperie dans son regard. Mais je ne trouve rien, juste une sincérité désarmante. Je suis partagée entre ma prudence naturelle, un agacement de plus en plus profond et ... la curiosité. D'un côté, je n'ai pas envie de me mettre en danger et il en représente pourtant un de taille, de l'autre, je suis intriguée par cette histoire et ce mec complètement décalé. Finalement, il reprend la parole et je roule des yeux au ciel. A priori connaître mon visage, sur le bout des doigts ne lui suffit pas.

Ma première impulsion est étrange. J'ai envie de... crier? Bizarre. Je n'ai jamais d'émotions de ce genre. Pourtant j'ai bien envie de lui aboyer dessus qu'il n'a qu'à m'appeler la faucheuse et que ce sera parfait. Mais... il y'a une étrange candeur dans sa façon de me poser cette question et je crois que j'en suis d'autant plus déconcertée. Il fait tout pour me rendre folle de rage, tout pour renforcer la nécessité de le tuer... et il n'a même pas l'air de s'en rendre compte? Sauf si c'est le comédien le plus doué que j'ai jamais vu, et qu'il me pousse tout bonnement à la faute? Débusquer une tueuse en lui offrant une victime sur un plateau ? Ils seraient assez tordus pour ça au FBI ou à la crim ?

Je tente d'organiser mes pensées pour répondre quelque chose de construit et de cohérent, mais il ne m'en laisse pas de temps. Sans doute parce qu'une part de ma rage se lit dans mon regard et qu'il se remet à parler. Je suis abasourdie par la suite de son discours. Est ce qu'il vient clairement de me jeter Edward à la gueule ? Je prends une longue inspiration, par le nez, regrettant soudainement de ne pas avoir choisi l'option close combat dans mes multiples talents. Pas sure que le yoga me soit d'une utilité flagrante dans l'instant...

Je fixe les yeux sur le jeune homme, les yeux noirs d'une colère non feinte. -"Je ne sais pas comment vous avez obtenu toutes ces informations, ni ce que vous comptez en faire mais je n'ai pas pour intention de vous laisser foutre ma vie en l'air." Est ce que c'est la fin de mon intermède californien? Je n'en ai nulle envie, mais peut être que je ne vais pas avoir le choix. Putain... une seule erreur ! Un seul foutu grain de sable et il fallait qu'il soit là pour en capter l'essence et en faire un dessin?

Je contourne le lit pour me trouver à côté de lui, le surplombant de toute ma superbe alors que je serre les poings. Je devrais me tenir prête à partir, pour m'organiser et le faire disparaitre. Pourtant je suis là, à le fixer, sans parvenir à démêler mes pensées de cette crainte poisseuse qui s'accroche à mes pores. Comment fait il ça? Comment parvient il à me faire ressentir ça? Je réfléchis un instant, sentant le poids des enjeux sur mes épaules. Je ne sais plus si je dois mentir ou tabler pour une fois sur la vérité. A moins qu'il y'ait une option à la croisée des chemins ? J'en sais rien... je crois que c'est la première fois de ma vie que la route à suivre ne m'apparaît pas avec clarté. -"Pour qui travaillez vous?" Je crois que mon esprit ne veut pas démordre de cette piste et de son lien probable avec les autorités. -"Ce dessin est un problème parce que je tiens à mon anonymat. Il serait extrêmement fâcheux que mes traits viennent à être diffusés." Je me tais, prenant le temps de réfléchir. Il me faut un plan... et vite.

Pourquoi j’ai cette incroyable impression que quoi que je dise, je fais encore pire que si je fermais ma gueule ? Y’a un vrai souci dans ce que j’ai vu et pourtant je n’ai jamais compris ce qui pouvait être un souci. Parce que pour moi à aucun instant, je n’ai pu imaginer qu’elle ait tué ce mec avec qui je l’ai vue. Elle me fixe et retient avec peine sa colère. Elle me demande alors comment j’ai obtenu toutes ces informations et qu’elle ne compte pas me laisser foutre sa vie en l’air… Okay, elle est siphonnée. Elle ne sait pas de quoi elle parle ou alors c’est une caméra cachée sans doute ? Elle se déplace et se tient au-dessus de moi, debout près du lit me surplombant de toute sa superbe. Je la contemple par en dessous sans un mot. Elle semble inquiète derrière sa colère et doucement, je lui dis.

« Alors, gardez le dessin et je vous promets de ne plus jamais vous dessiner. »

Je me sens un peu mal à vrai dire de l’avoir mise en colère. Je ne dessine pas les gens pour les fâcher, je le fais, car c’est ma manière de les observer et de traduire mes observations. Je la regarde, j’essaye de l’apaiser sans bouger de ma posture ni faire de mouvements brusques, car un truc me dit qu’elle n’aimerait pas ça.

« Je… je ne veux embêter personne. Je vous ai trouvé belle, mystérieuse. Préoccupée. J’observe les gens, les choses, je dessine ce que je vois. J’ai appris à observer et à dessiner ensuite. Je vous avais tellement bien dessinée dans ma tête que c’était facile de vous refaire. Mais je vous jure que je n’ai jamais pensé que je pourrais vous fâcher en le faisant. »

Je me redresse un peu et me réajuste sur le coussin. Je n’ose pas me lever ni la toucher. C’est un peu intimidant, c’est la première fois qu’une femme force ma porte la nuit pour me menacer parce que je l’ai dessinée.

« Je suis juste un artiste qui dessine, tatoue les gens et tout ce que je possède est ici. Je suis daltonien et je vois tout en noir en blanc. J’ai perçu deux fois des couleurs dans ma vie et notamment dans les yeux d’une femme que je guette au café où je vous ai vu parce que ses yeux sont la seule chose que je vois en couleur et ça m’obsède. Et en l’attendant, c'est vous que je regardais et je suis sincèrement navré si je vous cause le moindre tort »

Je suis d'un esprit naturellement froid et performant, une machine bien huilée qui fonctionne avec précision. Chaque pensée est longuement calculée, chaque action est exécutée avec une efficacité implacable. Mais aujourd'hui, un grain de sable a trouvé son chemin dans mes rouages et j'ai l'impression d'en sentir la brulure vénéneuse au creux de mon cerveau, je peux presque l'entendre crisser, couvrant le tumulte désorganisé de mes pensées. Désorganisé... mais c'est pire que tout.

Cet homme que je contemple avec méfiance est l'allégorie de l'anéantissement, un élément impossible à prévoir qui a réussi à se frayer un chemin au cœur de ma perfection mécanique. Il s'infiltre, irritant et insaisissable, étrangement nimbé d'une beauté que je ne m'explique pas, se logeant entre les interstices de ma logique imparable. Comme un éclat de verre dans une montre précise, il provoque un dérèglement subtil mais persistant. Mes pensées s'embrouillent, mes idées s'entrechoquent. Les rouages qui autrefois s'emboîtaient sans effort maintenant grincent et se bloquent, perturbés par cette intrusion indésirable.

Je ressens une frustration grandissante alors que je lutte contre ce grain de sable, sans savoir comment je pourrais m'en libérer. Il déforme ma perception, altère ma clarté d'esprit, il me perd et je ... je n'ai jamais vécu ça. Mes pensées, autrefois fluides et organisées, sont maintenant parsemées de doutes et de confusions, dois je le tuer? Est ce que ça réglera le problème? Est ce qu'on peut réparer ce qu'il vient de dérégler en moi? J'ai l'impression d'être un ordinateur en surchauffe, cherchant frénétiquement à résoudre une équation insoluble. Mes réponses ne sont plus immédiates et tranchantes, mais hésitantes et troublées, parce que je me sens enlisé dans une marée de perplexité et parce qu'il semble en rajouter une couche à chaque fois qu'il ouvre la bouche. Je suis programmée pour résoudre les problèmes, pour trouver des solutions, alors pourquoi je sèche? Il parle, m'expose ses raisons, alors que je me livre en interne à une traque dans les méandres de ma pensée, tentant de révéler ce qu'il a touché, de fixer ce quelque chose en moi pour m'en détacher.

