Fascination lancinante (Sydcen)

--Outfit-- Depuis que je vis avec Elijah, ma routine du matin a été un peu bouleversée, mais je n'ai pas renoncé pour autant à l'un de mes petits plaisirs. Chaque matin, avant de gagner le Lipstick, je passe par ce café. Le Moe Coffee, des lattes délicieux, quelques petites douceurs à grignoter quand j'en ai envie, un accueil discret et agréable, de la musique que j'apprécie, bref. C'est une petite parenthèse dans une vie bien rythmée. Quand je vivais au cabaret, enfin dans les quartiers templiers, c'était l'occasion de m'en extraire avant que la journée ne s'amorce et puis c'est devenu une sorte de tradition, enfin de rituel plutôt.

Je crois qu'avoir un élément un peu stable dans ma vie, ça me fait du bien. Parce que je suis un peu ballottée par les évènements. Disons que je subis, plus que je n'ai de prise, ce qui n'est pas facile à supporter quand on aime avoir le contrôle, comme c'est mon cas. Je pousse la porte et l'odeur du café moulu me fait sourire, tout comme le tintement familier qui résonne une seconde. Je me dirige vers le comptoir, m'installant sur un des tabourets haut, laissant mon sac tomber à mes pieds. -"Bonjour Antoine." Le serveur m'adresse un sourire et je me plonge une seconde dans l'observation de la carte des lattes avant de me décider. -"Un caramel macchiato et un cupcake chocolat blanc s'il te plait." J'affiche déjà un air gourmand qui le fait doucement rire alors qu'il me dit m'apporter tout ça tout de suite.

J'attrape le journal qui traine sur le comptoir le déplie et une moue dédaigneuse vient ourler mes lèvres avant que je ne l'abandonne sur le tabouret libre près de moi. Trop déprimant. Je ne sais pas pourquoi la presse ne raconte que les trucs glauques? Parfois j'ai envie d'une bouffée d'optimisme et je me dis que j'ai plus de chance de la trouver dans mon latte. Je suis inquiète pour Elijah, effrayée par l'idée qu'il replonge. J'ai eu vraiment peur... et je crains de devoir affronter un monde sans lui. Il est le seul être humain par qui je suis aussi concernée, sans doute aussi le seul pour qui je compte vraiment, au delà d'être un beau petit lot en tout cas. Parce que je ne me fais pas d'illusion, toute cette fascination que je provoque, chez mes clients, ce n'est que ça... rien que du faux, de la poudre aux yeux, une réaction voulue et savamment orchestrée pour qu'ils ne puissent se lasser de l'idée de revenir, encore et encore.

Un soupir et je relève les yeux, le journal déposé. Mes prunelles se posent d'abord sur les jambes repliées, remontent le long du ventre et du torse pour croiser un regard qui semble en train de... me détailler? Me scruter? Je ne saurais trop le dire... Je l'ai déjà vu ici. J'ai remarqué sa silhouette à plusieurs reprises d'ailleurs. Un habitué à n'en pas douter. Je le salue donc d'un petit signe de tête, avant de reporter les yeux sur mon latte qui arrive. La quantité de mousse de lait me fait pousser un petit gémissement d'approbation. -"Tu es un vrai magicien." Sourire et bisou envoyé du bout des doigts, ce qui amuse Antoine, alors que je plonge les lèvres dans ma tasse, écopant quelques secondes d'une moustache de lait. Je m'en rends compte et attrape une serviette pour m'essuyer la bouche tout en tournant de nouveau la tête vers l'inconnu, sentant son regard sur moi. Je fronce les sourcils avant de prendre la parole. -"Il y'a un problème?" Mon ton est plus froid, clairement moins cordial, mais je sais pas... il est bizarre à me fixer comme ça, non ?

Je ne le connais pas, j'en suis à peu près persuadée, même si j'ai le sentiment de l'avoir déjà vu. Ici? Ailleurs? Difficile à dire. Des gens j'en croise énormément, au Lipstick, mais aussi lors de mes différents déplacements. Alors quand je sens son regard, insistant, je finis par me tourner, pour lui demander s'il y'a un problème et sa réponse me fait froncer les sourcils. Qu'est ce qu'il raconte? Ils ont quoi mes yeux ? Je suis à peine maquillée, rien d'extravagant, alors quoi? -"Ils ont quoi mes yeux?" Simple, basique, efficace.

