Il était une fois (Ana)

Depuis le plus loin que mes souvenirs peuvent me ramener, j’ai été la protectrice de Tacha. Ma sœur, ma cadette. En tant que l'aînée, c'est mon devoir d'être responsable, d'être celle qui doit rester forte, celle qui doit toujours avancer malgré les difficultés, pour lui offrir la vie qu'elle mérite, une vie pleine d'espoir et de bonheur. Malheureusement, j'ai l'impression d'avoir échoué dans cette mission, et cela me pèse lourdement. Chaque jour qui passe, je déploie tous les efforts possibles et imaginables, je me bats avec toutes mes forces pour que les Russes, dans leur furie destructrice, l’épargnent, elle au moins. Je cède à tous leurs caprices vendant mon corps avec une docilité qui me dégoûte certes mais je n’ai pas le choix. Le moindre faux pas aurait des répercussions sur elle, et ça je ne peux pas l’accepter. Jamais. Je donnerais ma vie pour cet ange blond.

Qu'elle doive se marier avec cet homme, ce Russe qui est non seulement un membre actif mais aussi respecté et craint de la Bratva, me terrifie jusqu'à l'os. Tacha n'est pas seulement belle, elle est absolument sublime, et je comprends trop bien pourquoi il veut l'avoir pour lui. Mais Tacha est douce comme un papillon, fragile comme une porcelaine. Je crains qu'il ne la casse, qu'il ne ternisse cette beauté innocente qui est si caractéristique d'elle. Je suis consumée par la colère, contre lui bien sûr, et contre les Russes en général, mais je suis encore plus furieuse contre moi-même. LA PROTEGER. C'était ma mission, mon seul objectif, la seule chose qui aurait dû me préoccuper, la seule chose qui comptait vraiment, et j'ai lamentablement échoué.

Ce soir, je rentre plus tôt du travail, mon corps épuisé par les longues heures et mon esprit lourd de la fatigue accumulée. Je suis bouillonnante d'une rage, une colère qui grandit en moi chaque jour qui passe, que je peine à contrôler, comme une bête sauvage en cage. Chaque petit incident, chaque contrariété semble attiser cette fureur interne. Je suis à fleur de peau, comme une corde de violon tendue à son maximum, prête à rompre au moindre choc. Le moindre grain de sable, le plus petit élément perturbateur venant embourber mes rouages bien huilés, pourrait être la goutte qui fait déborder le vase, me faisant péter un plomb.

Avant de franchir le seuil de notre maison, je prends une grande inspiration, m’obligeant à afficher un sourire de façade, masquant ainsi mes véritables sentiments. Je fais cela parce que devant elle, je ne m'autorise pas à fléchir, à montrer ma vulnérabilité, à me laisser submerger par mes émotions. J'enfonce doucement la porte, laissant le cliquetis familier me donner un sentiment de normalité. Je m’avance, les pas lourds, vers elle, enveloppée dans un silence qui semble presque tangible. Garder le silence est plus facile pour moi, c'est une façon de me protéger, de ne pas laisser mes émotions me submerger, de garder une certaine distance entre ce que je ressens vraiment et ce que je montre.

« Hum… ça sent bon. »

Je m’avance vers d’elle et mon visage change instantanément d’émotion lorsqu’elle explose et me demande des explications. Je sais plus de chose qu’elle oui, j’ai toujours voulu la protéger de la réalité, la laisser en dehors ça me laissé l’espoir de l’épargner. Peut être que je me trompais. Je m’avance vers elle et embrasse sa joue.

« Tacha… qu’est ce qui te prends ? »

Cette réaction n’est pas habituelle chez elle et ma voix est douce, presque suppliante, comme si je la suppliais presque de ne pas poursuivre sur ce terrain, parce que je le sais je ne tiendrais pas la distance. Pas ce soir. Je suis à bout et il me faudra rien pour exploser à mon tour.

« Je suis désolée Tacha, j’ai toujours voulu te protéger. Je te promet que ça à toujours été ma priorité. J’ai échouée… je suis …»

Désolée ? Effondrée ? Dans un état de rage incroyable ? Tous ça à la fois, mais je ne parviens pas à articuler un mot de plus, ces derniers se meurent dans ma gorge et une larme silencieuse roule sur ma joue.