Mon regard brûle d'une détermination mêlée de méfiance alors que j'attends une espèce d'illumination. L'inconnu reste calme, presque imperturbable, face à mon défi silencieux et à mon attitude clairement agressive. Comment peut il être aussi calme? Il dégage une étrange douceur, abandonné ainsi à portée de main, une étrange émotion nait en moi et je ne sais pas du tout comment gérer, ni quoi en faire. Après un court instant de silence aux allures d'éternité, il reprend la parole d'une voix posée. Il s'excuse du tort qu'il aurait pu me créer et à moins d'être un acteur exceptionnel il est d'une sincérité confondante. Le monde vacille, je me sens étourdie et je ferme un instant les yeux, essayant de lui rendre un peu de consistance. J'ai été négligente et je ne m'en remets pas. Si je n'ai plus cette méticulosité qui confine à l'oscène qu'est ce qu'il me reste? Je reste silencieuse, évaluant chacun de ses mots, essayant d'établir s'il pourrait gagner ma confiance ? J'ai clairement pris une pente étrange.

Je décide de continuer à le sonder, à mettre son sang-froid à l'épreuve, à essayer de déterminer si il ment ou non... -"Comment pouvez-vous être aussi calme, quand quelqu'un fait irruption dans votre chambre en pleine nuit?" Okay... donc maintenant ma bouche ne formule plus les questions que je tisse sous mon crâne? On en est réellement là? A laisser sortir des pensées? Sans filtre? Mon agacement grandit, mon trouble aussi. Tandis qu'une part de moi est intriguée par la facilité déconcertante avec laquelle il a pu percer mes secrets les mieux gardés. Je décide de jouer le jeu, de lui donner un peu plus de corde pour qu'il se dévoile.

-"Donc vous savez ce qui me relie à Edward Mitchell." Il incline légèrement la tête, mes yeux soutenant son regard, cherchant à y lire s'il doit mourir ou si je peux le laisser vivre, pour comprendre comment il fait pour troubler mon esprit de la sorte. Comprendre, pour m'en préserver, pour que ça n'arrive plus. En tout cas je m'en convaincs sans trop de peine. Je suis habituée à opérer seule, à ne faire confiance à personne, c'est ce qui fait ma force, mais aussi sans doute ma vulnérabilité. Je n'ai pas de réseau en back up, même si ce n'est surement plus tout à fait vrai, en tout cas si j'acceptais d'être redevable à Mister Payns et à ses étranges templiers. Pas demain la veille tout de même. Mais cette confrontation inattendue fait naître en moi des émotions que je ne suis pas habituée à ressentir. Je ne suis de toute manière pas habituée à ressentir, quoi que ce soit, c'est bien ce qui me perturbe. Parce que la peur pour mon business se teinte de bien d'autres choses. Je me sens tiraillée entre ma prudence instinctive, la colère qui brûle encore et cette lueur étrange qui émerge quand je regarde dans les yeux l'inconnu devant moi. Quelle décision prendre ? La route tracée devant moi est floue, incertaine. Pour la première fois, je suis confrontée à un dilemme qui met en jeu ma survie, mes secrets et peut-être même ma raison d'être.

Qui est cette femme ? En fait, je m’en moque de son nom, de son prénom, mais son regard me lance une myriade d’émotions qui tourbillonnent et changent. Ses mimiques se mélangent les unes aux autres et son visage se transforme. C’est une magicienne. Le contrôle sur ses réactions et ses muscles faciaux sont désordonnés et en train d’échapper à son contrôle alors que je ne sais plus que dire où faire pour la stabiliser. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme elle et je trouve cela étourdissant et magnifique à contempler. J’ai perçu une chose en elle et j’ai dessiné ses traits, j’ai dessiné en écoutant mon cœur pas ma logique. Je fonctionne sur le ressentit. D’ailleurs, elle souligne un fait intéressant en demandant comment je peux être aussi calme quand quelqu’un fait irruption dans ma chambre en pleine nuit.

« Je vous ai pris pour un rêve érotique. »

Son regard se stabilise enfin, mais je me demande si c’est parce qu’elle vient de décider de me tuer ou si ce que je dis est totalement décontenançant ? Peut-être les deux. Sans m’expliquer pourquoi je suis persuadé qu’elle serait capable de me tuer sans souci. Elle n’a pas l’air dangereuse, mais elle dégage une énergie d’une puissance qui me confine à la crainte… Je décide alors d’expliquer un peu.

« Vous savez, c’était tellement inattendu que j’ai cru que je dormais et que comme je vous ai dessiné mon cerveau m’a fait rêver de vous et que c’était le genre de rêve ou on se réveille toujours au moment où… Enfin voilà… »

Je creuse ma tombe. Bon en même temps, je suis désolé, mais je crois qu’elle n’apprécierait pas que je lui raconte des mensonges. C’est la vérité et si elle ne peut pas l’entendre c’est dommage, mais c’est elle qui me demande de lui répondre. Je respire doucement et pour l’apaiser, je décide de lui dire alors.

« J’ai une vie compliquée. J’ai perdu des gens que j’aimais et j’en suis à un point ou je me dis qu’au pire, je peux mourir et qu’une fois mort plus rien n’a d’importance. »

Triste ? Non, c'est réaliste. Je suis le genre de mec qui tombe d’un immeuble et qui se répète en boucle jusqu’ici tout va bien…. Une théorie raconte que la peur n’est qu’une projection mentale du futur qu’on imagine. Si on fait l’état des lieux à chaque instant, à chaque seconde, il n’existe aucune raison d’avoir peur. Car rien n’est effrayant là tout de suite. C’est un peu ce qui se passe dans mon cerveau. Ce qui doit arriver arrive et c’est ainsi. Elle me regarde et me dit que je sais ce qui la relie à Edward Mitchell.

« Qui ? »

Qui est Edward Mitchell ? Oh oui, le mec du café s’appelait Edward.

« C’est donc Mitchell son nom ? Et vous le connaissez bien ? »

Oui forcément, elle l’a appelé par son prénom et elle semblait l’attendre. Je la regarde et je retrouve un visage plus apaisé. Je tourne sans m’en rendre compte la tête sur le côté, continuant de plonger mes yeux dans les siens. Sans m’en rendre compte, j’approche ma main de sa joue et l’effleure délicatement du bout des doigts comme pour en ressentir la douceur infinie. Je suis littéralement captivé par la lueur de ses yeux et peu importe ce qu’elle exprime, elle me plait. Cette lueur m’enivre… Je baisse la main et doucement, ma main gauche glisse dans la sienne et la retiens doucement. Je ne sais pas ce qu’elle a répondu, mais je lui dis alors.

« Attendez… J’ai très envie de vous faire quelque chose… »

Je tends le bras et j’ouvre le tiroir de la table de chevet. Dedans, c'est un bordel de papiers, de crayons, feutres et trucs pour dessiner. Il y a de tout. Je prends un feutre que j’utilise pour les motifs de tatouages. Il est violet (enfin, il parait) moi, il me donne un contraste parfait pour tatouer et il part avec du savon, mais j’ai une envie très subite.

« S’il vous plait, laissez-moi juste… »

Soudain, je réalise ce que je veux faire et rougit avant de sourire et de lui désigner du menton le dessin.

« … Juste, vous écrire sur le visage comme j’ai fait sur le dessin. Ce sera comme donner vie à mon dessin… S’il vous plait. Je ferai tout ce que vous voudrez en échange. Absolument tout. »

Elle pourra me faire boire du poison volontairement, ça m’ira parfaitement. J’ai juste envie de pouvoir dessiner ces lettres et reproduire mon dessin. C’est une idée follement savoureuse pour moi. Le dessin est sorti de mon esprit et je pourrais lui donner vie en vrai en quelques lettres tracées sur sa peau… J’en rêve subitement, je suis enjoué comme un enfant le jour de Noël.

Un rêve éro quoi ? Je crois que pour la première fois de ma vie, quelqu'un vient de parvenir à littéralement me sidérer. Je reste là, plantée, lèvres entrouvertes sur un écho de questions silencieuses et il se met tranquillement à développer son idée. Il a donc pensé que la suite de mon débarquement incluait strip-tease et préliminaires? Je tente de reprendre contenance, fronçant les sourcils, penchant la tête sur le côté en essayant de me persuader que c'est trop fucké du cerveau pour ne pas être vrai. Je n'ai pas la moindre idée de ce que je peux répondre à ça, je me contente de laisser errer mes yeux sur son corps, peut être un peu flattée de lui avoir inspiré de telles pensées? Non... mais là... ça déconne à plein tubes sous mon crâne.

