L'apparence est souvent trompeuse

Le bureau n’ouvre pas avant 9 h Sammy, pourquoi diable ceux-tu partir si tôt hum ?

Toute bonne journée doit commencer avec un café.

Elle ronchonne sur le fait que la cafetière de la maison fait de l’excellent café et tout et tout, mais je secoue la tête en signe de protestation. Je prends mon café à la même place tous les jours, ou presque et ce n’est pas parce qu’il est meilleur qu’à la maison, mais bien parce que j’aime marcher jusqu’au bureau. Laura a les enfants à habiller, préparer la boite a lunch, école et j’en passe. Elle n’a pas besoin de me servir de chauffeur en plus. Elle connait la vraie raison et pourtant elle me sort ce genre de conneries au moins deux fois par semaine. C’est donc habillé avec un veston et une cravate, les cheveux attachés derrière le crâne que je prends mes clés, mon portefeuille et que je passe la porte de la maison. Ce matin j’ai décidé d’amener Zorro avec moi et pas parce que j’en ai besoin pour me diriger, mais parce qu’il est bon et généreux avec les enfants. Je n’ai pas besoin d’un chien d’assistance. J’ai une canne blanche, mais je ne m’en sers qu’à des occasions bien spécifiques.

Mes pas me mènent donc vers ce petit café, celui situé à deux coins de rue du bureau. J’attache Zorro dehors et une fois à l’intérieur je me mets en fil. Il y a déjà 3 personnes devant moi, ce n’est pas si mal, j’ai le temps. Ou pas, je peux entendre les murmures qui bourdonnent. Regarde maman, le monsieur a mis un bas vert et un bleu. Regarde ma chérie, il a une canne blanche de repliée à la ceinture… Je tourne mon regard vers le bas, laisse les bruits environnants valser sans tenter de les écouter.

La même chose Sam ?

Un grand café noir oui et un biscuit aux noix pour Laura.  

Pas de pains aux canneberges ce matin ?

Je hoche de la tête pour lui confirmer que oui, je vais en prendre un. Elle me connait bien et elle sait que pour voir ce qu’il y a dans le présentoir je dois me pencher et m’approcher, mais que je ne le fais pas pour éviter d’envenimer les discussions. Je paie et une fois la commande prête je tends la main afin qu’elle puisse presser le café sur la paume de ma main.

Tu es un amour Sarah, merci.

Armé de mon petit snack et de mon café, je retourner à l’extérieur et détache mon meilleur copain. Comme tout va mal par paire, quand je me retourne pour poursuivre ma route j’évite quelqu’un de justesse. Des < putains > et des < fuck you > menacent de franchir mes lèvres. Heureusement le reste de la journée s’est déroulé à merveille. Mon chemin vers le bureau a été OK, mes rencontres ont été OK, la paperasse a été OK. Laura a même commandé des pâtes pour le repas de mi-journée. Il parait que les miennes étaient trop salées, oui ben, c’est quoi l’idée aussi de mettre du sel dans la poivrière ? Puisqu’elle terminait à 15 h, rendez-vous chez le dentiste, je me suis sacrifiée pour prendre son dernier patient. Heureusement ce n’était pas dans son créneau, mais un patient ordinaire aux prises avec et PTSD léger. Un rendez-vous d’une heure qui en a duré deux, mais ça va, c’était le dernier de toute façon. Je retire ma cravate et prends la direction de la maison. Il est presque 17 h 30 quand je passe devant le parc. Ça fait un sacré bout de temps depuis la dernière fois ou j’y ai posé les fesses… allez pourquoi pas. Je bifurque pour aller poser mes fesses sur l’une des balançoires avant de retirer la laisse de Zorro. Ce chien est un ange et pendant qu’il joue, j’ai le temps de manger mon pain aux canneberges. Les yeux fermés, je savoure.

Je pousse un long soupir, il est encore tôt, trop tôt et je n’ai pas bu de café … je ne dois pas me rendre au bureau aujourd’hui. Je peux être tranquille et flâner au ranch. Je ne cache pas qu’il est ma troisième maison car la seconde est mon bureau. Normalement, je devrais avoir le temps pour m’occuper de moi mais comme toujours, je pense aux autres, je vais aller voir le ranch et espérer pouvoir donner un coup de main. Je décide enfin de me lever, je suis au radar, il me faut mon or noir. Quelque chose de costaud car mes yeux peinent encore à tenir ouvert. Une première pression est effectuée sur la machine afin de l’allumer, une manivelle est soulevée, un tiroir à peine plus grand que mon poing s’ouvre, il laisse la place à une dosette d’une célèbre marque suisse. Quoi d’autre après tout ? La tasse est placée en dessous du bec verseur avant qu’un second bouton soit pressé : celui le plus à droite précisément, il fait couler plus de café. Enfin la délivrance, tout vient de s’arrêter, la tasse est légèrement fumante, pas besoin d’artifice comme du lait ou du sucre. Je porte la tasse à mes lèvres, souffle légèrement dessus et savoure la première gorgée comme une bénédiction.