Ma petite sœur, c'est la douceur incarnée. Elle est comme une plume légère qui flotte dans l'air, apportant toujours avec elle une certaine sérénité et une douceur qui peut apaiser les cœurs les plus agités. Alors, vous pouvez imaginer ma surprise, non, mon étonnement quand je la vois soudainement s'énerver. C'est un spectacle dont je ne suis clairement pas habitué, et cela me fait réaliser combien elle est humaine, combien elle ressent également des émotions fortes et intenses. Oui, elle a toutes les raisons du monde de s'énerver, de perdre son calme et même de péter les plombs. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour l'épargner des tracas de la vie, pour la protéger des tempêtes qui peuvent la frapper. Mais je dois admettre, avec une certaine tristesse, que je ne suis pas toujours des plus efficaces dans ma tâche. Il y a des moments où je sens que je n'ai pas pu être le bouclier dont elle avait besoin et cela est une réalité que je dois affronter.

Elle ne m’accuse pas, elle ne m’en veut pas et au fond, je le sais parfaitement, mais je me sens terriblement coupable malgré tout. Parce que bien qu’elle ne me le dira jamais, je le suis. Je devais la protéger et j’ai honteusement échoué. Elle tente de me rassurer, de me réconforter en me serrant tendrement contre elle. Elle y parvient, en partie au moins. Ses mots me font l’effet d’une claque monumentale. Malgré sa douceur, elle me rappelle qu’elle doit épouser cet homme, je craint ce qu’il pourrait lui faire, ce qu’il pourrait lui faire subir.

« Te pardonner ? Tu n’as rien à te faire pardonner enfin. Jamais, jamais je pourrais t’en vouloir. » Je dégluti péniblement, reculant très légèrement afin de venir ancrer mon regard dans le sien. Jamais, OH grand jamais, je pourrais être fâché contre elle. « Je ne veux pas que t'épouse cet homme, Tacha. J’ai peur… peur pour toi. » Je soupire et ose lever sur elle un regard plein d’angoisse et d’une douleur sourde qui meurtrit mon âme. « Peut être qu’on peut encore se sauver… partir toi et moi, seules… sans nous retourner.»

Est ce seulement possible ? Envisageable ? Pas sans risquer nos vies, seulement ne sont-elles pas autant menacées en restant là sans rien faire ? Prises entre les sales pattes de la Bratva. Elle me reprend dans ses bras et me berce de sa douceur éternelle. Qu’est-ce que je ferais sans elle ? Je secoue brutalement la tête de gauche à droite quand elle me dit vouloir lui demander de m’aider. « Noooon !! » Cette injonction sort d’elle-même de ma bouche, et ce, avec plus de vivacité que je le voudrais, mais je sais que chez ce genre d’homme rien n’est gratuit, ils ne rendent pas service sans rien demander en échange et j’ai peur de ce qu’il pourrait exiger de Tacha. « Je ne veux pas que tu te mettes en mauvaise position à cause de moi.» Le regard que je dépose sur elle est suppliant, implorant. Mes doigts tremblants viennent caresser sa joue de porcelaine, elle a l’air si douce et fragile. J’ai tellement peur pour elle, mais ce soir, c'est elle qui est forte pour deux, c’est elle qui me berce dans ses bras et tente de me rassurer malgré l’urgence de la situation.

« Non… non ça n’ira pas, rien n’ira tant qu’ils nous garderont sous leur coupe Tacha… » Je me laisse aller contre elle, ma tête posée sur son épaule, je la laisse me bercer comme une enfant. Je ne me suis pas laissée ainsi aller depuis quand ? Je n’arrive même pas à me souvenir. Mes doigts viennent agripper les siens pour les presser doucement. « Pas tant qu’ils détiennent nos vies… Je suis désolée…. Désolée de ne pas avor su te protéger. Mais je te fais la promesse de ne jamais abandonner. Un jour, toi et moi nous serons libres et heureuses. Je te le promets. » Je fais des promesses que je ne pourrais certaine jamais tenir, pas de manière certaine, mais je me dis qu’en m’en persuadant ça me donnera peut être la force necessaire pour me battre et vaincre.