Je n'ai pas le temps de trouver quoi répondre à cette déclaration surréaliste qu'il reprend la parole pour exprimer une forme de sérénité face à la mort qui me fait de nouveau pencher la tête. Soudainement encore plus attentive. C'est rarissime, un tel détachement, surtout chez quelqu'un qui n'a au demeurant pas l'air mélancolique, ni même dépressif. J'essaie alors de reprendre le fil de cette conversation, de revenir au sujet qui nous occupe et sa réaction me replonge dans les affres du doute. Manifestement il n'a pas cherché à me relier au meurtre... il semble même ignorer que ça en est un. Est ce possible que ce ne soit qu'un concours de circonstance complètement fou ? Est ce que c'est moins dangereux pour autant? -"Pas très bien non, je voulais qu'il participe financièrement à un projet caritatif." Impossible de ne rien répondre, mais je n'ai pas le temps de développer mon argumentaire pour autant. Parce qu'il s'agite, se redresse, attrape un feutre et se met à tergiverser sur son envie de me peinturlurer le visage? Je rêve? Est ce que finalement c'est moi qui fait un rêve bizarre? Parce que le côté érotique... là je le trouve pas. Si ce n'est son corps aux lignes parfaites... évidemment. Mais clairement le script serait un peu bancal là non ? Je suis tellement soufflée par sa demande que je reste plantée là, immobile, mes yeux scrutant ses mouvements. -"En échange je veux savoir pourquoi vous m'avez dessiné et ce que vous comptez faire de ce dessin?" Mon esprit revient toujours à cette question, comme en butée. Parce que je n'arrive pas à penser ou à admettre que c'est fortuit, que c'est arrivé... justement sans raison ! Sans doute parce que rien n'arrive fortuitement dans ma vie. Je calcule tout, toujours, au millimètre, et voilà que je suis plantée dans la chambre d'un inconnu quasiment nu qui veut m'écrire sur le visage? Pour personnifier un dessin qu'il a fait de mémoire et qui pourrait m'envoyer en taule s'il tombait entre de mauvaises mains? Que ferait le délicieux inspecteur Jackson face à un dessin présentant deux autres prénoms sur mes traits? Alors même que l'expression de mon visage serait encore toute autre? Il faut avouer que c'est fascinant, la douceur d'Elisa et le métal des yeux de Zélie... comment a t'il pu rendre ça? -"C'est un truc indélébile?' Non mais je ne suis quand même pas sérieusement en train de me poser la question d'accepter là quand même ? Pourtant j'ai déjà donné mon prix en échange... ce qui est idiot ! Jamais on ne fait ça dans une négociation ! En tout cas pas si on veut l'emporter. Je me comporte comme une débutante... non pire, une débutante émotive !

C’est vrai que cette rencontre a un côté assez surprenant, mais d’un autre côté y’a surement plein de raisons logiques à sa présence ici. Le seul souci, c’est que je ne sais pas du tout ce qu’elles sont, mais bon, y’a des milliards de choses que je ne sais pas et ne comprends pas sur ce monde et tout ce qui l’entoure, alors bon pourquoi je me sentirais menacé ? Et puis si elle veut me faire du mal, le pire qui puisse m’arriver est de mourir et une fois mort plus rien n’a d’importance non ? En tout cas, elle a l’air fâchée quoi que je lui réponde. J’essaye de me montrer sympa et doux, mais c’est un fiasco et ça devient de pire en pire, j'ai l’impression. Je la regarde alors qu’elle me parle d’un Mitchell avant que je réalise de qui il s’agit. Je lui demande d’ailleurs si elle le connaissait bien et me dit qu’il participait financièrement à un projet caritatif.

« Ça, c'est chouette. »

Je souris sans trop comprendre de quoi on parle. Je suis captivé par la géométrie de son visage. Les angles de son corps qui font sa silhouette. Elle était agréable à dessiner de mémoire, mais la voir en vrai ça me donne tellement envie de dessiner que j’ai les doigts qui me brulent si bien que je finis par lui demander de pouvoir lui écrire dessus pour cette idée folle : j’ai imaginé un dessin d’elle avec ses traits en rajoutant une fantaisie sous forme de texte sous son œil. L’image m’a tellement plu que maintenant qu’elle est là, je veux absolument rendre mon idée de dessin réelle. Comme si j’avais pu refaire ce dessin. Elle me donne une condition et mon cœur saute de joie. Elle aurait pu me demander de m’enfoncer un poteau électrique dans le fondement, je l’aurais fait sans hésiter.

« C’est juré »

Je prends le feutre et m’approche avec lenteur. Ma main se dépose sur son visage. Mon Dieu sa peau est si douce. Elle soupire et son souffle caresse mon visage me faisait sourire. Je trace lentement les lettres des prénoms que j’ai mis sur mon dessin quand elle me demande si c’est un truc indélébile.

« Non bien sûr puisque je suis tatoueur. C’est avant tatouage donc ça ne part pas. »

Je m’arrête et la regarde, essayant de retenir un rictus hilare durant cinq secondes, mais devant son regard indigné, je craque à la 3eme seconde et explose de rire.

« Ça part avec du savon… »

Je me mords la lèvre, amusé. Tiens je n’avais pas ri comme ça depuis… Longtemps. Je finis un côté et le regarde en me reculant un peu, lâchant alors un petit « Waow… » Comme si je venais de découvrir un trésor sublime dans un vieux coffre de bois. Je lui tourne délicatement le visage et reproduis doucement l’exercice. Je contemple son visage de tellement près et pouvoir la toucher c’est très agréable. Une fois mon dessin fait, je la regarde avec un sourire délicieux et émerveillé et lui lance un petit « Waow … » Identique à l’autre. Je cache une moitié de son visage avec ma main et l’autre, puis reviens sur l’une… Puis sur l’autre.

« Vous êtes magnifique. Je n’arrive pas à choisir quelle moitié je préfère ? »

Je suis littéralement subjugué et je reprends mon dessin et un crayon identique pour pouvoir retoucher mon dessin initial en quelques traits et contrastes rapidement griffonnés.

« Voilà… Comme ça j’aime mieux… »

Je souris et lui désigne le miroir sur l’armoire dans lequel elle peut se voir en se tournant un peu juste pour voir le résultat.

Je n'ai pas accepté... alors pourquoi il se redresse avec cette tête de gamin au matin de noël ? Pourquoi il me... touche? Je ferme les yeux, un dixième de seconde et il est déjà en train d'écrire avant de me répondre ! Mais c'est quoi ce délire? Et pourquoi je ne bouge pas? Je me contente de soupirer doucement, alors qu'il écrit et déclare que... ce truc est indélébile? Oh le con ! Oh je vais le tuer ! Mon esprit se bat entre la sidération face au comportement de cet inconnu et la prudence qui me crie de m'éloigner de cette situation étrange.

Mon regard se fixe sur le feutre qu'il tient toujours, prêt à esquisser ses intentions sur mon visage, enfin je devrais dire à les continuer. L'idée d'une marque indélébile me terrifie, ce qui est idiot, puisque je pourrais toujours l'enlever, sur la peau. Comment fait il ça? Pour me plonger dans des abîmes émotionnels que je ne perçois même pas habituellement. Il éclate de rire et... je respire mieux. Son rire est mélodieux, le sourire qu'il affiche en même temps l'est tout autant.

Il écrit sur mes joues, juste sous mes pommettes et semble totalement passionné, absorbé par une contemplation qui lui tire de petits sons enthousiastes. Je fronce les sourcils et lui coule un regard presque halluciné. C'est complètement perché... toute cette situation. Il est en train de s'ambiancer, alors que je ne comprends toujours pas comment j'ai pu en arriver là. Il me trouve magnifique? Je penche légèrement la tête pour le regarder de côté, me demandant dans quelle mesure il est sincère. Je crois que c'est ce qui me rend perplexe, finalement... cette impression qu'il ne dissimule rien? C'est dingue ! Dans mon univers de faux semblant c'est presque, inquiétant? Je ne sais pas trop le définir, mais ce qui est sur c'est que ça me perturbe. Les rouages de mon esprit se grippent et je l'observe reprendre son dessin sans rien dire.

Je suis intriguée par la candeur qu'il dégage comme par sa manière de s'exprimer à travers le dessin. Il dégage une authenticité qui me perturbe et me laisse perdue dans mes pensées. Alors que je l'observe attentivement, je me demande ce qu'il penserait de moi s'il connaissait ma véritable identité, mes secrets les plus sombres. Est-ce qu'il continuerait à me dessiner avec autant de plaisir, à capturer mes multiples facettes, ou bien serait-il déçu, voire répugné par la personne que je dissimule sous mon masque ? Qui est cette personne? Qui est vraiment Zélie? Est ce que je le sais moi même? Sans doute pas vraiment... Peut être parce que je ne veux surtout pas le savoir?