Je ne vais pas non plus tergiverser trois heures. Je le foudroie en revanche de mon plus beau regard noir. Façon de lui indiquer d'éviter de se foutre de ma gueule. Ce qui associé à ma moue semi boudeuse, fait une image colérique plutôt réussie, je présume. -"C'est toi qui me scrute, donc à priori c'est pas moi qui ait un problème de vue." Je serre une seconde les dents, avant de me forcer à me calmer. Ces temps ci, je suis d'une explosivité un peu compliquée à gérer. Trop de fatigue, trop d'émotions, trop d'inquiétudes concernant Eli et son abstinence... Trop ! Tout simplement ! Et pas vraiment de soupape efficace à ma portée.

-"Parce que clairement pour me déshabiller du regard, on allonge les billets verts." Haussement d'épaule. -"Alors à moins que tu aies 200 $ dont tu ne sais pas quoi faire, je veux bien finir mon latte tranquille." Généralement la simple mention d'argent et de rapport au corps fait fuir les gens. Une pute... mon dieu mais ce n'est pas fréquentable. Ils me font marrer avec leurs principes à la con. Parce que bon, si c'est le plus vieux métier du monde, c'est bien parce que la clientèle ne vient pas à manquer. Ce qui est un peu différent dans mon cas, c'est qu'elle est triée sur le volet. En tout cas en terme de finances, parce que ne nous leurrons pas, ce n'est pas parce qu'ils sont plus riches qu'ils sont moins cons, ou qu'ils fantasment sur des trucs moins dégueulasse. Au contraire même, très souvent... Mais ça, je n'ai pas vraiment besoin de le lui expliquer. J'ai juste envie qu'il m'explique, ou qu'il me lâche la grappe. Parce que cette interruption dans ma routine matinale, ne me plaît pas outre mesure.

Je crois que j'en ai besoin, que ça participe à me sécuriser. Répéter les mêmes gestes, dans le même ordre, au même endroit. Chaque matin. Pour me créer mon petit cocon de bien être et de sécurité. Un peu comme le démaquillage le soir, quand je suis chez moi et pas avec un client. Un moment de retour au calme, avant la douche pour effacer mes oripeaux et me trouver de nouveau en phase avec moi-même.

Alors que je suppose qu'il va fermer sa gueule et abandonner son attitude bizarre, il fouille dans sa poche et en sort deux billets de cent. J'écarquille les yeux et secoue doucement la tête, amusée. J'empoche les deux billets verts et penche la tête sur le côté alors qu'il me demande de prendre place en face de lui. Il vient de passer du statut d'indésirable bizarre à celui de client, ce qui me rend nettement plus docile et agréable. Je m'installe donc devant lui, observant l'agitation autour de moi, durant quelques secondes, avant de reporter les yeux sur mon vis à vis.  En bonne professionnelle du plaisir payant, j'attends tranquillement de savoir ce qu'il attend de moi. Me contentant de le fixer intensément.

Il dégage une aura de calme qui m'intrigue un peu, encore plus quand il prend la parole tout en griffonnant de nouveau. Je suis surprise, n'ayant jamais envisagé qu'une telle chose soit possible. Je crois que ça doit être extrêmement étrange de tout voir en noir et blanc, sauf mes yeux, comme une sorte de phare dans la nuit? . J'ai toujours aimé l'art, même si je manque désespérément de culture à ce niveau, mais la perspective d'être représentée sur une toile me fascine. Je ne suis pas sûre que Jaccen soit un artiste accompli, mais je suis prête à prendre le risque et puis il a payé, il peut bien disposer de mon temps comme ça lui chante.

Poser n'est pas quelque chose de naturel ou d'habituel, enfin... si... face caméra, pour les productions Satine, mais c'est clairement différent. Au début, je suis un peu mal à l'aise. J'accuse le coup des regards de Jaccen qui ne quittent pas mes yeux, comme s'il était fasciné par eux. Il me regarde comme s'il avait découvert un trésor, et je ne peux m'empêcher de me sentir flattée mais aussi un peu gênée. Amusant d'ailleurs quand on sait que pratiquement rien ne me met mal à l'aise. Etrangement c'est plus facile pour moi de me dessaper sur de la musique que de me soumettre à l'examen attentif de son regard.

