Samuel Sullivan

Contrairement à plusieurs de mes camarades, j’ai eu une enfance normale. Deux parents qui sont encore ensemble, qui ne se droguaient pas, qui buvaient socialement et qui travaillaient pour gagner leur vie. Ma mère enseignait au primaire et mon père au secondaire. Oui, je sais, ça pue du cul d’avoir toujours un parent qui vous surveille à l’école, mais bon, cela ne m’a pas empêché de faire des conneries. J’étais doué pour les maths et mon plus grand souhaite étaient de devenir pompier. J’ai choisi la psychologie pour une raison bien précise que je vais vous raconter plus loin.

Côté fratrie nous sommes deux, j’ai une sœur de trois ans ma cadette. De nous deux c’est elle qui s’est rebellée le plus, comme quoi il ne faut pas se fier aux apparences. Elle est toute petite, frêle, mais putain, elle déplace assez d’air pour faire voler un cerf-volant à elle toute seule. Elle s’est mariée a 19 ans, elle a eu ces gamins les uns après les autres soit a 22, 23 et 25 ans. Elle est psychologue comme moi et nous avons ouvert un cabinet ensemble. Non, ce n’est pas difficile de travailler avec sa sœur, je dirais même que c’est le pied. Son mari est mort il y a 7 mois dans un incendie criminel. De nous deux, c’était lui le pompier. Un ami d’enfance, un beau-frère qui me manque un peu plus tous les jours.

OK, je reviens à mon histoire. J’en étais où ? L’école ? Ouais, les maths, ma matière préférée. Les maths et le sport, chose que j’aime encore pratiquer, mais avec aide pour la plupart. Pourquoi ? Parce que l’année de mes 13 ans je me suis fait frapper par un chauffard ivre. La force de l’impact lors de mon atterrissage m’a fait perdre une partie de la vue. Je ne suis pas mal voyant en totalité hein, mais je ne vois pas tout et surtout, je ne vois pas très loin. Merci à tout ce sang qui a comprimé mon nerf visuel. Cela ne m’a pas empêché de poursuivre ma vie, je travaille et tout, mais je suis limité. Plus de voiture pour moi et plus de vélo à moins d’être accompagné. Je cours encore tous les matins, mais pas aussi rapidement que je le voudrais bien. Le pire ce n’est pas d’avoir perdu tout ça, de ne pas voir ce que tout le monde, mais bien tous les copains qui m’ont jeté comme une vielle chaussette.

Les deux années qui ont suivi l’accident ont été les pires de ma vie. J’ai fait des coups pendables, je me suis rebellé, j’en ai fait chier plus d’un, mais on m’a offert une aide précieuse. On m’a permis de côtoyer des intervenants au ranch Los Penasquitos et ils m’ont sauvé la vie. C’est là d’ailleurs que j’ai rencontré celui qui est devenu on beau-frère.

Une fois ma colère bien gérée, je me suis appliqué pour terminer mon secondaire. Plus difficile à dire qu’à faire, mais bon, j’ai réussi quand même. J’ai eu le droit à une bourse pour étudiant avec handicap à l’université de San Diego, économie pour mes parents qui leur ont permis de payer les études de ma sœur. Nous avons tous les deux terminé avec mention la même année. C’est un peu gênant, mais bon, il me faut plus de temps pour lire ou écrire et elle a travaillé fort pour y arriver. Ma spécialité à moi ce sont les enfants… la sienne? Les femmes battues… La plupart des patients que nous accueillons nous viennent de l’état et cela nous va. On ne veut pas être millionnaire, on veut juste aider et manger à notre faim.

Le dernier sujet et non le moindre ? Ma femme ? Ou je devrais plutôt dire mon ex-femme ? On s’est rencontré à l’université et entre elle et moi ce fut le coup de foudre. On s’est marié à peine un an après notre rencontre, j’avais 22 ans à l’époque et nous avons évolué côté et côté pendant 5 ans. Elle en a eu marre de devoir repasser derrière moi pour ramasser les miettes. Elle en a eu marre de repasser l’aspirateur parce que je ne le faisais pas assez bien à son gout. Elle en a eu marre des regards de pitié envoyés par de purs étrangers. Nous sommes aujourd’hui à divorcer et je ne cherche pas l’amour.