Cette pensée me plonge dans un abîme de doutes et de questionnements. Devrais-je me dévoiler à Jaccen, lui révéler qui je suis vraiment ? Ou bien dois-je préserver ce mystère qui m'entoure ? D'ailleurs pourquoi j'ai tout à coup cette envie de me révéler? Je ne sais pas trop, mais ce sourire qu'il m'offre avant de me désigner le miroir, ça me donne l'impression étrange d'ouvrir une porte vers mon monde intérieur. Je contemple mon reflet, ces noms en travers de mes joues et ça me fait bizarrement vibrer.

Je me détends, graduellement, ça se traduit d'ailleurs physiquement, je remonte pour m'appuyer contre la tête de lit, repliant les jambes, les yeux restant fixés sur le miroir. Une part de moi reste méfiante, consciente des risques que je prendrais en dévoilant mes secrets les plus profonds, mais je crois que je peine à me le représenter comme une menace. Après tout, je suis une femme aux multiples visages, forgée par une vie de mystères et de manipulations. Est-ce qu'il pourrait réellement comprendre, accepter voire apprécier toutes les facettes de mon être ?

Perdue dans mes pensées, je m'approche lentement de Jaccen. Nos regards se croisent, et je cherche des réponses dans les profondeurs de ses yeux. Une lueur d'incertitude danse dans mon regard, et d'une voix basse, je murmure : -"Jaccen, si je te disais, qu'il y'a bien d'autres facettes, que penserais tu de moi ? Est-ce que tu continuerais à me dessiner avec autant d'enthousiasme ?"

Un silence suspendu plane dans l'air, étrangement empli par des appréhensions que j'ignorais avoir. Dans cet instant fragile, je me demande si je dois franchir cette barrière qui nous sépare et partager avec lui la vérité qui me consume, ou bien si je dois préserver le voile qui m'entoure, restant drapée dans le mystère qui me protège autant qu'il m'isole. Ai je vraiment l'intention de me raconter? Je ne le sais pas... moi même. Ce qui est sur c'est que... je n'ai plus envie de le tuer. Pour l'instant en tout cas.

Elle accepte. Mon cœur s’emballe et je deviens fou. Je suis un artiste et la perspective que ce simple crayonnage sur son visage implique chez moi me rends complètement fou de plaisir. J’en viens même à lui faire des plaisanteries. Je réalise que c’est assez rare chez moi et que ça traduit mon plaisir à cet instant. Je m’applique soigneusement alors que je n’arrive pas à comprendre ce tumulte nébuleux dans son regard. Elle est totalement en train de se perdre dans une immense tornade d’émotions que je ne comprends pas. Et, puis je ne me pose pas vraiment de question. Certes, je pourrais me demander ce qu’elle fait là, pourquoi ce dessin la met dans cet état-là, mais je m’en tape en fait. Elle pourrait être une tueuse à gage et venue ici pour me buter que ça n’aurait pas vraiment d’importance. Je crois que j’ai bien vécu et que la perte de ma mère puis de Kiara a sans doute desséché mon âme et qu’aujourd’hui, je suis prêt à mourir. Ça m’est égal en fait.

Je réalise avec plaisir que la jeune femme se détends peu à peu lorsqu’elle regarde son reflet. Je viens derrière elle à genoux sur le lit, ma tête arrivant au-dessus de la sienne. De ma main en volet, je masque une moitié de son visage pour lui donner la sensation d’une personne, puis j’inverse pour lui donner le sentiment d’une seconde. Cette sorte de double-face me fait complètement fondre. J’ai enfin mon œuvre vivante. Je contiens le désir de passer mes bras autour d’elle et de la couvrir de remerciements parce que je suis trop envouté de plaisir à contempler sa splendeur. J’en viens même à avoir l’impression que les lettres sur ses pommettes, je les perçois en couleur. Mon cerveau déconne sans doute. Elle se tourne et approche de moi. Je m’assois sur mes talons et lui fais face. Nous sommes sur mon lit et elle me fixe droit dans les yeux. Elle me pose alors une étrange question sur elle.

« Que ça m’est égal. »

Je pose ma main sur sa joue, approchant mon visage pour caresser du pouce sa pommette juste sous le texte légèrement arqué que j’ai écrit sous ses yeux. Je contemple son regard. Pour une fois, il est plus calme, moins en tempête et j’avoue que j’aime l’onde relaxante de ses yeux. Je pourrais lui conter mon histoire, les souffrances, la sensation que je suis en sursit le temps que la mort vienne me prendre et que je dessine parce que j’aime me représenter le monde à ma manière avant que la vie en moi ne s’éteigne et que je retourne au néant ? Mais, elle n’en aurait rien à foutre je crois. Je suis une personne détachée. Les choses sont ce qu’elles sont. L’ombre existe pour embellir la lumière, le mal pour faire briller le bien. La souffrance pour compenser la joie. L’équilibre des choses est ainsi faite et je contemple les va et viens de ce monde, car peu importe les vagues à sa surface, la mer sera toujours la mer, peu importe les vagues.

« C’est important ce que je peux penser de toi ? »

Je lui adresse un petit sourire triste et amusé à la fois. Mon regard vissé au sien, je comprends pourquoi elle est venue. Comme un flash qui me mène à l’évidence de sa présence ici et sans que j’explique concrètement les tenants et les aboutissants de ses raisons, je capte son intention. Je lui lance un sourire apaisé et embrasse son front doucement.

« Ça va aller… Tu veux me tuer maintenant ou tu désires le faire quand je dormirai ? »

Je prononce cette phrase sans aucune crainte, peur ou malaise. Je suis prêt, je n’ai pas peur de mourir. Elle m’a offert un présent magnifique et maintenant, je peux lui rendre ce service. Pour une raison qui m’échappe, je la gêne et elle doit m’éliminer. C’est une certitude que j’ai lue dans ses yeux. Aurais-je aimé faire quelque chose ? Peut-être regarder une dernière fois les jolis yeux de Sydney et m’abreuver une ultime fois de leur couleur. Mais c’est inutile. Je souris à la jeune femme, attendant qu’elle me réponde. Je suis calme et prêt.

Les émotions s'entremêlent en moi alors que Jaccen continue de dessiner sur mon visage, créant une symphonie visuelle qui résonne avec les notes complexes de mon propre être. Son enthousiasme est palpable, ses plaisanteries me font sourire malgré moi. C'est rare pour moi de me sentir ainsi, vulnérable et pourtant, en cet instant, j'embrasse cette vulnérabilité avec une certaine curiosité.

Le jeu de l'ombre et de la lumière sur mon visage, le miroir qui me renvoie une version à la fois familière et étrange de moi-même, tout cela m'immerge dans un sentiment presque hypnotique. Mes pensées sont tumultueuses, un flot d'émotions que je peine à décoder. La peur de la révélation s'entremêle avec une étrange envie de me dévoiler, de laisser quelqu'un s'approcher de ces aspects cachés que je protège si farouchement. Je suis étonnamment apaisée lorsque Jaccen s'approche de moi, ses gestes doux contrastant avec la violence de mes propres réflexions et de l'ensemble de ma vie, comme de mon oeuvre. Je perçois son intention, cette tentative de créer une unité dans mon visage divisé, dans mon esprit scindé... de m'offrir une perspective différente sur moi-même. Et pourtant, cette unification provoque une dissonance en moi, car je réalise ce que je renvoie, chaque personnalité pouvant s'incarner sur mes traits. Mais si je tombe ce masque, qui suis je ? Suis je quelqu'un sans tous ces personnages ? Y'a t'il plus en moi que ce simple visage ?

Lorsqu'il pose sa main sur ma joue et que nos regards se croisent, je suis captivée par la lueur de ses yeux. Il y a quelque chose de singulier dans son regard, à moins que ce soit dans la façon qu'il a de me regarder? Je lis une forme de compréhension que je n'aurais pas soupçonnée. Sa question est simple, mais elle résonne profondément en moi. Est-ce que ce qu'il pense de moi a de l'importance ? La réponse n'est pas aussi évidente que je l'aurais cru. Le poids de mon masque, de mes secrets, commence à se fissurer, et je sens que je pourrais laisser tomber ce fardeau pour un instant, me dévoiler à lui. Depuis quand est ce un fardeau ? N'est ce pas finalement mon armure? Peut être que je l'ai trop portée, que désormais elle m'encombre ?