J'obéis pourtant, détournant le regard sur le bar et au bout de quelques minutes, je me détends et me laisse simplement aller au moment. Le compliment me cueille au vol et me tire un sourire. -"C'est adorable." Reportant les yeux sur lui je souris et tend le bras pour accrocher le haut de son carnet et le pencher un peu vers moi. Je suis naturellement curieuse, mais je ne m'attendais pas du tout à cette découverte. Je regarde ce dessin et me retrouve un peu stupéfaite. C'est comme si j'étais en train de regarder une photo de moi-même, mais avec une intensité et une profondeur que je n'avais jamais vues auparavant. Je suis touchée par ce dessin, par l'étrange impression qu'il a réussi à capter quelque chose de l'essence de mon être, de la complexité de mes émotions... Sur ce dessin, mes yeux brillent comme des pierres précieuses.

Je suis émue par cette découverte, touchée par la façon dont il a réussi à faire ressortir quelque chose de moi. Je ne dis rien, me contente de sourire, plus sincèrement, avec une douceur que peu de gens ont pu contempler. Peu? Très peu même... En même temps c'est rarement ce que les gens cherchent chez moi, jamais serait même plus exact. Bizarrement dans ces quelques coups de crayon j'ai le sentiment qu'il s'intéresse plus à mon être qu'à mon corps. Je relâche la pression de mes doigts sur le carnet et reprend la pose qu'il m'a demandé en me mettant à mon tour à parler. -"Moi c'est Sydney." C'est fou parce que je ne sais pas trop quoi lui raconter... tout en ayant envie de partager, envie d'entendre de nouveau le timbre apaisant de sa voix. -"Tu dessines souvent les inconnus Jaccen ?" Ma main fouille ma poche et extirpe les deux billets soigneusement pliés et je les repose sur la table en les poussant vers lui avant de retirer ma paume.

Jaccen, original. Il écope d'un petit regard en coin, que je plisse avant de reprendre la position qu'il m'a demandée, décidée à faire connaissance et à discuter maintenant que j'ai compris ce qu'il fait. Je suis absolument ravie de me prêter à cette drôle de séance de pose avec ce bel inconnu, c'est quelque chose que je peux faire, que je sais faire en fait. Mon métier d'actrice, fait que je dois parfois me prêter à des shootings et dans ces moments là, la pose est capitale. C'est ce qui fait passer une fille jolie pour une beauté absolue... ça et le maquillage, l'éclairage et les retouches photos, ne rêvons pas.

Mais cette rencontre me donne le sentiment que je peux passer un moment agréable en dehors de ma bulle habituelle et explorer le monde qui m'entoure avec un peu plus de curiosité, ou en tout cas sans trop me soucier de conséquences éventuelles. Contrairement à ce qu'on pourrait penser quand on me voit évoluer au milieu des templiers, je suis toujours un peu timide et réticente à l'idée de rencontrer de nouvelles personnes, mais pour une fois, je suis ravie d'avoir sauté le pas. C'est marrant mais j'ai tout de la fausse sociable, très ouverte en apparence, mais extrêmement secrète au fond. Les gens qui connaissent mon histoire, sont d'une rareté absolue, même ceux qui me sont proches. Il y'a Eli... évidemment. Et le grand maître a aussi beaucoup d'éléments en sa possession.

Je suis émerveillée par les talents de dessinateur de Jaccen. C'est incroyable de voir comment il réussit à capturer mes traits sur le papier. Je suis franchement flattée qu'il ait choisi de me dessiner et j'adore voir son crayon voler sur le papier. Je suis sous le charme de ce dessin, des ombres qu'il ajoute doucement, comme pour adoucir mes traits. J'apprécie la beauté des choses et son dessin me donne l'impression de me découvrir moi même sous un autre angle, comme avec des nuances différentes. Il est si talentueux qu'il arrive à nuancer le dessin même en noir et blanc.

Je suis surprise quand Jaccen me complimente sur mon apparence et je lui offre un sourire charmeur. J'ai l'impression qu'il voit quelque chose en moi que personne d'autre n'a vu auparavant, alors je glisse les billets vers lui, me disant que j'ai clairement abusé en les réclamant. Je suis un peu comme ça, d'abord l'impulsion et puis la réflexion à rebours. Je suis touchée quand il me refuse de reprendre l'argent que je lui ai demandé. Il est si gentil et attentionné, c'est rare de rencontrer des gens comme ça et je ne sais pas trop comment réagir pour le coup. J'accueille son sourire tendre avec un autre sourire en retour et je me sens reconnaissante de cette rencontre fortuite. Je suis habituée à vendre mon corps, à le mettre en avant pour séduire et attirer des clients fortunés. Mais aujourd'hui, quelque chose de différent s'est produit. Je me suis vue magnifiée, mise en valeur comme jamais auparavant.

