Thyamon 1 // Silent guardian.

La nuit s'étire, longue et morne, et je me fonds dans les ombres, invisible aux regards indiscrets. Mon poste d'observation est parfait, juste assez proche pour intervenir en un battement de cœur, mais assez loin pour que personne ne se doute de ma présence. Wade m'a confié cette mission, et je ne prends jamais ses demandes à la légère. Surveiller ces gamins, ces jeunes Hounds qui jouent avec le feu en se frottant au monde des adultes. Ils se croient invincibles, comme je l'étais à leur âge, mais la rue a un goût amer qu'ils n'ont pas encore appris à reconnaître. C'est un immense privilège de la jeunesse, ce sentiment d'immortalité, qui n'en ait pas vraiment un au fond, c'est juste une forme d'inconscience de la mort, ou de simple refus de son existence ? Une sorte de déni qui fait fantasmer à l'invincibilité. Inutile ? Sans doute pas... peut être que c'est ce qui permet d'être assez libre pour grandir, que le spectre de la mort empêcherait de s'offrir à la découverte du monde ? Vastes questions philosophiques qui ont au moins pour bénéfices de distraire mon esprit de cette nuit d'attente et de patience.

Je les observe échanger des paquets, des regards furtifs, tout en gardant une main sur leurs poches lourdes de billets. Ce sont des mômes, pas encore endurcis, pas encore brisés. Leur arrogance m’agace, mais je la comprends. Ce besoin de prouver qu’ils sont plus que ce que le monde voit en eux, je l’ai ressenti moi aussi. Quelque part ça m'attendrit, enfin... quelque chose de cette nature. Disons que ça m'ouvre à la nostalgie. Champ de questions sur ce qu'aurait été ma vie si mes parents avaient fait le choix de me protéger, en avaient eu la possibilité. Que serais je devenu ? Et ces gamins, que deviendront ils ? Car la rue n'a aucune pitié, et ce soir comme un autre, elle pourrait leur rappeler brutalement qu'ils ne sont que des pions sur un échiquier bien plus vaste. Alors je veille, ma clope au coin des lèvres. Je fume trop... ça devient presque préoccupant cette histoire.

Les heures s'égrènent, le silence s'alourdit, et je commence à me demander si cette nuit ne sera qu'un autre passage à vide, un autre creux dans le tumulte qu'est ma vie. Et puis, je les vois. Deux types surgissent de l'ombre, à l'entrée de la ruelle, leurs visages dissimulés sous des capuches, l'air menaçant. Mon instinct se réveille, mes muscles se tendent, prêts à l'action. Je les observe avancer, les mains dans les poches, trop décontractés pour que ce soit innocent. Un éclat d'acier perce l’obscurité, et mon sang se glace. Un cran d'arrêt. Leur approche est rapide, agressive. Ils ne perdent pas de temps en menaces voilées. L'un d'eux attrape le premier gamin par le col, le plaquant contre le mur, la lame effleurant sa gorge. "Donne le fric, maintenant !" grogne-t-il, et sa voix est une promesse de douleur.

C’est comme si une ombre s'emparait de mon esprit. Mon corps réagit avant que ma conscience n'ait le temps de réfléchir. Je me retire en moi même, laissant place à quelque chose de plus ancien, de plus primal, laissant le contrôle à des années d'entrainement et de mise en place. L'adrénaline pulse dans mes veines, et le monstre en moi se réveille, prêt à frapper. Je me glisse hors de ma cachette, silencieuse, potentiellement létale. Mon souffle est contrôlé, mes pas calculés. Je suis sur eux en un instant, et avant qu'ils ne réalisent ce qui se passe, je m’interpose. L’un des types se tourne vers moi, surpris, mais il est déjà trop tard. Mon poing part, rapide, précis, frappant sa trachée avec une force mesurée pour blesser, pas tuer et il s'effondre avec un grognement de douleur.

L’autre tente de réagir, de me planter mais je suis plus rapide, plus affamée de violence. J'attrape son poignet, tordant sa main jusqu'à ce qu'il lâche le couteau, un cri étouffé lui échappant. Je le désarme d’un geste fluide, et le lâche. Il recule, les yeux écarquillés, tentant de comprendre comment cette situation lui a échappé en un instant. Je sens l'excitation monter en moi, mais je la contrôle, la laisse guider mes mouvements sans m’aveugler. Je sens les gamins, qui me fixent avec un mélange de soulagement et de crainte. -"Rentrez," je leur dis, mon ton tranchant, sans appel. -"Tout de suite." Ils filent vers la sortie de la ruelle sans demander leur reste et je me sens clairement soulagée. Nettement plus facile de gérer deux connards si je n'ai pas à veiller sur une bande de mioches imprévisibles. Je reste là face à eux, mes yeux ne perdant pas un mouvement de leur avancée maladroite, mon esprit lâchant peu à peu le contrôle sur l'ombre en moi, prête à frapper.

Ils ne sont rien pour moi, juste des obstacles sur ma route. -"Dégagez," je crache, la voix basse, chargée de menace. Ils se regardent, hésitent un instant, mais l’égo l’emporte. Et au lieu de déguerpir ils se placent côte à côte. "Compte là dessus, salope." Ils avancent, lâmes en avant, à secouer ça comme si ils n'en avaient jamais eu dans les mains auparavant et un sourire mauvais vient s'afficher sur mes traits. -"Dernier avertissement." Je suis presque déçue de ne pas l'avoir joué comme les flics, avec une ultime sommation et cette pensée me fait sourire de plus belle. C'est ce qui devrait les faire flipper, à la limite. Plus que mon intervention surprise, c'est l'absolue détente avec laquelle je les attends. D'ailleurs connard numéro 2 semble un peu plus fébrile quand il se met à brailler. "Et sinon QUOI ! TU VAS FAIRE QUOI ?" Petit mordillement sur ma lèvre inférieure, nez qui se fronce un instant et sourire qui s'élargit encore alors que de mon index pointé dans sa direction se replie rythmiquement je lui fais signe d'approcher pour le lui montrer.