Le calme dans ses yeux, son sourire qui mêle la tristesse et l'amusement, me pousse à franchir un pas que je n'aurais jamais envisagé. Lorsqu'il embrasse doucement mon front, je frissonne, les barrières que j'ai érigées autour de mon cœur semblent s'effriter. Son questionnement sur mes intentions, sur ma décision de le tuer, est inattendu et pourtant, cela me rassure d'une manière étrange. Il a compris et... il n'a pas peur ?

C'est comme si il avait lu une partie de moi que je n'avais jamais partagée créant une étrange connexion. A peine l'a t'il énoncé que je sais que je n'en ferais rien. La perspective de me dévoiler à lui, de laisser tomber mon masque, me remplit d'une étrange excitation, qui je crois dépasse mes peurs. Dans cet instant, je me sens libre, libérée des chaînes de mes propres mensonges. Peut être que je peux être moi dans ce regard ? Le regard fixé sur lui, je laisse un sourire filtrer sur mes lèvres. Enfin... pas tout à fait. Je ne le laisse pas... il éclot, simplement, sans volonté consciente, sans contrôle. -"Peut-être que je préfère que tu restes en vie ? Pour comprendre comment tu parviens à lire en moi.", je réponds d'un ton doux, laissant transparaître une part de moi qui ne cherche plus à dissimuler sa vraie nature. Je n'ai jamais fait ça et c'est étrange à vivre.

La mort n'est plus ma seule option, et c'est libérateur. Une nouvelle énergie brûle en moi, une énergie qui me pousse à embrasser ces parts contradictoires de moi-même. Mon regard reste ancré dans le sien, une lueur de défi mêlée d'une étrange reconnaissance. -"Je crois que tu as réussi à me troubler, Jaccen. C'est une victoire en soi."

Dans cette chambre chargée d'émotions et de mystère, je me rends compte que j'ai trouvé un interlocuteur rare, quelqu'un qui peut comprendre sans juger, qui peut défier mes propres démons comme les ramener à la surface. L'inconnu qui aurait pu être ma proie deviendrait mon confident ? Cette rencontre est teintée d'une étrangeté qui ne me dérange plus. -"J'espère que tu ne m'y obligeras pas. Je n'ai pas envie de quitter cette ville, j'ai encore moins envie de visiter la prison, ne m'oblige pas à te faire du mal." Je reconnais le mal? Nouveau... Etonnant choix de mot. -"Tu as rencontré Elisa et Zélie, il y'en a beaucoup d'autres." J'agrippe sa main et la porte à mon ventre, avant de la porter à mon coeur. -"Là." Puis jusqu'à mon front, sur lequel vibre encore l'écho de son baiser. -"Et là."

Quel est le sens de la vie ? Je n’en sais rien. J’ai grandi dans la noirceur de l’existence. Dans des méandres absurdes et dans des faux semblants. Avec des gens qui croient en des chimères alors que ce monde est terne et gris. Était-ce pour cela que je peignais des couleurs que je ne comprends et ne voit pas ? Pour chercher à l’embellir ? Quand j’ai rencontré Kiara, mon monde a changé. Elle adoucissait ses contours en les estompants délicatement. Je dessinais avec elle et quand elle est partie tout s’est effondré. Le monde était redevenu ce qu’il était. Puis j’ai vu la couleur dans ce lever de soleil au bord de cette route après une nuit d’orage. J’ai trouvé la couleur dans les yeux d’une femme que je croise chaque jour. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas peur de mourir. Peut-être parce que je me dis que je n’ai rien ou que rien n’a vraiment d’importance et que si tout s’arrête ce n’est pas plus mal ? C'est assez froid et d’aucun diraient fataliste. Mais j’aime à croire que ce détachement est juste ma manière d’être. Peu de choses ont de prise sur moi et peut-être que je verrouille tout en moi ou que juste je n’ai plus rien à exprimer du tout car toutes mes douleurs sont parties quand j’ai perdu la personne de trop ? Instinctivement je regarde mes bras tous tatoués. Ils racontent des choses importantes. Puis je regarde cette femme. Elle est comme une peinture aux milles facettes. Fascinante et merveilleuse. Je la regarde et à chaque angle dans lequel je la contemple elle me révèle autre chose. Elle a accepté mon caprice et je peux mourir en paix. Sagement. Mais dans son regard je capte une étrange réaction que je n’attendais pas. Elle hésite ? Elle doute ? La phrase qu’elle prononce m’arrache un sourire, serais-je sa couleur ? Cette étrange truc qu’elle ne voit nulle part ? Ce serait me donner beaucoup trop d’importance je crois.

Étrangement qu’elle refuse de me tuer me laisse une sensation déplaisante. C’est une chose qui doit arriver et mourir de sa main en se noyant dans son regard pour emporter cette ultime image en guise de point final doit être absolument satisfaisant non ? Je n’en sais rien. Je crois que j’aime la poésie morbide de cette idée ou que mon cerveau déconne à plein régime à cause de la terreur ? Non, je n’ai pas peur. Elle avoue que j’ai réussi à la troubler et que c’est une victoire en soi. Je souris presque tristement et lui dis.

« Pardon alors, je m’en veux de te créer du trouble, ce n’était pas mon intention. »

Je caresse délicatement sa joue du bout des doigts comme pour obtenir son pardon, c’est vrai qu’en général je n’aime pas déranger. Avoir décelé sans le savoir sa vraie activité et son mode opératoire et accepter qu’elle me tue pour se préserver a du pas mal la chambouler. Elle doit être habituée à être invisible et à être suppliée quand elle donne la mort. D’ailleurs elle n’est pas très costaude, je dirai poison… Donc non elle ne doit pas être suppliée beaucoup. Elle me met en garde et me parle de ses « rôles » je souris et lui montre une zone sur mon bras sans tatouage.

« Je voulais me tatouer le dessin de ton visage avec les deux noms que je l’ai dessiné. Tu dégages une aura mystique et enivrante. C’est très attirant… »

Comme je me doute qu’elle ne va pas vouloir que je la dessine sur moi surtout avec cette idée que j’ai. Alors une idée me vient et je souris en la regardant.

« Tu m’inspires une idée folle… »

Je prends sa main doucement et la caresse avant de lui dire.

« J’aimerais te mettre nue et te dessiner dans différentes postures. À chaque fois je ne dessinerai pas ton visage. Juste la moindre courbe de ton corps et à un endroit je mettrais en guise de tatouage sur ta peau le nom d’une femme. Tu pourrais me raconter le caractère de chacune et je les dessinerais leur nom sur toi pendant que tu me les racontes ? »

Parler d’elle et mettre en scène ses « personnages » tout en trouvant un angle pour les dessiner et leur donner un caractère et une histoire sans que ces femmes que je dessinerai n’aient de visage. Juste leurs noms habilement placés sur elles pour les rendre vivantes et à la fois mystérieuses et mystiques.

« J’ai envie de te connaitre et de te dessiner mais sans te créer le moindre problème… »

Les doigts de Jaccen parcourent doucement ma joue, trébuchant sur les cicatrices invisibles de mon âme. Ses gestes sont comme les aiguilles habiles d'un horloger, ajustant les engrenages de mon être complexe. Je ne sais pas comment il fait ça, ni ce qu'il fait réellement mais ça semble faire écho dans une part de mon être. Il touche quelque chose que je ne croyais pas posséder et ça me questionne autant que ça me perturbe. Un sourire, empreint d'une douce tristesse, fleurit sur ses lèvres, et je sens en écho que ma vulnérabilité n'est plus une faiblesse, mais une mélodie rare dans la symphonie de ma vie si bien réglée. Peut être qu'il est la clef

-"Ce n'est pas un trouble, Jaccen, c'est une bien étrange révélation," réponse sincère et sans faux semblant? Décidément il m'a fait quelque chose, puisque me voilà, cherchant à transmettre l'importance de ce moment. Les ramifications de tout ça me submergent, un torrent d'idées et de sensations que mon cerveau bien huilé a du mal à gérer. Je suis en train de me risquer sur le chemin des émotions ? Je n'ai que faire des émotions, je me contente de les traverser, sans jamais les vivre, mimant, imitant, mais sans risque de ressentir ! C'est un désastre inextricable sous mon crâne, mais c'est dans ce désordre je trouve une étrange clarté.

