Angel Von Tapp

Mon père a trompé sa femme avec ma mère lorsqu’il était employé de l’ambassade américaine à Ottawa. Il a fait partie de ma vie durant les deux premières années et ensuite il a disparu, volatilisé. Au début de mon adolescence, j’ai appris de ma mère qu’il a accepté un poste à Washington puisque sa femme avait de la difficulté à s’intégrer à la culture canadienne. Les seules nouvelles reçues de sa part par la suite se résument en des cartes d’anniversaire reçues en retard ainsi que des cadeaux un Noël sur deux.

Durant la dernière année de mes études secondaires, lors d’un voyage de groupe organisé par l’école à Washington, je me suis permis de lui faire une petite visite. Il est facile de prendre un taxi dans les alentours de la maison blanche et j’en ai profité aller le voir. Dire qu’il n’a pas apprécié ma visite est faible alors que pour ma part, je jubilais. J’avais besoin de le voir, de le toucher, de l’entendre me dire qu’il pensait à moi tous les jours, qu’il aurait voulu être là et ainsi de suite. Je souhaitais que les paroles de ma mère soient une panoplie de mensonge. Je me suis carrément cassé la figure. Notre entretien a duré à peine 10 minutes et je ne suis jamais entré chez lui. Sur le perron, il m’a dit que plus jamais je ne devais le contacter à l’avenir et bla-bla-bla. En revenant à Montréal, j’ai appris qu’il avait versé 5 millions sur un compte bancaire à mon nom.  

Je ne comprends toujours pas pourquoi il refuse de me rencontrer, mais bon, le perdant c’est lui, pas moi. J’étais une enfant studieuse, intelligente, calme, qui ne sortait pas dans les bars, pas d’alcool, pas de drogues, pas de petits amis différents tous les soirs, rien. C’est à peine si j’avais des amies pour me tenir compagnie de temps en temps. La timidité tue, voyez-vous ? J’ai appris à m’affirmer avec les années, par chance.

Une fois à Boston, ma vie n’a pas vraiment changé. À part les bars peut-être, puisqu’on m’y trainait un peu de force le vendredi soir. La différence entre Montréal et Boston ? Mes frères et ma maturité. Si je ne peux rien faire pour le deuxième point, le premier, en revanche, a été plus que pénible. Âgé de 4 ans et de 6 ans de plus que moi, ils m’ont fait passer par toutes les phases de la vie. Pendant 5 ans ils m’ont joué avec mes sentiments, me présentant leurs amis pour qu’ils me brisent le cœur. Ils ont même parié sur qui prendrait ma virginité, n’est-ce pas horrible ? Je ne vous raconte pas les rumeurs qu’ils ont fait circuler à mon sujet. Je ne compte plus le nombre de fois où ils m’ont fait pleurer. D’après eux j’aurais baisé plus d’une quarantaine de mecs alors qu’en réalité trois seulement ont eu ce privilège. J’ai même failli me faire renvoyer de Harvard par leur faute, mais heureusement j’étais l’une des meilleures de ma classe et que certains des professeurs ont parlé pour moi. Leur harcèlement a cessé le jour où la police a mis son nez dans l’affaire. Après une nuit en prison et la possibilité de voir leur cause faire la manchette, notre gentil papa est intervenu. Je ne les ai pas revus depuis et c’est très bien ainsi parce que se faire réveiller par un connard qui vous brutalise au milieu de la nuit, ce n’est pas du tout agréable. Un conard qui a fait 3 ans de prison chez soi dit en passant, mais au moins il a délatté qui l’avait engagé pour m’envoyer à l’hosto. J’y étais déjà allé 6 fois, donc une de plus ou de moins…

À l’âge de 28 ans, une fois mon diplôme en poche, j’ai appliqué a plus d’une vingtaine d’hôpitaux aux États-Unis et au Canada. Dix-sept d’entre elles m’ont offert un poste et j’ai choisi San Diego pour une raison bien précise. Le salaire, certes, mais également la possibilité de travailler l’un de mes professeurs en médecine lors de ma première année à Boston. J’ai adoré cette femme et cette seule raison a été suffisante pour que j’accepte.

Installée dans cette ville côtière depuis sept ans, je viens tout juste d’être promu responsable des internes de première année. J’en ai 4 sous ma supervision et croyez le ou non j’adore cette nouvelle fonction. Partager mon savoir est agréable et gratifiant. Surtout que depuis mon arrivée dans cette ville, tout ce que je fais s’est travaillé. Je ne fais plus confiance aux hommes, ou très peu, pour des raisons évidentes. Merci à mes frères et à leur bande de copains. De toute façon je ne peux plus avoir d’enfants alors à quoi bon ? Disons seulement que… ils y ont été fort lors de ma troisième hospitalisation.