Je ne peux m'empêcher de ressentir une étrange émotion qui me submerge. Pour la première fois, j'ai l'impression d'être plus qu'un simple objet de désir. J'ai l'impression que mon corps a été sublimé, que mes courbes ont été dessinées par un artiste, que ma peau a été sculptée par un ange. Ce sentiment est indescriptible, il me transporte dans un monde où je suis plus qu'une prostituée de luxe. Je suis une œuvre d'art, une créature divine, un être merveilleux. Je suis émue aux larmes de me voir ainsi mise en valeur, tout en me sentant complètement ridicule d'être aussi touchée. Je crois que cette douceur est complètement ingérable pour moi. Parce que personne ne me traite avec douceur... Hauteur, cupidité, avidité, moquerie, concupiscence... tout ça je sais gérer. Mais ce regard juste franc et tranquille? Cette demande qu'il me fait... la façon dont il le fait. Je me retrouve à me mordiller la lèvre inférieure, à l'intérieur, la tête baissée, avec une espèce de... d'humilité ? On rêve là non ? Je ne peux m'empêcher de penser que cette expérience est bien plus qu'une simple transaction. C'est un moment de grâce, un moment où je me sens unique, où je me sens belle, pour moi, sans que ça ne contienne la moindre connotation sexuelle.

Je pose la main sur le dessin, pour l'approcher de moi et je me sens bizarrement satisfaite, en paix avec cette décision. -"Alors tu me laisses au moins t'offrir un verre et tu me racontes comment tu as appris à dessiner aussi bien?" Je m'intéresser, réellement, mais il ne peut pas savoir à quel point c'est rare après tout. J'imagine ce portrait, encadré, dans ma chambre et je me prends à sourire. Pas dans mes quartiers templiers, je n'ai pas envie qu'il puisse être... perverti? Etrange pensée, vis à vis du crédo qui guide ma vie depuis tant d'années. A croire que je suis un peu perturbée par tout ça ?

Je ne pensais vraiment pas faire une rencontre aussi intrigante... et finalement je suis totalement séchée par ce dessin, par la façon dont il a magnifié mes traits. C'est délicat, doux et je ne sais pas trop comment l'expliquer mais ça dénote de l'attention qu'on me porte généralement. Jaccen et moi sommes attablés face à face sans que l'ambiance ne soit teintée d'une sensualité implicite et je crois que c'est rafraichissant. Les regards échangés entre les clients et les murmures feutrés créent une ambiance tranquille, parfaitement en phase avec notre conversation.

Je l'écoute me raconter sa passion pour le dessin, alors qu'il n'a même pas réagi à ma proposition de lui offrir un verre. Son histoire est triste, mais il ne tombe pas dans le misérabilisme, sans doute ce qui fait que je lui souris gentiment. L'enfance de merde, je connais. C'est ce que mon regard semble vouloir lui dire, alors qu'il relève sa manche pour me montrer ses tatouages. Ces dessins qui roulent sur la peau à mesure qu'il bouge, ont vraiment quelque chose de fascinant. Au delà des dessins, les lignes sont fines et les tatouages magnifiques. Mes doigts se tendent instinctivement pour effleurer doucement le dessin. -"Oh, pardon." Je viens de le toucher sans même lui demander et sans vraiment le prévoir, ce qui me laisse un peu surprise.

Curieux d'en apprendre davantage sur moi, Jaccen me demande alors ce que je fais dans la vie. Je fronce le nez, pas par honte, mais parce que je sais que ça fait changer le regard des gens sur moi. J'ai le sentiment que ça risque de mettre fin à cette parenthèse et ça me déplait. Son ton respectueux et son intérêt sincère m'incitent pourtant à répondre sans détour. Je lui offre donc un sourire complice avant de lui confier : "Je suis escort de luxe et prostituée." Petit haussement d'épaule et je continue. -"C'est un métier que j'embrasse pleinement et qui représente pour moi une infinie quête de plaisir et de découverte. Je n'en suis ni heurtée ni mal à l'aise." Mon ton est assuré, dénué de toute honte. Au contraire, je suis fière de qui je suis et de la liberté que ma condition me procure.