Il parle de cette envie de tatouage de mon visage et j'ouvre des yeux ronds, alors qu'il enchaine sur son désir de me dessiner avec les noms des femmes que j'ai incarnées. C'est une idée audacieuse, presque folle, mais d'une beauté intrigante, ça me tire d'ailleurs un sourire en coin. Pas joué, pas manipulateur, juste un vrai, sincère. Il veut capturer l'essence de ces personnages sans leur donner un visage, les rendre à la fois mystérieux et réels, finalement n'est il pas en train de chercher à capter l'essence même de qui je suis ? Mon cœur s'emballe, et je ne peux résister à l'excitation qui monte en moi.

"-Je ne suis pas sure que je devrais accepter." dis-je, sentant le fonctionnement bien huilé de mon cerveau dérailler légèrement. J'ai l'impression d'être sur le point de plonger dans une eau noire, dont je ne percevrais pas les limites. C'est ça plonger dans l'inconnu? Cette sensation qui serre le ventre et rend à la fois anxieux à l'idée de se planter, et impatient d'y être? Je penche la tête et prend une longue inspiration par le nez avant d'ouvrir les vannes des mots sans le prisme de ma réflexion coutumière. -"Dessine-moi comme tu le ressens, comme tu le perçois. Et je te raconterai les histoires de ces femmes, leurs caractères, leurs secrets." Je soupire en me disant que c'est une aventure nouvelle, une exploration de mon âme à travers l'art. Pourquoi est ce que j'en ai envie? Sans doute parce qu'il a une façon étrange d'entrer en relation avec moi. -"Mais après ça. Si je te raconte les choses sans fard, tu risques de ne plus pouvoir me regarder." Pourquoi cette idée détraque mon souffle? Pourquoi la façon qu'il a de me percevoir m'importe? Je crois que je touche du doigt un début de rencontre. Il a réussi à s'infiltrer dans mes failles.

Il prend ma main dans la sienne, provoquant un dérèglement tout autre dans mon corps. Désir ? Pas seulement. Il se teinte de tout un tas de questions et de craintes. C'est nouveau, mais je ne suis pas sure d'aimer être ainsi perturbée. Je ne sais pas où cela nous mènera, mais je crois que je suis prête à le découvrir. Il y a chez cette homme une symphonie de nuances qui semble révéler une part de ma propre lumière? Est ce que je conserve vraiment un peu de lumière? Tant de questions... Mon cerveau reptilien et ordonné pourrait bien connaître des ratés dans cette expérience, mais c'est précisément ce qui la rend enviable. Comme une machine complexe qui, parfois, révèle sa beauté la plus pure lorsque ses rouages déraillent. Je déraille? Non... il me fait dérailler... et je crois que c'est presque plus dangereux. Pour lui ou pour moi ? Je l'ignore.

Cette femme me plait. Je ne peux m’en cacher. Elle m’inspire et ne possède pas de côté lisse. Elle est pleine d’aspérités et de variantes. Elle est sinueuse et cache dans les recoins de sa personnalité des trésors… Son regard est capable de prendre tellement de variantes qu’il en devient d’une richesse folle. J’ai perçu dans ce bar une infime partie de ce qu’elle est et de ce qu’elle peut exprimer. Mais le plus agréable c’est que j’ai l’impression que je la touche au plus profond d’elle-même. Comme si elle était sourde depuis toujours et qu’elle réalisait qu’elle n’entendait rien d’autre que ma voix. J’ai envie de lui faire comprendre que je n’ai qu’un désir de création. Que ce que je dessine va rester pour moi si elle me le demande mais que pour moi le réel s’exprime dans le dessin. Que sans la dessiner mon réel n’existe pas. Que je la dessinerai pour moi uniquement et que je puisse avoir ce plaisir là. Je m’attends à un refus et sans doute plus sachant qu’elle est ici à cause d’un dessin et pourtant elle accepte après avoir dit n’être pas sûre de devoir accepter. Je me serais fait une raison mais comme elle accepte je ne peux m’empêcher de sourire de bonheur avec des yeux brillants de délice. Je prends mon carnet à dessin et un crayon alors qu’elle me met en garde qu’en me racontant ses personnages je risque de ne plus pouvoir la regarder. Je cesse un instant de bouger et prends le temps de la regarder dans les yeux. Est-ce qu’elle a peur pour moi ou pour elle ? Ça ne serait pas le genre de contraction qu’elle évoque depuis un moment déjà ? Je prends sa main et l’attire doucement vers le lit.

« Ça va aller, ne stresse pas… Les Amérindiens pensaient qu’en les dessinants, on leur volait leur âme… Je ne vais rien faire de tout ça. Je veux juste te dessiner. »

Pour moi c’est simple et dénué d’un tas de sous-entendu. Je veux me l’approprier par mon crayon. Je suis à genoux sur le lit et je viens de l’attirer avec moi. Je suis en caleçon uniquement et j’ai envie de la dessiner d’une certaine manière… Je rougis un peu en la regardant et sourit en me mordant la lèvre délicatement.

« Je… J’aimerais que tu… Retire quelques habits, en sous-vêtements, c'est possible ? Montre-moi comment Elisa se mettrait sur un lit et ferait en sorte de regarder dehors la douce lueur de la lune. »

Je la mets dans l’ambiance essayant de l’apaiser et de la dessiner avant de réaliser qu’une femme que je connais à peine ne va pas faire ça. Je me mets à rire et secoue la tête.

« Tu sais quoi ? Oublie ça, pour un début j’ai une autre idée. »

Je l’attire et m’allonge avec elle dans le lit. Je prends ses mains et les fait se tenir l’une l’autre et venant prendre mon carnet elle est couchée près de moi alors que je commence à dessiner ses mains. Je vais commencer ainsi et en plus elle peut me voir dessiner et inscrire peu à peu les lettres du prénom Elisa sur sa main. Je respire son odeur alors qu’elle pourrait finir avec la tête contre la mienne ou sa joue sur mon épaule pendant que je dessine ses mains. Alors que le calme se fait brisé par le bruit de mon crayon qui dessine je lui dit d’une voix douce.

« Parle moi d’Elisa… »

Jaccen me regarde avec douceur et compréhension alors que je lui fais part de mes inquiétudes. Je sors totalement de ma zone de confort et il semble le mesurer puisqu'il me parle des amérindiens et de leur peur de perdre leur âme si on venait à les dessiner. Peut il entendre que je ne pense pas avoir d'âme à risquer ? Est ce que ça changerait le regard qu'il pose sur moi ? Pourquoi ça a autant d'importance... C'est ce que je ne comprends pas. Il tient ma main avec une forme de tendresse, m'attirant doucement vers le lit. Sa voix apaisante m'assure que tout ira bien, qu'il ne cherche qu'à capturer ma silhouette sur le papier, à exprimer sa créativité à travers son art.

Ses mots me rassurent, dissipant une partie de l'appréhension qui m'habite depuis que j'ai réalisé qu'il sait qui je suis. Pour lui, c'est une démarche purement artistique, dépourvue d'intentions cachées, en tout cas on dirait ? Je me détends progressivement, comprenant que sa passion pour le dessin est sincère, que c'est un moyen pour lui d'explorer le réel à travers l'art. J'ai aussi très envie de parler de mes alter égos. C'est étonnant, parce que ça ne m'était jamais venu, mais je crois que c'est une autre façon de parler de moi... ce que je ne fais jamais non plus ceci dit.

Il se met à genoux sur le lit, en caleçon, et son regard se fait plus intense. Il me fait une demande audacieuse, me demandant de retirer quelques habits, de me mettre en sous-vêtements pour créer un tableau particulier. Un instant d'embarras me traverse, mais son rire et sa rétractation rapide me font sourire. Il semble avoir une manière unique de créer une atmosphère artistique, et je me laisse entraîner dans cette expérience intrigante. Qu'est ce qui m'a déconcertée ? Le fait que j'allais très clairement me contenter de lui obéir...

Nous nous retrouvons allongés côte à côte dans le lit, et il prend mes mains dans les siennes, les plaçant l'une contre l'autre, les plaçant comme il veut les voir. Son crayon glisse doucement sur la page, et je peux sentir presque sentir le tracé des lettres du prénom Elisa sur ma peau. C'est une sensation douce et intime, et je me surprend à pousser un petit soupir. Mon regard se perd dans le mouvement gracieux de son crayon, et je sens que quelque chose de spécial naît de ce moment. Le calme qui règne dans la pièce est seulement rompu par le doux son du crayon glissant sur le papier. Je me retrouve serrée contre lui, la joue glissant sur son épaule.