Un léger soupir de plaisir se laisse même entendre comme quand un homme me caresse les seins par surprise ou que je me laisse aller à un plaisir solitaire devant un film pour adultes. Ce n’est pas une addiction mais il m’arrive de temps en temps d’en regarder un comme tout le monde oui … je demande à mon application quelle heure, il est et quel temps il fait : la voix robotique féminine me répond tout de suite, me signale qu’il fait encore légèrement frais pour la saison. Pas de soucis, je n’avais pas envie de m’habiller trop léger, je vais sans doute croiser des jeunes et je n’ai pas envie qu’ils m’imaginent les séduisants. Je remonte dans ma chambre avec ma tasse et ouvre mon placard, un jeans bleu est rapidement sorti mais pour le reste, je suis totalement indécise. Pour mes pieds cela sera des bottes noires mais lesquelles ? J’en possède quatre ou cinq paires avec différents talons. Je verrai ça aussi plus tard, je prends de la lingerie pas spécialement séduisante mais confortable, je ne vais pas à un rendez-vous galant après tout et je ne risque pas de m’amuser avec un étalon dans un box. Le seul qui pourrait m’inviter à me trémousser dans ce lieu est le psychologue pour les jeunes mais je crois qu’il est en couple et je ne dois pas l’intéresser. Je termine ma tasse de café que je dépose sur ma table de nuit et vais prendre une douche pour terminer de me réveiller. Durant ce temps, je réfléchis à tout et rien. Une fois sortie, je repasse dans ma chambre et commence à m’habiller en passant le soutien-gorge que j’ai choisi. Je prends une chemise à carreau, assez claire. Mon jeans recouvre mes jambes, mes bottes à talons carrés de trois ou quatre centimètres le font avec mes pieds. Le nubuck passe au-dessus du jean. La chemise est rentrée en partie dans ce dernier au niveau du nombril. Je suis prête et Luffy se lève de son panier et réclame enfin sa première balade. Luffy est mon bouledogue français de trois ans, un gros râleur, péteur et ronfleur. Il a réellement tout d’un homme en quelque sorte. Il tourne en rond quand il voit sa laisse, s’arrête lorsque je m’approche et la lui passe. La sortie est courte comme chaque matin, il faut dire que mon chien n’est pas un grand sportif, il s’est soulagé, a aboyé sur un pigeon et c’est tout. Je vais devoir le laisser comme chaque jour avant d’aller travailler, c’est à ce moment-là que je récupère mon sac à main, mon téléphone et que je me rends dans mon garage pour en actionner la porte. Je suis prête à monter dans la voiture quand mon téléphone sonne, c’est le bureau et mon bras droit me dit qu’il a besoin de moi pour une affaire importante avec un client qui serait mécontent… je lui signale que je vais arriver. Heureusement que je n’avais pas prévenu las Penasquitos de ma venue aujourd’hui…

La journée fut finalement longue, stressante, énervante avec ce client mécontent qui menaçait d’aller en justice s’il n’avait pas un terrain d’entente … Ah ces américains, ils foutent un procès dès que cela ne leur va pas … heureusement pour lui et pour nous, nous avons trouvé grâce à sa directrice de communication un accord à l’amiable sur notre différent et nous allons continuer de travailler ensemble. Toutefois, je ne suis pas certaine que je renouvellerai l’accord une fois ce dernier arrivé à terme. Il est presque dix-sept heures lorsque je rentre chez moi et Luffy me fait la fête. Je décide d’aller avec lui au parc, il va pouvoir rencontrer d’autres chiens et moi cela va me faire prendre l’air. Ah oui, je ne vous ai pas dit pourquoi j’ai nommé mon chien Luffy … cela vient du manga One Piece dont un de mes neveux est fan. Lorsque j’ai parlé avec eux de prendre un chien lors d’une réunion de famille par chat vidéo, c’est le premier nom qui est venu. Bon j’ai eu le droit à Rintintin, Laïko et je ne sais plus quoi d’autres. Finalement Luffy va bien à mon chien. Je ne prends que mes clefs en plus de mon téléphone et de mon sac pour aller me promener avec mon pirate d’amour. Arrivés au parc, je défais sa laisse et il part gambader quelques mètres plus loin, enfin … c’est vite dit car ce gros fainéant s’allonge dans l’herbe après avoir arrosé un arbre. Il mâchouille de l’herbe avant qu’un plus grand chien ne s’approche, méfiant face à ce géant, Luffy grogne légèrement ce qui n’effraie guère l’autre toutou qui ne semble pas méchant pour un sou que du contraire, il semble vouloir jouer avec en sautillant et en jappant autour de lui. Je les regarde amusée avant de me demander à qui appartient ce joyeux drille qui continue d’inviter le mien à le suivre. Il y arrive, il va falloir qu’il me donne son secret car je n’y suis jamais arrivée. Je pouffe de rire et me relève car je me suis installée moi aussi sur l’herbe pour regarder les gens qui passent. Luffy s’éloigne un peu trop à mon gout et pour le rappeler, je le siffle ce qui ne marche évidemment pas … ce chien est aussi têtu qu’un humain ou qu’un homme devrais-je dire … je finis par courir et soupire en le voyant près d’un homme car bien que de dos, je regarde tout de suite que c’est bien un mâle vu la carrure de déménageur, une carrure qui me rappelle légèrement quelqu’un …