Je continue en considérant que je dois sans doute m'expliquer. "-Je sais que c'est politiquement incorrect mais pour moi c'est l'art d'explorer les limites du plaisir et celui de répondre aux fantasmes les plus audacieux. J'aime ce que je fais, dans un univers qui me fascine et m'épanouit." Il n'est pas sur du tout qu'il s'avère réceptif à mes paroles, sans porter de jugement, mais je décide de prendre le risque. De le considérer en mesure de comprendre que je suis une femme indépendante, qui a choisi consciemment cette voie et qui en tire une satisfaction profonde. J'aimerais juste me sentir véritablement écoutée, comprise et valorisée pour ce que je suis, sans jugement ni stigmatisation. Finalement ce n'est pas beaucoup demandé. Même pour une fille... de joie. Cette expression, de toutes celles que je connais, est clairement ma préférée.

Malgré ma fierté et mon assurance dans ma profession, je ne peux m'empêcher d'avoir quelques craintes, quand je dois évoquer mon métier face à des non initiés. Pas que je redoute les jugements hâtifs, les préjugés et les réactions négatives, mais c'est parfois fatiguant de sentir ce qu'on est, se faire attaquer de toute part. Ma vie, je ne la conseille à personne, ne l'impose pas non plus, alors j'exige juste qu'on me laisse la vivre comme je l'entends. Aussi transgressive et immorale soit elle.

Il réagit avec compréhension et respect, affirmant que le bonheur est une chose précieuse et je souris. C'est con mais ne pas me sentir jugée me fait du bien. Mon arrogance me permet de faire face, d'autant que j'assume parfaitement qui je suis, mais ne pas avoir à me battre, pour une fois, c'est vraiment agréable. Je sens une connexion naissante entre nous, une connexion qui ne se limite pas à des stéréotypes ou des préjugés et j'accueille ses mots chaleureusement.

La suite avec sa question me surprend un peu et j'éclate de rire. -"Tu te rends compte que quand on me fait cette demande habituellement ce n'est clairement pas pour me dessiner?" Etre à lui ? J'ai délicieusement frissonné à ces mots, même si je ne suis pas sure qu'il ait mesuré le double sens. Parce qu'à moins que je me trompe il n'était pas en train de me proposer une pure séance de BDSM. C'est une offre intéressante et artistique, bien loin des attentes habituelles. Je souris en retour et caresse doucement sa main. Il reprend la parole et ma bouche s'arrondit de surprise. Ainsi c'est ça qui le fascine? Je trouve ça dingue, en fait je n'arrive même pas à me l'imaginer ou à le concevoir. Ne pas voir ok, il me suffit de fermer les yeux, quoiqu'il me reste la perception lumineuse... mais ne pas voir les couleurs? Le soleil est gris? Est ce que tout est comme dans ces vieux films en noir et blanc? Aucune idée, je n'y connais rien, mais je me promets de faire des recherches.

Je passe souvent pour une écervelée, rapport à mon métier sans doute, mais j'aime comprendre les choses. J'ai compris rapidement que de ne pas avoir fait d'étude m'avait mise en défect et j'ai compensé en étant l'autodidacte la plus acharnée possible. Je suis profondément touchée par son désir de percer ce mystère, de capter l'essence de mes yeux dans son art. C'est une invitation intrigante, et je suis curieuse de voir où cela nous mènera. Je regarde le dessin de mes yeux, puis lui rends son regard avec un sourire sincère.