Tout en dessinant, Jaccen me demande de lui parler d'Elisa, et je me plonge dans la description de ce personnage que j'ai incarné, jusqu'à la mort de sa cible. Mes pensées se mêlent aux mouvements de son crayon, créant une synergie unique. -"Elisa... Elle était une âme bohème, une rêveuse insatiable. Elle croyait en la beauté du monde, en la magie de chaque instant. Elle était une musicienne talentueuse, jouant du violon comme si elle conversait avec les étoiles. Sa musique avait le pouvoir d'apaiser les âmes tourmentées, de les emporter dans un voyage vers des mondes imaginaires."

Je laisse un soupir s'échapper de mes lèvres alors que je me plonge dans les moments que j'ai vécus en tant qu'Elisa. Les souvenirs s'animent en moi, et je continue à parler d'elle avec une étrange passion, comme si j'évoquais une amie, très chère.

-"Elisa avait une vraie fascination pour la lune. Elle disait que chaque nuit, elle observait sa lueur et y lisait comme une promesse d'espoir ou d'inspiration. Elle avait cette habitude de se retirer dans la solitude de la nuit, de contempler le ciel étoilé, et de laisser sa musique se mêler à la douce lueur de la lune. C'était comme si elle puisait son énergie créative dans l'immensité de l'univers." Je suis clairement en train d'évoquer quelque chose que... je faisais enfant.

Je souris en y repensant, en pensant à Elisa, à la manière dont elle avait su capturer la beauté du monde à travers ses compositions musicales. A l'enfant que j'étais, fascinée par le son du violon. J'aurais rêvé qu'on me permette d'apprendre et je réalise... qu'Elisa l'a fait. Le crayon de Jaccen poursuit son œuvre sur ma main, inscrivant peu à peu les lettres du prénom Elisa avec une précision méticuleuse.

-"Elisa croyait en la puissance de l'art pour connecter les âmes, pour transcender les frontières du temps et de l'espace. Elle disait que la musique était une langue universelle, capable de toucher les cœurs de chacun, peu importe leur origine ou leur histoire. Je crois que tu l'aurais appréciée."
Le lien entre nous s'approfondit, et même si nous ne nous connaissons que depuis peu, il y a quelque chose d'unique et de spécial qui se construit entre nous. La chambre baigne dans une atmosphère de tranquillité, le seul son audible étant le doux grattage du crayon de Jaccen qui danse sur le papier. Elisa est morte ? C'est la part de moi qui lui a donné naissance qui l'est ? Est elle une part de moi ? Ai je incarné une part de mes désirs d'enfant en elle ? Tant de questions qui se bousculent alors que je respire calmement son parfum, bercée par le bruit du crayon sur le papier.

Elle est vraiment jolie… Enfin… Ouais, il suffit d’ouvrir les yeux et de la regarder deux secondes pour réaliser qu’elle est superbe et que sa beauté est époustouflante mais c’est bien au-delà de tout ça. Cette femme c’est assez fou, mais j’ai l’impression que je pourrais user des tonnes de feuilles et de crayons sans me lasser de la dessiner. Son oreille pourrait faire l’objet d’une centaine de dessins sans que je parvienne à me lasser d’elle. Cette femme est magnifique et l’idée de la dessiner encore et encore me délecte profondément. Je crois même que je m’emballe en voulant immédiatement qu’elle m’offre sa nudité décadente aux caresses de mon crayon. Je veux dessiner la courbe de ses seins, je veux pouvoir exprimer toute cette vague d’émotion qu’elle m’apporte. Elle m’inspire comme j’ai rarement pu l’être. Puis je me ravise pour éviter de la perdre et de la perturber encore plus. Je reviens a quelque chose de plus banal et simple. Mais je n’en reviens pas de m’emballer aussi fort. Entre elle et Sydney je dois dire que ma créativité s’emballe. J’ai le coeur affolé et j’ai le cerveau qui pétille. Je suis inspiré, j’ai une chaleur en moi qui irradie jusqu’au bout de mes doigts et j’ai envie. J’ai besoin de dessiner. Sydney ce sont ses yeux mais je crois que je viens de trouver deux muses étourdissantes.

Epaule contre épaule avec Zélie je dessine sa main en plaçant tous les détails et ce nom que je tatoue sur sa peau racontant une histoire. Puis dans un coin de la feuille en plus petit, pendant qu’elle me parle d’Elisa, je dessine une jeune femme qui ressemble physiquement à Zélie. Elle se tient assise devant une fenêtre derrière laquelle la lune transperce les nuages. Près d’elle se trouve un violon et sur sa cuisse je tatoue le prénom Elisa alors que je l’écoute. Devant elle je dessine une petite fée qui tente de lui toucher le genou replié contre elle pour attirer son attention. C’est alors que dans le ton de la voix de Zélie je comprends. Je comprends que ses « personnages » sont une part d’elle-même. Que rencontrer ses personnages, c'est rencontrer un peu d’elle et que peut-être une fois au bout du chemin et après toutes ces rencontres je trouverais la vraie elle ? La quête me semble magnifique et enivrante. J’écoute en silence et quand elle finit par me dire qu’elle croit que j’aurais apprécié Elisa je tourne la tête et lui pose un baiser tendre sur la joue.

« Elle est incroyable… Je veux connaitre les autres, je veux toutes les connaître. »

Je souris et lui dit en glissant le dessin vers elle pour qu’elle puisse le regarder plus en détail et voir ce que je peux faire et que je n’ai aucun désir de lui nuire en la dessinant mais qu’elle parvienne à ressentir ce que je peux trouver d’inspirant et fabuleux à la dessiner elle. Je continue de la regarder fixer mon dessin mon menton posé sur son épaule.

« Est-ce que tu voudrais bien devenir ma muse ? Je crois que tu m’inspires… »

Je suis assez franc et direct et ça va peut-être déplaire mais je sais de quoi j’ai envie et besoin et j’ai besoin de lui poser la question. Je la regarde et épie sa réaction, mon menton toujours déposé délicatement sur son épaule.

Contre lui, abandonnée, le regardant dessiner, je m'évade. C'est étrange comme sensation, comme si il me connectait à une part de moi, que j'ignorais posséder. Son dessin invoque Elisa et je me retrouve à lui parler d'elle et à être surtout fascinée par ce qu'il ajoute en haut. Cette petite fée, la lune, le violon... tant de symboles qui viennent peu à peu dessiner non pas Elisa mais une infime partie de moi. Alors que les mots continuent de couler de mes lèvres, la chambre semble emplie de l'esprit d'Elisa. Les souvenirs de cette âme bohème prennent vie, et il semble que même Jaccen soit transporté par le récit de sa vie éphémère. Son crayon glisse avec grâce sur le papier, formant les courbes délicates du prénom "Elisa". Un doux rappel de la sensation du crayon contre ma peau quand il écrivait sur mes joues... c'est étonnant et intime, un lien invisible entre l'artiste et le sujet, entre le personnage et son incarnation, entre Jaccen et moi.

Le calme règne en maître dans cette pièce, seulement rompu par le doux grattage du crayon qui danse sur la feuille. Je me sens enveloppée dans un cocon de sérénité, comme si le monde extérieur n'existait plus. Les mots coulent naturellement de mes lèvres, décrivant Elisa avec une émotion palpable. Il y a quelque chose de libérateur à partager cette part de moi-même que j'ai longtemps ignorée, ou peut-être refoulée. Je me perds dans les souvenirs d'Elisa, revivant les moments qu'elle a vécus. J'apprécie de le sentir se blottir contre moi et sans m'en rendre compte, je perds une main dans ses cheveux que j'entortille doucement à mes doigts.

Mes yeux se perdent dans le mouvement gracieux de sa main, et je sens que quelque chose de profond se passe entre nous. La pièce est chargée d'une énergie particulière, une atmosphère de découverte et de compréhension mutuelle. Le temps semble suspendu, et je me demande étrangement si ce moment pourrait durer éternellement, quand il reprend la parole, pour dire qu'il aimerait toutes les connaître. Je souris doucement et ferme les yeux. Elisa a tué... puis elle est morte.

Est ce finalement ce qui m'est arrivé? Prendre une vie m'aurait privé de qui je suis? Cette perspective est un gouffre qui s'ouvre sous mes pieds et c'est sa chaleur contre moi, son menton contre mon épaule qui me retient de sombrer. Pourtant, je sais que nous devrons revenir à la réalité à un moment donné, que nos vies sont compliquées et que les questions sans réponse continuent de tourbillonner dans mon esprit. Mais pour l'instant, nous sommes là, réunis par l'art, par Elisa, par la magie de ce moment unique et je me sens bien. Je crois que je découvre cette sensation et elle me plait.