« Luffy !! »

Grondais-je en avançant

« Laisse ce monsieur tranquille ! »

Je m’avance encore pour repasser la laisse au fugueur et oh … quelle surprise, je suis tellement stupéfaite que je n’ose plus parler …

« Luffy !! »

J’ouvre les yeux sous la surprise. J’ai bien senti qu’un deuxième chien s’était joint à moi, mais j’en ai tellement l’habitude que je n’en fais pas de cas. D’habitude il y a deux options. Au pire le chien me saute dessus et Zorro le remet à sa place et au mieux la bête cherche quelques câlins gratuits avant de repartir vers son maitre. Ce qui n’arrive pas souvent, en revanche, c’est d’entendre la maitre, la maitresse dans ce cas-ci, interférer. Combien de maitres préfèrent aller sur Tik Tok ou Instagram pendant que leur animal de compagnie fait le pitre ? Je me place dans cette catégorie aussi hein, sauf que moi j’en ai profité pour manger au lieu d’aller sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs avec la bouche pleine que je tourne la tête afin de pouvoir mettre un visage à cette voix.

« Laisse ce monsieur tranquille ! »

C’est moi ou cette voix m’est familière ? J’attends qu’elle s’approche un peu plus afin de pouvoir bien distinguer son visage et… oui, j’avais raison, je connais cette voix.

Mademoiselle Glazkova ? J’ai bien cru reconnaitre votre voix. C’est un réel plaisir de vous croiser, même si cette rencontre a lieu dans un endroit plutôt improbable. Je vous en prie, prends place et ne vous en faites pas pou… Luffy… il a dû sentir l’odeur de la canneberge. Puis… les seuls chiens que je crains sont les chihuahuas… Ils sont petits, mais ils mordent là où ça fait mal, croyez-moi sur parole.

Tout en lui racontant tout cela, je lui ai fait signe de s’installer sur la balançoire située a ma droite, au cas ou elle rester debout n’est pas sa tasse de thé. Pourquoi la droite ? Parce que celle de gauche squick, je parle par expérience est c’est chiant. Puis si elle peut me soutenir, elle soutiendra une femme plus petite en grandeur et en poids sans aucun problème. J’ai également fait signe à mon chien de se coucher, question de ne pas déconcentrer Katya. Deux chiens qui se chamaillent nous font parfois perdre le fil de la discussion.

Vous habitez ou vous travaillez dans le coin ?

Question aussitôt dite aussitôt regretter puisque c’est plutôt indiscret.

Si c’est trop indiscret, vous n’êtes pas obligé de répondre. Je suis juste surpris de vous voir dans les parages, surpris et curieux. Puis on est loin des jeans et des t-shirts que je porte au ranch, je suis heureux d’avoir été reconnu.

Je rigole un peu pour détendre l’atmosphère. Je sais fort bien qu’il est plutôt difficile de ne pas me voir en règle générale, jeans ou habits. Ma grandeur et ma carrure y sont pour beaucoup, mon handicap aussi. Ceux qui me connaissent bien savent que j’aime remettre à demain ce que je peux faire aujourd’hui et pourtant je ne dis jamais non pour des heures supplémentaires ou quelques heures de bénévolat. On m’a souvent approché pour donner des conférences, pour apporter mon soutien à tel ou tel organisme, mais je si je veux vivre un peu je ne peux malheureusement pas dire oui à tout. Je donne de mon temps à Blind Sport 2.0, pour une raison évidente, mais aussi pour le ranch Los Penasquitos. Non seulement mes compétences de Psychologue aident, mais je peux donner un bon modèle de persévérance à qui veut. J’ai fait quelques rencontres là-bas. Des bons, des mauvais et beaucoup de neutralité. Je ne vais pas là pour me faire des amis quoique… je ne connais pas tout le monde. Il y a encore beaucoup de voix à laquelle je n’ai pas mis de visage. Il faut croire qu’aujourd’hui, loin des chevaux qui hennissent, deux routes se sont finalement croisées. Hasard ? Destin ? Je ne crois pas au destin, autant le dire tout de suite, mais cette fois je dois avouer que les chances étaient minces.

C’est tout de même un drôle de hasard.

Je ne l’accuse pas d’harceleuse comme elle ne peut pas m’accuser non plus, je dis seulement que dans les faits, c’est bel et bien étrange. Si on m’avait dit que même déguster une petite collation de fin de journée sans être dérangé était impossible, je ne me serais probablement pas arrêté en chemin. Oui, je sais que jamais cette rencontre n’aurait eu lieu et que je l’aurais surement regretté. Toutefois… on ne peut pas regretter ce qui ne nous suis jamais arrivé n’est-ce pas ? Il n’y aura aucun regret ici, je peux vous l’assurer…