-"Je serais ravie de poser pour toi, Jaccen. Et si cela te permet de découvrir cette magie, alors c'est d'autant plus intéressant." Un sourire sincère se peint sur mes traits, loin de ceux dont j'use et abuse pour séduire. J'ai l'impression que cette rencontre prend une tournure inattendue, loin des chemins que j'emprunte habituellement. Nous avons établi une connexion basée sur la compréhension mutuelle et l'appréciation de nos singularités ce qui ne m'arrive juste... jamais. -"Je n'ai pas envie que tu paies si c'est bien de poser que tu me parles." Je hoche la tête en signe d'accord, sentant que cette expérience sera unique et enrichissante, bien au-delà de la simple séance de pose. Je laisse mon regard vagabonder dans le bar, observant les clients qui vaquent à leurs occupations, l'atmosphère tranquille du lieu contraste avec l'intensité de mes émotions face à cette conversation. Je me sens de plus en plus à l'aise en sa présence, comme si je le connaissais bien. Parfois c'est simple, une rencontre peut se jouer à presque rien. Souvent d'ailleurs quand on doit apprécier quelqu'un il y'a une sorte de connivence immédiate. Je me suis toujours demandé à quoi c'est du. De la chimie? Quelque chose qui se répond chez l'un et l'autre? Qu'est ce qui fait que parfois en une seconde on se sent bien? Alors qu'une autre rencontre peut faire grincer des dents en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire? Quelque chose d'animal, de reptilien? Au contraire une sorte de connexion d'âme? Je n'en sais rien mais c'est fascinant ! Presque autant que la façon dont ses yeux brillent quand il regarde les miens.

Il me prend la main, tout en répliquant à ma remarque et je ne peux retenir un sourire doux. Je ne sais pas comment il fait ça, mais même cette petite provocation a des allures de douceur que je ne maitrise pas. -"En effet ils aiment généralement que je les regarde dans les yeux." La pointe de ma langue sur mes lèvres, évocatrices, alors que mes yeux se plissent, provoquants.

Sa voix s'étrangle d'émotion et je trouve ça particulièrement mignon. Il insiste pour que je trouve un créneau à lui offrir au plus tôt et j'affiche une petite moue avant de me lever en l'entrainant avec moi sans lâcher sa main. -"Est ce que tu connais le Lipstick ?" Le cabaret en face, il n'a pas pu le louper, s'il vient ici régulièrement. -"J'y travaille et j'y ai aussi un appartement." Qui me manque terriblement. Accepter de vivre avec Elijah, non... proposer de vivre avec Elijah, c'était une évidence, mon ami ayant besoin de moi. Mais plus le temps passe, plus ça me coûte. Ce n'est clairement pas la vie dont je rêvais et il n'est plus que l'ombre de lui même ce qui est difficile à voir au quotidien.

Alors j'ai envie de retrouver un peu de ma vie d'avant et peut être de l'y plonger avec moi. -"Est ce que tu aimerais m'accompagner?" Sourire et petit froncement de nez. -"Je dois me changer et je suis attendue seulement en début d'après-midi dans les salons, alors si tu as envie de me dessiner... tu ... tu pourrais." Est ce que je suis intimidée? C'est amusant parce qu'on dirait bien.

Inviter un homme à me suivre, pour le rendre fou de plaisir, ça je maitrise. Inviter un presque inconnu, pour m'offrir à lui, d'une façon très différente, ça a quelque chose de complètement différent et ça m'intimide un peu. L'audace qui m'habite vacille pour la première fois. Ses mots ont déclenché une tempête dans mon cœur, une tempête dont je n'aurais jamais cru être la protagoniste. C'est nouveau et tout doux.

Je me tiens là, devant lui, femme de caractère, séductrice et affirmée, mais aujourd'hui, je ressens un frisson d'incertitude, et je baisse timidement le menton. Son regard, comme un pinceau prêt à capturer mon essence, me déstabilise. Ses mots résonnent dans ma tête, et je me surprends à douter de ma confiance habituelle.

La proposition de Jaccen est une porte vers l'inconnu, un territoire où je ne suis pas habituée à m'aventurer. Poser pour lui, c'est offrir une partie de moi-même, c'est me dévoiler d'une manière nouvelle, artistique. C'est exposer mon âme à travers le prisme de ses yeux, de ses mains habiles qui donneront vie à mes formes, à mes courbes, à mon être tout entier.

C'est un honneur, bien sûr, que quelqu'un voie en moi quelque chose d'inspirant. Mais c'est aussi une vulnérabilité que je ne peux ignorer. Une vulnérabilité qui me pousse à douter, à prendre le temps de décider si je suis prête à partager ce fragment secret de mon monde intérieur. Ou en tout cas à me demander de quelle manière. Parce que je ne recule pas devant les défis, et c'est ce qui m'a finalement toujours caractérisée. Mais ce défi-ci, celui de devenir l'objet de l'art de Jaccen, est différent. C'est un défi qui implique de laisser tomber certaines de mes défenses, d'ouvrir une fenêtre sur mon âme pour que lui, l'artiste, puisse la contempler à sa guise.