Je respire calmement, emplie d'une étrange sérénité, et je réalise que Jaccen a réussi à éveiller une part de moi que j'avais enfouie depuis si longtemps que je la croyais simplement disparue ou absente. Peut-être qu'Elisa est bien plus que le simple reflet de mes désirs d'enfant, peut-être qu'elle est une part de mon âme que j'ai toujours cherché à comprendre et vers laquelle il m'ouvre une petite porte? Il reprend la parole, me demandant d'être sa muse, écopant d'un sourire énigmatique. Il y'a de la douceur, de la fierté, des doutes, des craintes, de l'envie, une part de désir, il y'a là une myriade de choses toutes contradictoires, comme si plusieurs personnages prenaient ensemble le devant de la scène, une sorte de kaléidoscope d'émotions qui passent sur mes traits sans que l'une ou l'autre ne s'arrête vraiment. C'est une sensation très étrange et qui me bouleverse un peu. Je ne suis pas habituée à ressentir les choses, mais plus à les observer à distance. Est ce qu'il a rétabli un contact ? Je secoue doucement la tête en réalisant que je ne peux m'empêcher de me considérer comme une machine que les sourires de cet homme est en train de détraquer. -"Ce serait quoi être ta muse, Jaccen? Raconte moi?" Ma main n'a pas quitté ses cheveux et je me mordille la lèvre inférieure, réellement pensive.

C’est étrangement agréable cette bulle dans laquelle je me trouve. Je me tiens contre cette femme qui est apparue comme par magie. Et voilà que nous sommes allongés dans mon lit. Elle se tient dans sa robe magnifique et s’assouplit à mon contact alors que je suis en boxer à la dessiner en douceur, mettant en image la fantaisie de son histoire qui me délecte. C’est beau, c’est profond comme l’océan et triste comme la vie. C’est d’une beauté accablante et sensuelle. Sa peau contre la mienne je ne veux rompre ce contact en aucune manière. Le bruit du crayon est là seule chose qu’on entend. Parfois la rue nous envoie quelques bruits, mais rien d’intéressant. Notre bulle est bien trop belle et la nuit bien trop profonde. Je respire son parfum comme les effluves d’une magie mystique qui me pousse à me plonger toujours plus profondément dans cet abysse merveilleux. Je n’ai pas peur du vide, du noir. J’y trouve le calme et l’apaisement. Là où rien ne nous parvient, rien ne nous touche. Tout est connecté et tout est détaché en même temps.

Ce sentiment de plénitude absolue, cette sensation que je ne peux pas être mieux dans ce cocon de douceur et de perfection, c'est étourdissant et c’est un désir ardent d’y rester plonger et d’y retourner encore et encore. Je sais que cette bulle est fragile et qu’elle va éclater bientôt. C’est ainsi. Seule la mort est éternelle. Tout s’éteint et rien ne subsiste. Je lui demande alors d’être ma muse et de continuer de m’inspirer. Car sa présence, ses mots, ses histoires et son corps m’inspirent des délices de créativité. J’ai envie de peindre, dessiner. Je suis calme mais les idées fourmillent sans ménagement dans mon esprit. Je suis en train de désirer et je sens mon âme entrer en effervescence. Je n’ai que rarement ressenti cela. J’ai osé embrasser sa joue et je ponctue ma demande par un baiser sur son épaule que sa robe tient dénudée. Sa main caresse mes cheveux et j’ai le menton sur son épaule la regardant dans les yeux doucement savourant son souffle sur mon visage et son regard dans le mien.

«Venir à moi de temps en temps, m’offrir ton temps comme maintenant. Me parler. Te laisser dessiner par ma main… »

Je souris doucement. L’idée me met en joie et fait naitre un sentiment de plaisir assez chouette dans mon ventre. Je me noie dans son regard et affichant un petit sourire malicieux, je plante mes yeux plus profondément en elle comme si je pénétrais lentement son âme la laissant se mirer sans retenue dans la mienne.

« Je suis particulièrement décidé à utiliser tous mes charmes et tous les moyens à ma disposition pour obtenir un oui… »

Et si j’ai très envie de l’embrasser, pris par l’ambiance et la proximité, je me contente de mordre ma lèvre et de la regarder alors que je détache la feuille de mon carnet et la lui glisse dans les mains avec un regard tendre.

« … ça n’a de valeur que celle que nos sentiments veulent bien lui donner, mais je tiens à ce que tu gardes celui-là et que tu réfléchisses. Si c’est non j’apprendrai à faire sans toi. Mais si tu acceptes, je m’efforcerai de te rendre au centuple toute la bonté que tu me donnes. »

Je suis un artiste et rien n’est plus doux que créer et être inspiré. Et j’ai trouvé une étourdissante source d’inspiration. Et j’espère la convaincre de me donner un peu d’elle encore. Je repose le carnet et le crayon la laissant décider. Je ne vais plus dessiner ce soir, mais je reste contre elle, ne voulant ni me détacher ni lui demander de partir. Si j’osais, je lui demanderais de rester ici avec moi. De dormir avec moi. Mais ça ne se fait pas même si je ne cherche rien d’autre que sa chaleur, sa présence et son parfum.

Lentement, j'observe le dessin qu'il a créé sur la page qu'il me tend, et mes yeux parcourent chaque détail avec admiration. Les symboles, les courbes, et le prénom "Elisa" sont magnifiquement représentés. Sa proposition de devenir sa muse me fait sourire et m'apporte une vague de chaleur au cœur. C'est une invitation à plonger plus profondément dans ce monde d'art, de créativité et de connivence que nous avons commencé à partager. Je ne sais pas trop comment il fait ça, mais je me sens délicieusement apaisée. Pour une fois, non... pour la première fois, alors qu'il sait des choses susceptibles de me mettre en danger, je me sens totalement en sécurité. La chaleur de son corps contre le mien me borde, me berce, c'est aussi doux que le frôlement des ailes d'un papillon et je suis totalement perplexe face à ça.

Son regard, intense et pénétrant, me fait ressentir une connexion profonde, presque mystique, ça défie la logique... mais la logique, est ma seule boussole depuis... toujours. Sa promesse d'utiliser tous ses charmes et moyens pour obtenir un "oui" est à la fois séduisante et intrigante. J'ai du mal à détacher mes yeux des siens, et je peux sentir la tension électrique qui règne entre nous. Cet homme au delà d'être terriblement beau, dégage une aura de douceur qui semble faire écho en moi.

Je prends doucement la feuille avec son dessin et ce prénom, qui représente finalement une par de mon âme. En la tenant entre mes doigts, je souris doucement et je la place délicatement sur le bord du lit à côté de moi. Ma main glisse de ses cheveux à sa joue, caressant son visage avec une tendresse que je n'aurais pas cru possible. Mon souffle est doux, mes yeux plongés dans les siens.

-"Jaccen," dis-je doucement, "je n'ai pas besoin de réfléchir longtemps. Ma réponse est oui. " J'ai un sourire tendre et je ne maitrise pas bien ce qui me pousse à accepter mais je crois que c'est une espèce d'évidence. -"Tu es un magicien." Je crois qu'il m'a ensorcelée, ce n'est pas possible autrement. Ma réponse est un mélange d'émotions, de désirs et d'une profonde compréhension de la beauté qui réside dans ce moment. Il a déréglé m'a belle mécanique et de ce grain de sable nait un doux chaos. Quand il pose son carnet je me rapproche doucement de lui, mes lèvres trouvant les siennes dans un baiser doux et chargé de promesses. L'art et l'émotion s'entrelacent, créant un lien indissoluble entre nous, un lien que nous sommes, je crois, tous les deux prêts à explorer davantage. Je me détache de ses lèvres, les yeux dans les siens, la main se posant doucement sur son torse. -"Mais même si j'ai dit oui. Je veux bien... te voir utiliser tous tes charmes et tous... tous les moyens à ta disposition." Je ne crois pas avoir déjà été ainsi sous le charme... sans être en tout cas dans la peau d'un personnage. C'est rafraichissant, agréable et aussi impressionnant, voire même un peu effrayant. Pourtant je ne m'en défends pas, au contraire, je viens frôler la peau de son ventre et je me rapproche, pour lui tendre de nouveau mes lèvres.

» Jalie 2 // Il y a une admirable énergie dans l'obstination de la douceur.

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