Ma petite sœur… Tacha… J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. C’est simple, je pourrais donner ma vie pour elle sans l’ombre d’une réflexion. Tous les sacrifices que j’ai fait depuis notre plus tendre enfance sont pour elle, pour son bonheur et sa sécurité. Alors la voir tenter d’inverser les rôles et de faire des sacrifices pour me protéger… et bien ça me rends folle. Ce n’est pas ce qu’elle veut faire, mais elle me renvoie mes échecs en pleine tronche et c’est violent et douloureux. J’ai peur pour elle et la simple idée qu’elle puisse se mettre en danger réveille en moi des putains de signaux d’alarme. DANGER. DANGER !!  Et le pire, c'est que je vois très distinctement ce mur dans lequel je fonce. La seule chose que je veux, c'est notre Liberté. Je veux qu’elle et moi puissions vivre sans épée de Damoclès au-dessus de notre tête. Une vie simple sans Bratva… sans Russes qui nous utilisent selon leurs bons vouloirs. Un rêve inatteignable ? Peut-être. Pourtant j’y crois dur comme fer.

Penaude, je m’excuse auprès d’elle, ne pas avoir su la protéger comprime durement mon coeur dans un étau. Ça fait terriblement mal. Tacha me prend dans ses bras, me serrant contre elle pour me réconforter et m’apaiser. Son odeur m’enivre et sa voix douce me berce. Je me concentre sur sa voix et m’efforce de l’écouter sans l’interrompre. De ne pas lui crier qu’elle se trompe et que la seule chose qu’elle doit faire c’est de me laisser la protéger. Cependant, elle a raison sur un point séparées nous ne serons pas heureuse, ni l’une, ni l’autre, mais celle qui doit se sacrifier pour l’autre, c'est moi. Pas elle. Je suis l’aînée. C’est MON rôle.

« Personne ne peut te détester Tacha, tu es la beauté et la douceur incarnée, mais je ne supporte pas l’idée que tu l’épouses par obligation. Tu devrais épouser un homme que tu aimes et qui t’aime en retour.

Je la presse un peu plus fort contre moi. L’innocence de Tacha est telle que je ne cesse de penser aux pires. Si elle est heureuse, je pourrais tout accepter si elle me le demandait, mais si elle le fait par obligation, je pourrai défoncer des titans, le diable en personne pour la protéger.

« Tu as raison Tacha, tout ça n’est pas de notre faute. C’est celle de notre mère qui n’a pas su s’occuper de nous. Même morte, nous payons encore le prix de ses erreurs… Aujourd’hui, ils ne nous détestent pas, ils nous possèdent et nos états d’âme n’ont pas de valeur à leurs yeux. »  

Elle a peut-être raison, après tout épouser cet homme est peut-être la meilleure issue pour elle. Il pourra que finir par l’aimer, il ne peut pas en être autrement, c’est de Tacha dont ont parle, alors peut-être qu’à la sortie du tunnel, elle trouvera un semblant de bonheur ? C’est tout ce que je veux pour elle. Le bonheur. Le mien, j’ai tiré un trait dessus depuis bien longtemps.

« Promet moi une chose Tacha. Une seule chose. Fais attention à toi, Caolan n’est pas un homme avec qui il est aisé de marchander. C’est un connard comme tous ses putain de membre de la Bratva. J’ai terriblement peur qu’il abuse de ta gentillesse et de ta naïveté.  

Je la serre doucement contre moi avant de me reculer légèrement pour pouvoir plonger mes grands yeux bleus dans les siens. Elle peut y lire que mon inquiétude et ma bienveillance à son égard.

« Ne te préoccupe pas de moi, ne t’en fais pas pour moi et n’essais pas de négocier quoi que se soit pour moi. Je ne supporterai pas l’idée que tu te mettes en danger pour moi. Ok ? »  

Moi je saurai toujours prendre sur moi, ça fais des années que je tends l’autres joues sans broncher, tant que ça la préserve de ce monde de merde c’est ok j’accepte, mais si ça venait à changer je pourrais foutre la ville à feu et à sang rien que pour les yeux merveilleux de me petite sœur.