Rhys Moriarty || Melancholy

Parfois j’imagine ma vie autrement, je m’imagine sur un balcon en Sicile, torse nu, le vent venant charrier l’odeur de la Méditerranée, boire un mojito, mes lunettes de soleil masquant le mordant du soleil qui me surplombe, le chant des insectes et puis cette belle femme dans un voile diaphane blanc d’un paréo dévoilant sous le tissu un bikini d’un rouge tentateur, un fin sourire aux lèvres sachant que je vais passer une journée agréable.
Et puis le retour à la réalité, les odeurs d’urine de compagnons d’étape dans une ville, chercher sa pitance quand ma belle gueule ne marche pas dans les poubelles derrière un fast-food, les rires parfois gras, parfois avec cette étincelle d’espoir autour du braséro, les chants mais aussi les larmes d’un homme plus désespéré, les gémissements d’un couple d’un soir pour se tenir chaud et ressentir l’étreinte d’une passion qui est éphémère une fois le soleil revenu.

Ma vie n’est pas la plus agréable, les rues sales, les routes interminables qui te fait comprendre que tu es seul, parfois l’âme charitable d’un petit vieux ou d’un camionneur sans mauvaises intentions. Mais cette vie, je l’aime, je l’accepte quand même, moi, le mec un peu trop rêveur, né d’une mère sicilienne et d’un père, matelot dans l’U.S Navy, venu visiter durant une perm’ loin de la base navale de Naples. La vie sans père, avec une mère qui espère qu’il reviendra. L’envie de partir, de tout changer dans ma vie, une enfance heureuse, pas d’échec scolaire, un mec qui aurait pu faire quelque chose en Italie mais qui a rêvé de l’Amérique.
Arrivé là bas, je me suis rendu compte de mon erreur, je n’avais rien, juste un titre de séjour, merci papa j’ai envie de dire mais pour combien de temps ? Disparu l’American Dream, devenu en un claquement de doigt un mec dans les rues, après que mon dernier job me laisse sur le carreau, avec un proprio pas jojo. Depuis New-York j’ai bourlingué, en Floride, sur les plages de Miami pour faire le garçon de plage afin de me faire du fric facile pour partir, j’ai croisé l’Eurydice de mes passions, Hanna, une fille du Bronx, aussi paumée que moi. Il suffit d’un soir pour que la plage se rappelle de nos ébats entrecoupés d’un joint avec des miettes de tabacs réuni de nos deux paquets miteux. Depuis, nous ne nous lâchons plus.
Une étape en Louisiane, dans les quartiers de Bâtons-Rouge aura fini de sceller nos deux destins, les Moires ne sont pas tendres, je dirais même sadique, car c’est là que Hanna me sauva d’un homme ayant des envies particulières, je ne pensais à rien, pas à mal en tout cas lorsqu’il me proposa un job tranquille. Moi je n’étais que voiturier, lui il avait une belle bagnole, la ruelle aurait dû me faire comprendre.

Hanna et moi ne nous sommes jamais dit à la vie à la mort et pourtant, ce jour là, nous venions de comprendre. Nous n’étions pas soumis l’un à l’autre, parfois, nos fils se dégageaient, une nouvelle voie, l’un vers le Nebraska, l’autre dans le Nevada mais toujours des textos, un vocal bien trop long.
Je l’ai retrouvée un jour au bord d’une nationale, avec mon pote du moment, un routier à la mine patibulaire mais un véritable nounours. Ce jour-là, c’est moi, peut-être un brin trop tard qui la sauve d’une expérience tout aussi horrible que la mienne il y a des mois de ça. Je me venge dans un w.c d’une station essence, avec l’aide de Mr Bear, je me souviens encore de ma main tremblante et pleine de sang, essayant de garder le pied de biche bien haut avant de recommencer à frapper. Ce jour-là, quand je suis revenu vers une Hanna tremblante, je lui est prouvé que pour moi aussi, c’était à la vie à la mort, une épreuve de plus, les Moires gagnent encore, elles réunissent nos fils.

Nous nous abandonnons encore une fois, faire nos vies, essayer en tout cas. J’aurais pu parfois, rester, m’établir, trouvant toujours une jolie fille à qui m’agripper, lui retirer de l’argent, vivre, se sentir vivant oui !
Mais à chaque fois, je brise notre lien, j’abandonne les pleurs, la rage, la colère, préférant celles des inconnus à côté de moi dans un centre pour sdf. Je suis un minable, je le sais bien, pourquoi nier ? Cela me ronge à chaque fois mais je ne peux pas m’en empêcher, mon instinct de survie ? Je sais, je me cherche une excuse mais si je ne la trouve pas, même si ‘elle est bancale, elle m’empêche de sombrer totalement dans l’anti-chambre de la mort et j’ai peur de ça, oui, j’en cauchemarde, la peur de mourir dans le froid, l’anonymat, de ne pas avoir marqué plus de gens dans mon égo et mon narcissisme. Je me noie, je sens l’eau pénétrer ma bouche, j’ai la nausée, je pleure, non, je ne peux pas m’arrêter de mentir, de voler, de peur de plonger.

Vous pouvez me juger, me trouver misérable, mon Eurydice, mon Hanna, je le sais, sera toujours là. Elle est le phare qui me fait toujours trouver le bon chemin, elle est là pour m’éviter de sombrer, ma dépendance est égale à la sienne envers moi, je le sais, elle le sait. Nous sommes peut-être finalement en train de sombrer tous les deux, aucune bouée pour sauver l’un ou l’autre, à jamais nous nous noierons accroché l’un à l’autre, peut-être devrais-je avoir des regrets ?

San Diego est ma nouvelle étape après avoir mis le grappin sur une petite richarde blonde et évaporée à Los Angeles. Une nouvelle vie, je me demande comment sont les hommes et les femmes dormant à même le béton. Peut-être que Hanna aura atterri là ?